Dans le courant de l’année 1957, “L’Auto-Journal” critique les abords du casino de la Plage qui « tiennent des bazars d’un quartier chinois » et il se moque aussi de la façade maritime d’Arcachon « qui porte mal ses cent ans ». Les choses changent à partir des années 1960, quand se construit un premier immeuble cubique, sur le boulevard Veyrier-Montagnères, juste à côté du casino de la Plage, tout à fait dans ce style balnéaire, international, insipide et insignifiant qui bétonne déjà une grande partie du littoral européen. D’autres suivront, certains oblitérés par ces honteuses tricheries qui consistent à superposer, aux hauteurs autorisées, les appendices constitués par les cheminées d’aération et les cages d’ascenseurs, ce qui scelle des verrues pour cent ans au moins.
Alors, beaucoup de grandes villas, certes ingérables mais entourées de parcs verdoyants, s’effondrent sous les coups bornés des bulldozers qui arrachent aussi toute la végétation. Plus rien alors, en matière d’architecture, ne distingue le centre d’Arcachon, de ceux de La Baule, d’Ostende ou de Valparaiso ! La contagion gagne la côte de l’Aiguillon d’où l’on chasse “les verrues industrielles” et, avec elles, les habitants modestes de ce quartier qui assurent à la ville une vie permanente. A leur place, les immeubles, longs et hauts, s’agglutinent, sans recherche, sans imagination, sans espaces verts, où la seule originalité est la hauteur différente des balcons ! Le tout, construit dans le seul but de vendre le maximum d’appartements inclus dans le minimum d’espace.
Le “sommet” des opérations, c’est une résidence en plein ciel, perchée sur une dune. Elle constitue pour tous les navigateurs du Bassin un amer superbe mais qui écrase de sa masse, non seulement le double clocher de Saint-Elme voisin, mais aussi tout la ville dont le charme essentiel du visage vient de ses toitures inclinées et de ses tuiles rouges. On parle alors de faire de cette tour “la flamme” d’un quartier tout vertical qui s’amorce mais qui reste sans suite, du port jusqu’au stade Matéo-Petit. Ailleurs, dans l’euphorie des “Trente glorieuses”, on parle aussi de la possibilité de construire dans la Ville d’hiver des immeubles inclus dans le volume des villas existantes. Un volume si imposant qu’il permettrait un grand nombre d’étages. Arcachon, navré, « Regarde pousser « nevyorc » » et voit disparaître sa vieille ville.
L’erreur est d’autant plus flagrante qu’à la même époque, de grandes stations touristiques de la Basse Normandie ou de Bretagne imposent un style architectural inspiré par la construction traditionnelle. Fort heureusement, un sursaut parcourt alors la ville. Le docteur Fleury, maire-adjoint, déclare : « Nous sommes un certain nombre (…) à ne pas croire comme inéluctable la reconstruction du mur de l’Atlantique ». Dans le même mouvement, une association pour “La Sauvegarde du site d’Arcachon” voit le jour et, dans la ville d’hiver, un courageux comité qui, lui aussi n’hésite pas à s’opposer aux appétits de promoteurs sans envergure, se monte et entreprend de la protéger. Il y réussit si bien que, le 19 septembre 1985, est obtenu, avec l’appui de Robert Fleury, alors maire, le classement “en site”, de la Ville d’hiver tout entière. Cependant, le pire n’étant jamais sûr, de nouvelles dispositions s’imposent aux stations classées à partir de 1982. On commence alors à voir surgir des immeubles enfin couverts de toits de tuiles à plusieurs pans et aux façades ornées de balcons aux formes variées plus inventives. À partir de 2001, le nouveau plan local d’urbanisme impose une architecture inspirée du style arcachonnais : larges toitures, importants avant-toits, boiseries dans les façades, le groupe Gaume établissant le prototype, cette fois réussi, de ce nouveau type d’immeubles.
Il faut cependant noter, d’abord, que la construction de tours d’une dizaine d’étages, a permis de résoudre, mais en partie seulement et avec retard, le difficile problème des logements sociaux dans la cité. Des logements qui, d’ailleurs, prennent aussi parfois la forme de jolies résidences. Ensuite, il faut aussi admettre que certaines grandes constructions ne manquent pas d’allure. L’ensemble “Les Perlières” forme une astucieuse tentative pour briser la monotonie des blocs bétonnés. Le “Grand Voile” montre une impressionnante envolée de loggias en vitres bleutées. La rue de “La Calante” semble sortir d’une opérette à la Francis Lopez. Ailleurs, des pergolas délirantes, d’immenses portiques, des balcons métalliques couronnés d’une sorte de balcon avant-toit farfelu ou, encore, les quatre colonnes de vingt mètres de hauteur de “Véronèse”, signent des intentions de bâtir autrement.
Il n’en reste pas moins que tout cela reste l’exception dans une banalité ambiante qui montre que la ville n’a pas su, en cédant à la facilité du profil immédiat, durant une large partie de la seconde moitié du XXe siècle, conserver sa couverture végétale mêlée à un bâti d’une originale ampleur, marquée d’invention et de fantaisie. Il reste de cette impuissance, certes, une belle étoffe, mais mitée, ou rapiécée, comme l’on veut. Retisser sa trame, c’est une autre histoire.
À suivre…
Jean Dubroca