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Le développement de l’ostréiculture, entre 1860 et 1890, y a généré la construction de nombreux bateaux de service, la pinasse s’avérant insuffisante pour assurer l’ensemble des travaux, notamment le transport des matériaux lourds. Concurremment aux pontons de charge (allèges), un grand canot de service réalise les plus gros travaux, mais les manutentions et les manœuvres restent nombreuses, et les pontons doivent être remorqués.
Il manque sur le Bassin un type de bateau “permettant aux parqueurs de réaliser de sérieuses économies de temps et de main-d’œuvre. Ce bateau idéal devait porter une forte charge sous un tirant d’eau très réduit lui permettant de monter aussi haut que possible sur les terres ; il devait en outre, être rapide sur toutes les allures y compris le plus près, bien défendu, et, malgré ses dimensions, d’un prix d’achat modéré”, affirme en 1902 l’architecte naval Picamilh.
Le premier sharpie à être introduit en France fut celui ramené de New Haven par M. de Broca en 1863. Celui-ci était parti faire une étude sur l’ostréiculture. Devant ce bateau, Lucien Môre étudia le type puis fit une conférence devant ses collègues du Cercle de la voile de Paris. Cette conférence fut reprise dans Le Yacht au début de l’année 1880 et suscita un vif intérêt : une centaine d’articles et de lettres sur le sujet furent publiés dans ce journal au cours des années 1880.
C’est à cette idée que réfléchit Auguste Bert, charpentier de marine émérite établi à l’Aiguillon. Il construit un bateau expérimental destiné à assurer ses propres transports et la mise en place des corps-morts de yachts sur la rade d’Arcachon. Le succès est complet : le nouveau bac marche à bonne vitesse, évolue et gouverne avec facilité, remonte bien au vent et porte de lourdes charges sans rechigner.
Bert s’inspire en partie des sharpies du Connecticut et plus précisément de New Haven, conçus et adoptés par les ostréiculteurs du lieu pour leurs avantages — faible coût de construction, qualités marines, capacité de chargement, facilité d’échouage. Ils ont été ainsi nommés à cause de la forme de leur coque longue et effilée (sharp en anglais). La date la plus ancienne de leur construction, 1848, est revendiquée par les frères Goodsell pour leur sharpie Telegraph. Chapelle décrit bien le gréement des sharpies qu’il a étudié dans leur contexte. Les ostréiculteurs disposaient de trois pieds de mâts (avec leurs étambrais) disposés de telle façon qu’ils avaient le choix d’installer l’un ou les deux mâts non haubanés en fonction du temps et de leurs travaux. La voile, triangulaire, se réduisait en s’enroulant autour du mât. Le point d’écoute était maintenu par un espar réglable au mât, à hauteur d’homme. Tout était conçu pour que ces bateaux de pêche de 27 à 35 pieds de long soient maniés par un seul homme. Il faut rappeler toutefois que la saison de cette pêche était l’été, au moment où les vents locaux sont faibles et les conditions de mer excellentes : il paraît ainsi normal que le sharpie soit un bateau de petit temps dont il faut réduire la voilure assez vite. D’autant que le safran compensé peu profond n’était pas efficace à la gîte.
Le sharpie de Caroline du Nord, dans les années 1870, s’est inspiré du sharpie de New Haven en résolvant le problème posé par une navigation plus au large et ramenant leur huîtres vers des ports plus éloignés. Ils étaient plus grands (40 à 45 pieds), disposaient d’un gréement de goélette et parfois d’une cabine arrière voire de deux cabines. Certains de ces bateaux, encore opérationnels en 1938, furent reconvertis en bateaux de plaisance à partir des années 1930.
Les sharpies de la baie de Chesapeake semblent être apparus au début des années 1870, gréés en cat-boat, à l’arrière arrondi, mais à fonds en V à l’avant et à l’arrière.
L’origine des bateaux construits en planches, à fond plat, remonte à l’Antiquité. Des vestiges en ont été retrouvés sur divers continents. Mais une des grandes nouveautés réside dans leurs constructions : les bordés de fonds sont assemblés sur la carlingue et les bordés de côté, transversalement. Le chantier, monté à l’envers, commence donc par la construction des bordés de côté faits de planches assemblées par quelques faibles membres, réunis à l’étrave et écartés par des bancs. La carlingue, formée par le puits de dérive et de planches sur chant, est installée de façon que les fonds soient rigoureusement plats dans le sens transversal pour permettre l’assemblage des planches d’un bord à l’autre. Seul le sharpie dispose, dès l’origine, d’une poupe arrondie qui permettait le maniement des pinces des ostréiculteurs, ce qui signe sa création.
Le bac à voiles d’Arcachon devient en peu d’années l’outil polyvalent du Bassin permettant aux parqueurs de réaliser de sérieuses économies de temps et de main d’œuvre. Portant une forte charge sous un tirant d’eau réduit, il permet de monter haut dans les terres. Bien défendu, il est rapide sous toutes les allures, y compris au près.
Pour réduire le coût de construction, le bac à voile est monté sur plusieurs quilles séparées, ayant chacune la hauteur du bateau, la sole et le pont étant respectivement posés sur celles-ci. Ces derniers peuvent ainsi être bordés en travers, ce qui diminue la longueur des bois à utiliser. L’ensemble forme un “caisson” d’une grande rigidité. Les chargements sont posés directement sur le pont, diminuant les manutentions.
Le tirant d’eau moyen est d’environ 30 centimètres, à peine 50 centimètres pour les plus gros bacs à pleine charge. C’est un dériveur intégral, la dérive passant au travers de la quille du milieu. Le faible creux n’étant pas suffisant pour tenir solidement le mât, il est maintenu par un second étambrai traversant un fort banc établi à environ 80 centimètres au-dessus du pont entre deux solides bittes.
Le bac est gréé en sloop : foc sur étrave et grand-voile bien apiquée sur corne et gui. Sur les plus petites unités, un petit bout-dehors fixe peut déborder le point d’amure du foc. Une grand-voile au tiers non bômée est souvent utilisée sur les bacs se livrant à des transports volumineux ou au transport de passagers.
Auguste Bert invente aussi, pour le bac à voiles, un dispositif permettant au gouvernail de se déplacer transversalement et verticalement : ainsi balancé, il peut être immergé profondément quand on veut plus d’efficacité ou bien soulevé à fleur d’eau si un haut fond l’exige. Dans ce dernier cas, la dérive à pivot se relève d’elle-même dans son puits. La manœuvre s’effectue avec un personnel réduit.
La géniale simplicité de l’outil créé par Auguste Bert à la fin des années 1880 séduit aussitôt un grand nombre de professionnels.
Le dernier exemplaire de ce type de bateau de travail a disparu dans les années 1930.
Le « Président Pierre Mallet », réplique primée au concours du Chasse-Marée, voit le jour un siècle plus tard ! Il sera bientôt suivi d’autres unités de même type, tant son adaptation au Bassin reste excellente dans ses nouvelles fonctions.
Extrait de l’article de F. Pécamih, colonnes du Yacht, 1902, ouvrage paru dans le n°70 du Chasse Marée.
https://www.chasse-maree.com/toutsavoir/bac-a-voiles-darcachon/
https://fr.wikipedia.org/wiki/Sharpie_(bateau)