Petite causerie vespérale consacrée à une espèce invasive
Il ne faudrait pas que les lecteurs aussi HTBoïates que numériques, défendant les apports bénéfiques du tourisme dans notre région, me tombent dessus à bras raccourcis en me vouant aux gémonies ou à d’autres terribles escaliers, tel que le Stairway to Heaven (celui du « Zeppelin de plomb »). Car en effet mon propos n’inclura aucune récrimination envers l’Homo touristus. Les touristes me sont sympathiques, ils ne sont pas si envahissants que ça et en tout cas plus supportables que les moustiques.
L’idée de cette chronique m’est venue alors que je m’efforçais de lire le bouquin de la girondine Michèle Perrein, Les Cotonniers de Bassalane, roman paru en 1984 et ayant reçu le prix Interallié la même année. J’ai trouvé cet ouvrage dans la « barrique à livres » de Saint-Germain-du-Puch et m’y suis intéressé (pas longtemps) car l’action (ou plutôt l’absence de celle-ci) se déroule dans un bassin d’Arcachon imaginaire où le Cap Ferret voisine à tel point avec l’Île de Malprat que le Boïens peut se rendre, à pied, le soir pour aller boire un coup avant de se coucher, dans un troquet ferretcapien. Cette dernière chose m’avait quelque peu agacé, mais j’ai définitivement clos l’ouvrage lorsque j’en suis arrivé à la lecture du casse-croute « traditionnel », dans la cabane d’éclusier, à base d’huîtres et de crépinettes — Si, si je vous assure des crépinettes ! En lieu et place de nos braves saucisses fines préparées au vin blanc par les honnêtes charcutiers d’antan… Misère ! Ce fut trop d’invraisemblance.
En dépit du titre du susdit roman, Il faut dire tout d’abord que le cotonnier ne pousse guère sous nos climats. Il y a eu confusion car, en revanche on y trouve un autre arbuste dont j’ai une fois demandé la nature à mon paternel, alors que je n’étais qu’un enfant — c’était sur la plage des Quinconces. « C’est quoi, ces buissons au bord de la plage, papa » demandais-je ? « une belle saloperie » me répondit-il. Et il avait raison. Il s’agissait de faux-cotonniers, Baccharis halimifolia, végétal se développant dans les plaines côtières et les secteurs humides des Amériques, malheureusement et inconsidérément importé dans notre région.
Grâce à la naïveté des Arcachonnais, séduits par les qualités esthétiques de la plante, le Baccharis est désormais ici comme chez lui. Depuis près d’un siècle il a envahi goulument les prés salés d’Arès ou de La Teste, les anciens bassins piscicoles, l’île de Malprat mais aussi celle aux Oiseaux et finalement tous les espaces où on le laissait pousser. Il en est même donc qui, par ignorance, considèrent le faux cotonnier comme un élément du patrimoine local. Et pourtant c’est bien une saloperie se subsistant à la flore locale et même aux braves tamaris qu’il asphyxie — ces derniers ne sont pas originaires d’ici mais ne constituent pas pour autant une quelconque menace.
Tandis que la biodiversité du bassin d’Arcachon s’appauvrit dramatiquement, ses rivages sont colonisés par l’écrevisse de Louisiane, le Baccharis de la même origine et l’Herbe de la Pampa (de la Pampa sud-américaine comme son nom l’indique). l’inverse des touristes qui se font relativement rares, ces espèces invasives transforment irrémédiablement le décor sans apporter quelques pépettes. Dans le même temps le frelon asiatique nous terrifie et le moustique tigre de la même origine nous « rend la vie invivable ». Bref, nous sommes pris en tenaille.
Résumons-nous, le progrès fait rage. Certains le combattent et je leur apporte mon soutien indéfectible.
Thierry PERREAUD