Chronique n° 119 – Une ville puzzle

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Arcachon est une ville puzzle, montée au fil de son histoire par des adjonctions de lotissements, qui, d’ailleurs, ont constitué, avec “l’industrie de l’étranger”, la deuxième manne économique de la cité. On a déjà raconté comment les premiers lotissements, plus ou moins bien organisés, ont, dès 1842, découpé la forêt testerine, tout le long de la côte, entre Eyrac et Notre-Dame. On a aussi raconté le développement du centre, avec les lotissements de Deganne qui, à partir de 1857, ouvrent de larges avenues, disposées en étoile autour du château du “promoteur”, comme on ne disait pas encore. Et puis, c’est l’épanouissement rapide de la Ville d’hiver, à partir de 1862. Sur les dunes dominant la ville, les frères Pereire imaginent une station suisse, mâtinée d’illusions gothiques et exotiques.

À partir surtout de 1886, entre en action la Société immobilière d’Arcachon, créée par Émile Pereire pour parer aux problèmes financiers qui l’assaillent alors. Elle possède le Grand Hôtel, plusieurs villas en Ville d’hiver et, même, l’usine à gaz et le puits artésien la jouxtant. Bref : elle est devenue indispensable dans la commune. La Société entaille des dunes situées dans un vaste quadrilatère limité au nord par le boulevard de la Plage, au sud par le boulevard Deganne, à l’est, par la dune Pontac et, à l’ouest, par l’avenue Nelly-Deganne. Et, avec un sens commercial évident, la Société immobilière appelle sa création “La Ville d’automne”. Et avec le même sens commercial, ses vendeurs visent cette fois une clientèle bourgeoise aisée. En l’occurrence, on n’a fait ni, dans la parodie montagnarde, ni dans la folie architecturale, même si, près la place Gounod, la villa “Les Ruines” élève sa silhouette sauvage et romantique, dans une imitation du Moyen-Age que l’on trouve dans nombre de lieux de villégiature . Par contre, si l’on remarque là quelques grandes villas qui ne manquent pas d’ampleur, beaucoup des maisons se rattachent à ce type de constructions pépères – et mémères – qui poussent un peu partout, de Soulac à Andernos, fantaisistes par quelques céramiques plaquées en façade mais, dans l’ensemble, guindées comme un perruquier invité à la Cour.

C’est seulement autour de cette place Gounod, cœur du nouveau lotissement, que le tracé des voies marque une nette organisation urbanistique. Mais elle se ramifie à l’est sur un secteur traversé en droite ligne par l’avenue de la République et de conception plutôt désordonnée. Cinq rues se ferment en impasses, parfois pittoresques, mais impasses tout de même. Beaucoup d’autres, tout autour de Saint-Ferdinand, se brisent en brusques angles droits, contribuant, elles aussi d’ailleurs, à la construction de la variété du charme des coins de rues arcachonnais. On circule là dans un village où les maisons basses dites “arcachonnaises”, entourées d’une galerie pour les repas à l’ombre et pour faire sécher les filets, ont tous les charmes de la vie simple.

Autre élément du puzzle urbain local : l’extension vers le Moulleau. Amorcée depuis 1860, autour de la chapelle des dominicains, elle se développe vraiment à partir de 1897 quand la Société immobilière du Moulleau, dont un des principaux actionnaires est le maire Veyrier-Montagnères, y vend de vastes terrains où s’élèvent d’altières villas et où se construit un grand hôtel, le tout faisant du Moulleau un nouveau lieu aristocratique fort recherché. Le puzzle s’agrandit à partir de 1930, lorsque le très influent industriel bordelais, Gabriel Maydieu – celui qui commercialise la source Sainte-Anne – regroupe ses vastes forêts avec celles de la famille Pagès.

C’est le début du lotissement de la SICA, (Société Immobilière de la Côte d’Argent) au sud-ouest de la Ville d’hiver. Il prend de l’ampleur surtout après la seconde guerre, grâce à son intelligente conception, basée sur le découpage en vastes terrains boisés et à ses constructions le plus souvent de style néo-basque qui lui donnent une pimpante unité architecturale qui plaît beaucoup aux fonctionnaires et aux commerçants locaux. Par la suite, à partir de 1960, le lotissement s’étend encore plus vers le sud, avec les capitaux apportés par Léopold Morel, ancien sénateur de Constantine. Reprenant la SICA, il y poursuit la même politique paysagère, pleine d’ampleur et déborde jusqu’à La Teste et jusqu’au Moulleau.

Enfin, la dernière opération immobilière d’envergure se fait, sous Lucien de Gracia, à partir de 1958. On découpe les quarante-quatre hectares de l’ancienne propriété d’Émile Pereire, ce parc qu’avait admiré Napoléon III. L’élégant style architectural adopté pour ses constructions n’affirme que très rarement l’âme locale : on le voit partout, dans ces années soixante, en Île de France, comme à Thionville. Hormis les écuries et un pont en garluche, rien n’y rappelle l’histoire du lieu. Fort heureusement, la phase ultime du lotissement, à l’est, adopte une architecture contemporaine des plus innovantes et des plus réussies. Fort heureusement aussi, en 1976, le docteur Fleury, alors maire, peut conserver au public toute la façade maritime du Parc, jusqu’à la plage des Abatilles. S’étale là un panorama, le plus large qui soit sur le Bassin et sur ses couchers de soleil dignes d’Assouan. Mais la création de ce parc a fait l’objet d’une belle polémique. C’est une autre histoire.

À suivre…

Jean Dubroca

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