Ce croquis du jour nous hisse au premier étage de l’étonnant musée-aquarium de la Société scientifique d’Arcachon. Là, au milieu d’une extraordinaire collection de tous les oiseaux et de tous les coquillages que l’on peut observer sur le Bassin, les visiteurs s’étonnent toujours devant d’énormes ossements de baleines qui, fort nombreuses, se sont échouées assez régulièrement sur nos rivages. Elles font, en quelque sorte, partie de nos traditions. Ah ! La baleine… Prosper, le fils du marin imaginé par Jacques Prévert ne veut pas aller “ à la pêche, à la pêche à la baleine, une pauvre bête qui lui a rien fait ”. Et quand son père en rapporte une sur son dos, “ une belle baleine aux yeux bleus, une bête comme en voit peu ”, Prosper refuse de dépecer l’animal. Le poète, qui a toujours raison, comme chacun le sait, a donc bien établi que des liens étranges unissent, et même depuis l’Antiquité, l’homme à sa cousine, mammifère comme lui.
Il y a belle lurette, près de 2 500 ans, que le navigateur crétois Néarque voyait dans la baleine, “le monstre absolu” et des Africains y voient “la substance des dieux”. Les Islandais, afin de vaincre la terreur qu’elle leur a inspirée lorsqu’ils la pourchassaient, en ont fait des hybrides qui tiennent autant du sanglier que du serpent. Et pourtant, quel animal paisible la baleine ! Elle ne consacre que dix pour cent de son temps à avaler du plancton. Le reste de sa journée de cétacé sans problème se passe à chanter, à jouer, à s’occuper des petits ou à en fabriquer.
La baleine appartient au monde des abysses, mais on la voit souvent, dans des envols ruisselant de cascades, venir humer l’air des hommes et y souffler des geysers d’eau océanique. Car malgré sa taille, dame baleine est un des mammifères les plus proches de l’homme. C’est pourquoi, peut-être, elle vient souvent mourir sur nos côtes. Ce qui n’a pas empêché que nos voisins basques l’aient pourchassée dès le Moyen Age. Ils n’hésitaient pas à ramer jusqu’au Spitzberg pour en rapporter leur énorme et fructueux gibier. Car la baleine, c’est comme le cochon, tout y est bon. Si bien que pendant longtemps on en fait même des pièces de corsets, de parapluie ou des parures de casques militaires.
Dans notre région, où l’on est pourtant pas moins hardi que les Basques, nos pêcheurs attendaient patiemment que les cachalots s’échouent sur les plages pour en récupérer l’ambre d’autant plus précieux, que, hormis son intérêt pour la parfumerie, il aurait des vertus aphrodisiaques. C’est sans doute pourquoi le captal de Buch, le duc d’Épernon, établit des règlements précis pour se réserver le monopole du ramassage de ce produit si miraculeux qu’il est certainement et encore aujourd’hui, conçu et fabriqué par Neptune. Quant à la baleine, le XVIIIe siècle a lancé sa chasse industrielle. Elle n’a été réduite, voire interdite que récemment. Il est vrai, comme l’écrivit David-Herbert Lawrance : “On dit que la mer est froide mais elle contient le sang le plus chaud de tous”. Allez donc devant les pièces du musée-aquarium arcachonnais, rêvez à notre amie la baleine. Et à lundi. Nous parlerons d’un autre animal : l’abeille du Pays de Buch.
Jean Dubroca