Tout à la fois singulière et collective, la marche vers un lieu saint n’est pas vagabondage. Elle est tendue vers un terme, lieu de rencontre avec l’archange, l’apôtre ou le saint intercesseur, dont le pèlerin attend le secours. À travers gestes et paroles, il s’agit ici de retrouver et de comprendre une expérience spirituelle qui a déplacé des foules, qui les a rassemblées auprès des sanctuaires, mais dont les acteurs n’ont fait que rarement confidence.
La nouvelle de la découverte du sépulcre (1) de Jacques attire d’abord les pèlerins de la péninsule ibérique. Le premier pèlerin étranger connu est Godescalc, évêque du Puy, qui visite en 950 le tombeau de l’apôtre ; plus près de nous, Monseigneur Joseph Martin (2), aumônier des étudiants à Bordeaux, puis lui-même évêque du Puy-en-Velay avant de devenir archevêque à Rouen, promu au cardinalat en 1965, exerçait sur les étudiants girodins un véritable prestige dû, sans doute, à ses grades universitaires et à la vivacité de son intelligence, mais aussi et surtout à son dynamisme communicatif, à son optimisme impénitent et à son influence profondément sacerdotale. Ce prêtre sportif, qui entraîne des groupes de jeunes – ses Escholiers – à Lourdes – chaque année, il s’y rend à pied en pèlerinage – ou de Saint Jacques de Compostelle, est aussi le célébrant liturgique pénétré de présence divine lorsqu’il célèbre la Sainte Messe dans le petit oratoire de l’association catholique des étudiants ou à la chapelle de la Madeleine. Il est encore le conseiller très sûr, largement ouvert aux problèmes sociaux de son temps, l’éducateur de la foi qui s’attache à former une élite intellectuelle chrétienne. Du 15 au 18 juillet 1948, à Arcachon, a lieu le 75ème anniversaire (3) du couronnement de Notre-Dame d’Arcachon (la fresque dans le chœur, peinte par Guillaume Alaux, décrit la cérémonie du couronnement et représente les personnes qui y étaient présentes) : son excellence Mgr Martin y célèbre les Vêpres Pontificales et prononce, place Thiers, un remarquable discours.
Dans ses armoiries, l’Évêque met ordinairement le fond de son cœur, et sa devise livre le programme résumé de sa vie…
Dans le premier quartier des armes, trois fleurs de lys, les fleurs de France. C’étaient les fleurs du Puy et ce sont les fleurs qui ornent toujours les armes de la Normandie. Le bouquet est exquis !
Dans le second quartier, un croissant de lune qui intrigue souvent. Souvenir de Bordeaux que la courbe majestueuse de la Garonne a fait appeler « le port de la lune »… mais aussi souvenir et image de celle dont la liturgie proclame « pulchra ut luna », belle, douce et pure comme la lune, la Très Sainte Vierge Marie.
Plus bas, sur fond rouge, la coquille Saint-Jacques, c’est à dire la décoration authentique des pèlerins routiers de Saint-Jacques. La coquille dit l’amour de la route, l’amour de l’effort, un peu l’amour de l’aventure, l’amour de la jeunesse, celle qui marche, qui marche sur les chemins des Ancêtres, la Foi et l’Espérance au cœur, sur les routes jalonnées de cathédrales, les pas dans les pas des Apôtres, les yeux levés au ciel, vers le champ des étoiles.
Et c’est encore de ciel et d’idéal que parle le dernier quartier, représentant des étoiles en nombre indéfini : la voie lactée, le chemin de Saint-Jacques qui est l’image poétique et fidèle du chemin que nous suivons tous, voyageurs que nous sommes, pendant la traversée pénible de la vie. Mais ce sont aussi les étoiles à 5 raies du blason Feron de Villetron (Beauce, Armorial chartrain enregistré depuis le XVIesiècle) que la branche Leuret-Maillard – la mère de Joseph Martin est une Leuret – porte (2 étoiles à 5 raies sur azur, 2 chevrons d’argent).
Voici ce que Joseph Martin disait : « 800 km à travers l’Espagne, sur des pieds blessés dès le premier jour, c’est un effort – peut-être le plus grand – mais aussi l’un des meilleurs souvenirs de ma vie… En fin de compte, quand on regarde en arrière, les jours faciles laissent peu d’empreinte dans l’existence. Les efforts et les sacrifices sont indispensables pour faire les œuvres belles et les hommes grands.
Compostelle… Campus stellarum… le champ des étoiles… On sait que pour arriver à Saint Jacques, il suffit de se laisser guider, la nuit, par les étoiles du chemin de Saint-Jacques, la voie lactée… »
Et que signifie sa devise « Cum Maria Matre ejus – Avec Marie, sa Mère », lui dont la dévotion mariale était si tendre, si forte, si fidèle ; « Cum Maria Matre ejus » est empruntée aux saintes Écritures. Les attributs autour de l’écu sont, outre le chapeau d’évêque, l’épée et la couronne de Comte du Velay dont le titre appartient à l’Evêque du Puy et le sacré Pallium dont l’Évêque du Puy est honoré « ex privilegio ad personam » depuis 1041. Quand les Mages arrivèrent au terme de leur marche à l’étoile, ils trouvèrent l’Enfant Jésus, nous dit Saint Matthieu, « avec Marie, sa Mère ». Quand les Apôtres se réunirent au Cénacle, après l’Ascension du Christ, attendant la descente du Saint-Esprit, ils persévéraient tous dans sa prière, précise Saint Luc, « avec Marie, la Mère de Jésus ». Aujourd’hui comme autrefois, tous tant que nous sommes, nous cheminons avec Marie, sous la protection de Marie, sous la direction de Marie, et dans l’ordre voulu par Dieu, on ne trouve pas plus Marie sans Jésus qu’on ne trouve Jésus sans Marie…
(1) – Campus stella, c’est le champ d’étoiles, notre voie lactée (en occitan : lo camin de Sant-Jacme), mais ce serait aussi une dérivation du verbe latin componere qui se traduit par enterrer et désignerait un cimetière ou une nécropole, siège des reliques du saint. En Aquitaine, une croyance populaire dit que l’âme du mort fait un aller-retour à Compostelle au long de cette Voie, avant de monter au ciel.
(2) – En 1901-1902, son grand-père maternel, Eugène Leuret a vécu 3 avenue Ste Marie à Arcachon, face à Notre-Dame.
(3) – Ceci nécessite une précision : le 15 juillet 1870, le pape Pie IX octroie à la statue de la Vierge, découverte par Thomas Illyricus, la gloire d’un couronnement, ce qui est une exclusivité réservée aux pèlerinages les plus fréquentés, entériné par le cardinal Donnet le 16 juillet 1873.
En illustrations, plaque tombale, armoiries et photo de Joseph Martin.