C’est trop beau pour être vrai. Guy de Pierrefeu raconte que l’abbé Mouls invite Émile Pereire qui souffre d’asthme, à découvrir les vertus thérapeutiques d’Arcachon. Il y vient et décide de développer la ville. Il est plus sûr de penser, un : que Deganne a joué un rôle dans les actions futures de Pereire, comme il l’a fait par le passé ; deux : que Pereire n’ignore pas que la première ligne Bordeaux-La Teste a fait faillite faute de clients et qu’il doit maintenant en trouver et, trois : que le docteur Émile Pereyra, médecin inspecteur des bains de mer d’Arcachon, proche de Pereire, lui fait partager son idée d’ajouter à Arcachon une station d’hiver. Sa fréquentation assurerait nombre de voyageurs toute l’année sur la nouvelle ligne.
L’idée ne tombe pas dans l’oreille d’un sourd. Dès le 8 mai 1857, Émile Pereire sollicite le ministre des Finances pour que le Gouvernement concède à sa Compagnie quatre cents hectares de forêt domaniale, c’est à dire appartenant à l’Etat et situés au sud de la ville d’Arcachon. La moitié de ces terrains, avec 300 000 francs à la clé, sera consacrée à la construction d’un casino, de pavillons et de promenades pour les piétons et les cavaliers. Sur l’autre moitié, « nous nous réservons tel usage qui conviendrait à nos intérêts », écrit Émile Pereire. Il insiste sur « le caractère d’utilité publique de l’opération », de façon à faire baisser le tarif de la concession et l’on voit déjà se glisser l’avenir dans cette remarque de Pereire « les populations des contrées voisines trouveraient ici un air doux favorable à la guérison de beaucoup de maladies ». Quant aux étrangers, ils viendront là, découvriront les Landes et « apporteront de puissants capitaux qui contribueront à la réalisation des projets du gouvernement ».
À peine nommé, le 28 juin 1857, le conseil municipal d’Arcachon appuie fermement cette remarque. Mais un gros problème apparaît : les biens de l’État sont inaliénables. Il faut voter une loi pour les débloquer. C’est fait le 28 juillet 1860 : le Gouvernement permet d’aliéner, avec autorisation de déboisement, plus de trois mille hectares dans les landes domaniales de Gascogne afin d’y construire des routes forestières. Et Pereire ferait-il autre chose que des routes, dans la dune de Peymaou qui domine Arcachon? En même temps, Pereire achète à des particuliers, pour son compte cinquante-quatre hectares qui constituent l’actuel lotissement Pereire, mais récemment créé. Il y bâtit en 1864 un vaste chalet aux balcons et aux avant-toits ciselés comme ceux d’une ferme suisse ou du pays de Bade. De plus, pour le compte de la Compagnie du Midi, il acquiert quarante hectares, dans la partie haute d’Arcachon.
Quant à l’acquisition de quarante autres hectares appartenant à l’État, elle se fait dans des conditions peu claires. Le procès-verbal de la vente est modifié et raturé. De plus, l’abbé Mouls, que les Pereire veulent impliquer est le seul enchérisseur, au prix, somme toute intéressant, de 2 450 francs l’hectare. Comparé au 81 000 francs que leur a coûté ce même hectare dans la plaine Monceau à Paris, c’est même donné ! Le “Courrier de la Gironde” est ravi : « Le bon droit finit toujours par triompher », commente-t-il. Mais il ajoute que cette solution « est due aux vives instances de M. le Préfet de Mentque, de MM. le maire et le curé d’Arcachon et du ministre des finances M. de Forcade de la Roquette ». Il faut reconnaître que c’est un Girondin qui ne peut rien refuser à de si entreprenants compatriotes. Dès le printemps 1862, les travaux de construction de la première phase de la Ville d’hiver commencent. C’est une autre histoire.
À suivre…
Jean Dubroca