Dans les années 1930, Arcachon veut changer son image de marque. Ses nombreuses installations sportives permettent la pratique d’une quinzaine de sports, des plus chics comme le tir aux pigeons ou l’équitation aux plus populaires, tels le cyclisme ou le football, qu’il soit « rugby » ou « association ». En 1938, on peut même y pratiquer le ski sur aiguilles de pins. Elle s’attribue même à cette époque le titre de “Ville la plus sportive de France”. Parmi ces sports, le yachting, particulièrement développé ici, notamment depuis 1920, connaît dans ces années trente, une véritable folie. Pas moins de six grandes coupes s’y disputent, recherchées par des équipages internationaux tandis que les marins arcachonnais brillent dans les palmarès. Le site est tellement réputé, qu’en 1928 l’équipe d’Argentine de voile s’y entraîne pour les Jeux olympiques d’Amsterdam. De grands yachts, appartenant aux aristocrates les plus huppés, relâchent devant Arcachon. Le plus impressionnant étant le celui des fabricants du papier à cigarette “Job”, ancré devant la villa “Claire”. Il mesure cinquante mètres de long et transporte quatre chaloupes ! Il distance à peine le “Léon-Pauilhac”, appartenant à la famille Singer et qui s’offre le luxe de posséder un treuil à vapeur.
Mais celui qui reste le plus célèbre c’est “L’Ailée”, le navire de Virginie Hériot, la propriétaire des magasins du Louvre. Première femme médaillée d’or aux jeux olympiques d’Amsterdam, quartier-maître honoraire, elle engage son “Ailée” dans les plus grandes régates d’Europe. Un sacré trois mâts portant mille mètres carrés de voilure, ancienne propriété du Kaiser ! Et voilà que, le 28 août 1932, Virginie Hériot meurt subitement à bord de son voilier, à l’ancre devant la jetée Thiers. A l’annonce de son décès, tous les vapeurs en rade sonnent longuement de leurs sirènes. Peut-être bien que ce jour-là, une page d’Arcachon s’est tournée.
Par la suite, la seconde guerre achevée, le yachting devient le sport de voile, célébré avec un grand rituel lors des départs de régates donnés avec solennité depuis la jetée Legallais, tandis que, déjà, des milliers de petits bateaux de plaisance à moteur envahissent le Bassin, avec tous les inconvénients qu’on en connaît aujourd’hui. N’empêche : dès 1950, se manifestent les constructeurs de bateaux et les puissants clubs de navigation, le “Yacht moteur-club” est né en 1858 et le “Yachting club” en 1896, relayé depuis 1934 par le “Cercle de voile d’Arcachon” : il leur faut un port de plaisance. En 1958, la municipalité de Lucien de Gracia envisage d’en créer un, en pleine ville, face au Grand hôtel. Cette intéressante idée, qui aurait profondément bouleversé Arcachon, est abandonnée lorsqu’en 1959 les responsables des plaisanciers et des marins acceptent, avec quelques réticences, qu’un port de plaisance “d’essai” soit installé dans la partie ouest du port de pêche. Reste que deux autres projets existent encore, dont l’un sur la plage d’Eyrac et un autre plus à l’Est. On devine bien que les riverains qui ont combattu, pendant des décennies, les installations industrielles situées dans ce secteur n’en veulent surtout pas une nouvelle. Finalement, la solution la plus logique et la moins coûteuse l’emporte et, le 11 mai 1968, Jacques Chaban-Delmas inaugure le port que nous connaissons aujourd’hui et qui rend d’infinis services.
Cependant, des esprits chagrins mais pas forcément dans l’erreur, ont critiqué sa conception, notamment son chenal d’accès trop tourné vers l’ouest ou encore le verrouillage de la Canelette qui prive le port d’un bassin de chasse naturel. On a aussi critiqué le vide social du lieu. « C’est le seul endroit du monde marin », a dit un jour un skipper, « qui n’ait pas son café du port ! ». Il faut cependant savoir qu’une forte pression de commerçants du centre d’Arcachon a conduit la mairie à interdire les terre-pleins à d’autres activités que purement maritimes. Aujourd’hui, des projets d’amélioration très précis existent. Ils font, semble-t-il, l’objet d’un consensus pour que l’environnement portuaire soit rendu plus vivant. Mais, c’est une autre histoire.
À suivre…
Jean Dubroca