Chronique n° 127 – La peste brune s’étend

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André de Fels, le maire élu en 1938, doit faire face à l’occupation d’Arcachon par les troupes allemandes, ainsi que le raconte le docteur Robert Fleury. À commencer par leur exigence de trouver des cantonnements pour deux mille hommes. On les loge dans les hôtels, à peu près tous réquisitionnés, à Saint-Elme et dans plusieurs villas, dont deux affectées au délassement du troupier. Le tout aux frais de la Ville qui vote un crédit de 200 000 francs, en principe remboursable par l’État. Le 26, De Fels publie un appel à l’ordre et à la discipline mais limite sa coopération avec les Allemands à de stricts rapports administratifs. Le 27, les Allemands défilent dans la ville, musique en tête, ils imposent leur heure, leur monnaie et le couvre-feu de 23 heures et 6 heures, qui fait la ville totalement obscure avec l’interdiction d’y circuler la nuit sans autorisation.

Cependant que la navigation, pour la plaisance et l’ostréiculture reste autorisée, une affiche précise bien : « Tous sabotages des installations militaires et des lignes téléphoniques seront sévèrement punis ». Les armes de chasse sont récupérées et entassées à la mairie où quelques courageux n’hésitent pas à aller en récupérer par une lucarne restée entrouverte. La nourriture commence à manquer, ainsi que l’essence. De Fels demande aux automobilistes d’installer des gazogènes sur leurs voitures et il prévoit d’accueillir en forêt un site de carbonisation. Pour ce qui est du ravitaillement, des tickets y pourvoient plutôt mal que bien, malgré la répartition de la population en catégories V, comme vieillards à J1, J2 ou J3, pour les jeunes, en passant par les A, comme adultes ou T, comme travailleurs de force. Un service de répartition du poisson et une commission du ravitaillement sont organisés par la mairie.

Dans ces difficiles circonstances, de Fels parvient à obtenir de son conseil qu’il accepte les 25 000 francs de loyer de la villa où se trouvent déjà plus de 300 lycéens. Il obtient aussi 45 000 francs pour un pavillon chirurgical à l’asile hospitalier Saint Dominique, ce qui, par les mauvais temps qui courent, relève d’une confiance certaine en l’avenir. En attendant, la préfecture impose que l’avenue du “Château” devienne celle du “Maréchal-Pétain”, que le premier mai devienne jour de la Fête du travail et que le conseil municipal accueille des représentants des organisations professionnelles. La devise de l’Etat français, “Travail, Famille, Patrie”, trouve ainsi son application directe. On peut toutefois s’étonner de voir figurer dans ce conseil des noms de personnalités plutôt de gauche mais le désarroi dans lequel se trouve le pays peut expliquer ces ralliements.

Cependant, le pouvoir du gouvernement de Pétain poursuit sa revanche sur tout ce qui peut représenter la démocratie. Déjà, André de Fels a été suspendu de ses fonctions de conseiller général, dès le 12 octobre 1940. Et le 16 mai 1941, l’amiral Darlan lui signifie son éviction de maire. Il est remplacé, ipso facto, par l’abbé Gabriel Martin qui devient, peu après, directeur de l’école Saint-Elme. Le conseil municipal est dissout et le nouveau maire désigne son équipe où l’on trouve des noms qui resteront longtemps au pouvoir, après la guerre…

L’abbé Martin fait savoir « Que son premier réflexe fut de décliner l’offre qui lui était faite pour cette nomination inattendue et non désirée ». Une affirmation qui étonne le docteur Fleury qui observe : « C’est de la duplicité puisque depuis plusieurs jours déjà l’abbé Martin a envoyé au préfet sa liste de nouveaux conseillers ». Et l’abbé Martin, dans sa première allocution de maire devant son conseil, « Salue le représentant de la kommandantur, ce qui concrétise le lien entre l’administration civile et militaire ». Il espère « Que nos rapports seront empreints d’aménité comme ceux qu’il a déjà trouvés auprès des officiers de la Place » et il souhaite « Que ces rapports ne soient pas entravés par aucun incident regrettable, contraire à l’intérêt patriotique ». Et le conseil, unanime pour souligner cet esprit de totale collaboration, d’envoyer des messages de sympathie à Pétain et à Darlan.

Fort heureusement, “L’intérêt patriotique”, quelques rares Arcachonnais l’ont trouvé, en leur âme et conscience, dans l’appel lancé de Londres, le 18 juin, par Charles de Gaulle. Si bien que, le 31 décembre 1940, dix mille croix de Lorraine en papier se répandent dans les rues, œuvre de la Résistance qui naît autour de Marie Bartette, mercière, de Robert Duchez instituteur et du séminariste Henri Brunet. Vers le 13 février 1941, un premier câble téléphonique est sectionné à Pyla. Il en coûte aux populations d’Arcachon et de La Teste une amende collective de 600 000 F ! Ce ne sera pas la dernière car la Résistance est en marche. C’est une autre histoire.

À suivre…

Jean Dubroca

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Aimé

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