Avec son nouveau maire, Veyrier-Montagnères, sorti vivant de son duel avec Pierre Dignac, Arcachon entre dans une ère nouvelle, dès la fin du XIXe siècle. Juste avant, une nouvelle aventure a beaucoup fait pour la célébrité arcachonnaise : l’ostréiculture. Dans une brochure très bien documentée, publié par la Société historique, Robert Aufan a raconté l’histoire de notre huître, déjà appréciée par les Romains dès le IVe siècle.
Jusqu’au milieu du XVIIIe siècle, on pêche les huîtres sur les nombreux bancs naturels du Bassin. Il n’y a qu’à se baisser pour en ramasser ! En fait, on les drague et tellement même que les gisements s’épuisent. Le pouvoir royal, qui a toujours veillé sur les richesses naturelles du royaume, intervient pour limiter le ramassage des coquillages. Mais il est très difficile de faire appliquer les règlements, d’autant plus que, ramasser les huîtres constitue une ressource pour les populations les plus pauvres. Si bien que le désordre règne jusqu’en 1848. Mais, cette année-là, c’est la catastrophe : les huîtres ont quasiment disparu des marchés français. Comme il n’est pas question de se passer de cette ressource gastronomique qui, de plus assure la vie et parfois la survie sur les côtes, on songe à la nécessité absolue de rationaliser la culture huîtrière. En 1849, une commission préconise déjà « Des amas d’huîtres dans des parcs ». Mais, comme on sait bien que, trop d’huîtres, tue les huîtres, on les interdit ailleurs.
Au-delà de la prise de conscience, survenue, hélas, trop tard, on voit naître, avec cette décision, un embryon d’ostréiculture. Une idée qui est déjà parvenue sur le Bassin en 1764, rappelle Robert Aufan, grâce au marquis de Civrac. En s’inspirant des claires de Saintonge, il en a installées à Certes, à côté de ses marais salants. En 1852, le Second Empire qui, on le sait à des vues précises sur le développement des Landes, promulgue des décrets sur le sujet. Ils organisent le stockage des huîtres, ramassées dans les chenaux ou importées. On les répand dans des parcs, concédés alors à trente-trois demandeurs, marins, pâtissiers ou charpentiers.
Mais voici que dans cette aventure arcachonnaise, tel le Messie, surgit Victor Coste. Ce savant pisciculteur est chargé par l’État de lutter contre la destruction des huîtrières naturelles. Il inspecte alors les côtes de France et d’Italie. En octobre 1859, à Arcachon, il découvre l’expérience permettant de fixer des huîtres. De ses deux rapports, vient la décision de créer dans le Bassin des « Parcs à huîtres impériaux ». Dans l’un d’eux, Lahillon installe des tuiles creuses où s’accroche le naissain. Lalesque modernise le système en inventant « La caisse ostréophile » où s’entassent les tuiles capteuses. Coste, partant du même principe, met au point « Le toit de tuiles », d’abord plat, puis oblique. L’Arcachonnais Jean Michelet combine le « Toit » de Coste avec la caisse de Lalesque. Il construit ainsi le collecteur, tel que nous le connaissons encore aujourd’hui. Le succès est alors immédiat puisqu’on passe de trente-trois concessions de parcs, en 1852, à 112 dans l’année 1860. Afin de faciliter le repeuplement huîtrier, on importe dix millions d’huîtres de Bretagne, de Saintonge et d’Espagne. En 1861, la valeur des ventes atteint huit millions. Hélas ! Des « Parqueurs d’huîtres », comme on dit désormais, grisés par l’argent, vendent aussi … les huîtres importées. La semence. Le blé en herbe ! La première crise de l’ostréiculture éclate. Il y en aura bien d’autres : « Une année bonne et l’autre non », comme chante Jean Ferrat. Car l’ostréiculture ressemble beaucoup à l’agriculture et l’ostréiculteur au paysan, avec ses qualités et ses défauts.
Par la suite, en 1865, vient l’idée géniale du maçon Jean Michelet. Il recouvre la fameuse tuile creuse d’un mélange de chaux et de sable, ce qui permet de gratter les tuiles, de les « détroquer », comme on dit ici, c’est à dire d’en ôter le naissain, sans briser le support et en allant assez vite. Ensuite, intervient le hasard, à moins que ce soit Neptune qui ait décidé d’intervenir dans une situation qui lui échappe. En 1868, un navire, le « Morlaisien », doit se réfugier devant la tempête, dans l’estuaire de la Gironde. Il transporte des huîtres venant du Portugal et, vu leur mauvais état, il rejette toute sa cargaison par-dessus bord. L’huître « Portugaise » se répand alors au gré des courants, de part et d’autre de la Gironde. Dans le Bassin, elle voisine désormais avec la « Gravette », la véritable huître plate arcachonnaise. Malgré diverses mesures de protection, elle finira même par la supplanter.
Ainsi, va continuer l’aventure ostréicole, avec ses hauts et ses bas. Sa naissance est d’autant plus intéressante qu’elle vient d’un tâtonnement expérimental où s’associent des gens très divers, mêlant connaissances scientifiques, pratiques locales et farouche volonté de « S’en sortir », quoi qu’il arrive. Cette évolution, sinon une révolution, a rapidement à modifié la vie de beaucoup de gens du Bassin tout comme elle a modifié ses paysages. Enfin, l’huître a rendu Arcachon aussi célèbre que l’ont fait les idylliques affiches de la Compagnie du Midi et la dune du Pilat. Mais c’est une autre histoire, car ce sable dunaire est testerin.
À suivre…
Jean Dubroca