Le développement de la Ville d’hiver se poursuit après la difficile période 1870-1871. Beaucoup des premières villas s’agrandissent ou s’embellissent. D’autres naissent. Admirons-les, au hasard d’une promenade, toujours nouvelle à cause d’un détail étonnant que chaque visite révèle. Voici : “Toledo”, l’ancien gymnase monté en soufflé de bois, ou “Faust”, ornée d’un donjon en 1878, ou encore “Alexandre Dumas”, dont la ville crut longtemps hériter du généreux banquier Osiris, pour en faire une bibliothèque municipale. Elle date de 1895, et l’on y admire, entre autres fantaisies italiennes une pièce à la mode, le belvédère. De méandres en méandres, on aboutit à la place des Palmiers, créée en 1892. De 1883, date “Giroflé”, gothique jusque dans sa girouette … Vraiment, oui, l’expansion de la Ville d’Hiver se poursuit, dans le foisonnement de ses jardins de Riviera ou dans l’invention incessante de formes architecturales originales.
On voit surgir, de la forêt de pins encore dense, des villas qui auraient eu la folie des palais de Louis II de Bavière si leurs propriétaires en avaient eu la formidable richesse et la totale folie. Mais, celle des grandeurs, ils la possédaient bel et bien. La preuve : la profusion d’inutiles balcons arrondis sur “Graigcrostan”, construite par un architecte anglais pour un original Écossais nommé Laird Mac Gregor. Donc, de telles surprises ne manquent pas.
Motifs innombrables plaqués sur toutes les façades, caissons de tôle d’acier fixés aux murs de la villa “Hamlet”, marquises enrubannées de verre colorés, cheminées ouvragées, galeries ouvertes à toutes les ombres et à toutes les lumières, vérandas intimes, bow-windows dont les fines boiseries forment les rideaux, épis de faîtage variés mais vendus sur catalogues, végétaux en ciment armé, portails symboliques, tourelles moyenâgeuses, colonnades très grand siècle : oui, on voyage dans toute l’histoire architecturale de l’Europe.
Et l’on voyage même dans la grande Histoire, puisqu’on devine, à chaque tour d’allées, de grandes silhouettes. Alphonse XII d’Espagne, résidant à la villa ‘Monaco’ et guetté par tous les paparazzis de l’année 1879, car il va déclarer sa flamme à Marie-Christine de Habsbourg-Lorraine, installée dans la villa Bellegarde. On entend encore Charles Gounod, venu très souvent ici, entre 1859 et 1893. Tout comme on perçoit nettement les échos de l’Harmonie d’Arcachon s’époumonant sous les fenêtres de la villa “Peyronnet”, où dort la princesse Louise, fille de la reine Victoria. On entend aussi, sur l’actuelle place Fleming, « Oasis palmiers » jusqu’en 1955, les cors qui annoncent le départ de la chasse aux papiers volants que d’intrépides cavaliers doivent saisir alors que le révérend Radcliff, inventeur de ce » Rallye-Paper » et chapelain de l’église anglicane, toute proche compte les points. Autre musique toujours là, celle de l’orchestre du casino jouant dans les jardins de “Carmen” pour la reine mère Isabelle II d’Espagne et les trente-trois personnes de sa suite.
Juste en face, on croise Louise, l’une des filles de José Maria de Heredia, fort triste car son mari, Pierre Louÿs est resté à Paris, où on le dit peu fidèle. Et puis, dans les allées de cette Ville d’hiver, dans la grande bousculade du temps qui mélange les souvenirs, on croise Charles Lecocq, Madame Angot et sa fille, Camille Saint-Saëns, escorté de Samson et Dalila, Pierre Frondaie qui démarre dans son Hispano, François Coppée qui se demande « si les oiseaux se cachent pour mourir » et Paul Doumer, qui, en 1889, ne sait pas qu’il deviendra président de la République. Voici Joseph Caillaux, sorti de prison en 1923, mais dont la retraite arcachonnaise, dans la villa “Orchidées”, attire cette année-là tout ce Paris compte de députés, sénateurs, ministres ou futurs ministres, prompts à se replacer auprès de celui qui deviendra ministre des Finances en 1925.
Toutes ces grandes ombres se mêlent aux accents des valses, des polkas et des mazurkas qui, dans la villa “Peyronnet”, font danser aux rythmes d’un orchestre espagnol, la colonie anglaise, toute une nuit de l’année 1886. Pendant ce temps, Panhard-Levassor ouvre son usine de construction d’automobiles, New-York inaugure la statue de la Liberté de Bartholdi, Decazeville entame six mois de grève et le fusil Lebel est parfaitement au point. C’est vraiment une autre histoire, d’autant plus différente puisque Arcachon est entré dans le temps des palaces.
À suivre…
Jean Dubroca