– Hé, adieu, promeneur de l’été ! Mais que je te trouve l’humeur maussade, ce matin ! Que dis-tu ? C’est parce que tu vas payer la taxe carbone. Evidemment, te prendre tes sous sur des produits et des engins qu’on te vend à grands coups de pub depuis des décennies, tu t’étonnes et tu maugrées. Monte tout de même dans notre machine à promenades qui fonctionne par fréquence modulée d’électrons très libres, donc, sans polluer. Tu verras, au cours de notre navigation dans les carnets d’André Rebsomen, qu’aucun pouvoir n’a jamais manqué d’imagination quand il s’agit de faire payer le paysan. Tu découvriras, même, que le roi, le seigneur ou l’évêque sont tellement créatifs en ce domaine qu’ils font passer pour de vulgaires petits amateurs les inventeurs de vignettes, de journées de solidarité, de TVA, de CSG, de TIPP, de taxations du bâti, du non bâti, de l’immobilier, du mobilier, des machines, de la main d’œuvre ou de la fortune.
Figure-toi donc, que Rebsomen a relevé pas moins de cent trois impositions seigneuriales, frappant les travailleurs du Pays de Buch, depuis des siècles ! Taxes auxquelles s’ajoutent, évidemment, la dîme, due au clergé, la gabelle, une taxe sur le sel et, versée au roi, la taille, “ruine des corps, des biens et des âmes, considérant la façon dont elle se répartit”, écrit à son propos l’économiste Bois-Guillebert en 1707, appuyant ainsi les remarques de Vauban lui-même quant aux nombreuses misères dans le royaume de France du roi Soleil.
En tête des payeurs, pour vingt-et-une prestations : les pechouneys. Exemples, pris au hasard dans une longue liste. Depuis 1027, le comte de Gascogne leur réclame le droit de “tonlieu”, lorsqu’ils s’installent sur les marchés de sa province. Entre 1414 et 1727, existe le “huitain”, soit le huitième denier sur tout poisson d’écailles vendu à Bordeaux. À l’ origine, il était versé au captal de Buch, à condition “qu’il entretienne le chemin de La Teste à Bordeaux et préserve les marchands contre les voleurs”. Depuis le XIIe siècle, ces marchands de poisson doivent acquitter un péage s’ils franchissent l’Eyre sur un pont ou sur un bac, à Lamothe ou à Mios. Autre exemple : en 1494, le chapitre de Saint-André-de-Bordeaux exige la valeur d’un oiseau par manant, les volatiles s’attrapant alors en plein vol dans des filets.
Quant aux marins pêcheurs, ils ne sont pas oubliés. Dès avant 1101 et jusqu’en 1742, ils versent un droit de pêche à ce même chapitre bordelais. Qui voit rouge, lorsqu’au début du XVIIIe siècle le captal de Buch prétend conserver ce droit pour lui tout seul ! Le seigneur recule devant le risque d’être excommunié, une menace exprimée à voix forte par les chanoines ulcérés. Cependant, le captal tire toujours quelques ressources du pêcheur qui, dès 1580, doit lui verser chaque semaine trois sols par filet et par bateau ainsi qu’un droit d’ancrage de six sols.
Quant au paysan, il reste “le mulet de l’État”, comme le définissait Richelieu mais aussi celui de son seigneur. C’est ainsi qu’en 1274, le captal de Buch exige le droit “d’agrière”, soit le quart de toute récolte. En 1323, avec le “padouentage”, il récupère trois sols et une poule auprès de chaque sujet qui fait paître son troupeau dans des terres en friche. En 1517, le captal impose une taxe sur la vente des bêtes à pieds fourchus. Depuis 1422, il perçoit aussi un droit sur le ramassage du “bruc”, la petite bruyère qui permet, autant de composer la litière pour les animaux que de se chauffer chichement. En 1581, la “gemeyre”, un droit sur la résine, rapporte cinquante francs bordelais, par an, au seigneur de Salles. Mais ce n’est pas tout.
Outre la dîme, dont le quart va à l’évêque, l’Église prélève les décimes, reversés au roi. Un roi dont les besoins financiers se font cruellement sentir car la dette publique augmente. Tellement même, qu’entre 1727 et 1783, les décimes grimpent de 37 livres à 355 livres ! De plus, les paroissiens doivent entretenir les presbytères. Sans compter quelques exigences particulières comme celle du sacristain de Salles qui réclame une gerbe par famille, tant il peine à sonner les cloches ! Ajoutons à la facture qu’en 1692, le prieuré de Comprian à Biganos reçoit l’onzeau, le onzième des récoltes.
Si Rebsomen note : “Dans le pays de Buch, des rapports corrects existent entre seigneurs et manants”, il relève cependant de sérieux désaccords entre eux. C’est ainsi qu’en 1532, Mios refuse un prélèvement sur le millet. Ainsi encore que, de 1672 à 1756, pendant quatre-vingt-quatre ans, les résiniers testerins se battent chaque année pour avoir le droit d’attraper la palombe sur des clairières artificielles. Quant aux marins, ils finissent, en 1763, par obtenir l’autorisation de faire sécher leurs filets sur le banc de Pineau, inféodé à la comtesse d’Estillac.
Mais le pire de tout, le voici. En 1360 le chapitre de Saint André de Bordeaux achète pour cent quatre écus d’or, quatre hommes du Teich. Ils promettent aux chanoines de leur être très obéissants …