A la fin du XIXe siècle, la Ville d’hiver inquiète Arcachon qui craint pour la réputation de sa ville d’été. A tel point qu’en 1897, on étudie même la possibilité d’ériger un casino en bord de mer. Pourtant, la Ville d’hiver reste un puissant moteur économique. D’autant plus que son air balsamique fait des miracles, ainsi que le relate le “Journal d’Arcachon” du 15 avril 1894, cité par Jacques Ragot : « Un monsieur, parti de Paris il y a quinze jours et monté en wagon sur un brancard, au bout de huit jours passés à l’hôtel de la ville d’hiver, se promenait au square des Palmiers et retournait à Paris, marchant sans l’aide d’aucun secours étranger. La baronne de Fontenay a vécu un fait identique il y a deux ans ». Alors, si la baronne le dit …
Néanmoins, à l’hôtel des Pins, le directeur ne donne pas de chaises longues car il ne veut pas exhiber des malades fréquentant son établissement. Et le très officiel “Guide annuaire d’Arcachon”, édité en 1903 par M. Guiraud, s’il écrit « on vient ici se soigner », il reste cependant très muet sur ce qu’on y soigne et sur les éventuels risques de contagion. C’est que, depuis un moment déjà et bien que l’on ait établi un circuit commercial entre ville d’hiver et ville d’été, Arcachon commence à se dire qu’accueillir ouvertement des phtisiques constitue, comme on dit aujourd’hui, « une contre-publicité ». D’autant plus que le docteur Lalesque lui-même n’hésite pas à écrire, toujours vers la fin de ce XIXème siècle : « Il y a d’un côté l’hygiène médicale et, de l’autre, l’hygiène électorale qui ont des intérêts totalement opposés ».
Car la Ville d’hiver, en ces années-là, cause bien des soucis aux édiles arcachonnais. Les polémiques s’exacerbent sur le projet avorté de la vente d’une partie du parc du casino, dénoncé par Deganne, ou sur l’affaire de la maison de tolérance dans la villa Paula, fermée par décision municipale. Ce qui, entre parenthèses, pousse les Testerins à se gausser sur la virilité des Arcachonnais. Par contre, on bâtit, de 1891 à 1894, la place “Oasis des Palmiers”. Cela met en colère des médecins car, protestent-ils, elle s’ouvre aux vents mauvais. Cela aussi ne compense pas l’échec d’un projet de golf dans cette ville d’hiver où l’on note même, une baisse de la fréquentation. Il faut donc réagir car il y a de l’eau dans le gaz.
Non point dans celui qui vient de l’usine installée au sud de la gare, en 1865, mais bel et bien de l’avenir de la Ville d’hiver dont les trois cents contagieux, reçus ici chaque année, inquiètent. Pourtant, Lalesque et ses collègues créent un service de désinfection mais cela ne suffit pas à assurer la sérénité chez les baigneurs. C’est alors que les élections du 26 juin 1897 amènent Jean-Baptiste Veyrier-Montagnères dans le fauteuil de maire. Cet agent de change bordelais y restera jusqu’au 17 juillet 1922. Un fait extraordinaire, que ces mandats renouvelés sur vingt-cinq ans, alors qu’Arcachon a connu quatorze maires, depuis 1857. La durée de son action apportera beaucoup à la ville, d’autant plus qu’il a compris qu’il faut la relancer.
En 1898, il organise une vaste campagne d’affichages dans les grandes gares de Paris et de toute la France ; en 1912, il allume, durant six mois, une publicité lumineuse dans Paris. Elle scintille sur ces mots « Arcachon : sa forêt, sa plage ». Ce qui suffit à donner la santé … Auparavant, en 1903, le nouveau maire a renforcé le centre de désinfection qui devient communal. Cela se traduit par trois cent cinquante désinfections de locaux chaque année, par la création d’une blanchisserie équipée de matériel spécial pour laver le linge des tuberculeux ou par l’utilisation d’un caisson spécial de désinfection. Sans compter les sept cent cinquante crachoirs de poche vendus par les pharmaciens arcachonnais, durant trois saisons hivernales à partir de 1987.
Constat : on meurt alors moins à Arcachon qu’ailleurs. Ici, le taux de mortalité n’atteint que quinze pour mille, contre vingt pour mille dans des villes de huit mille habitants. Dans la population locale, on n’a décelé que trente-trois phtisiques et, au collège Saint-Elme, seuls huit garçons ont été frappés, sur les neuf cent cinquante-quatre qui s’y sont succédé, de 1884 à 1903. On s’installe donc dans le statu quo et l’alliance du pouvoir médical et du pouvoir municipal, même réticent, fait alors si bien fonctionner la ville qu’à la veille de 1914, Arcachon connaît ses plus belles saisons, été comme hiver . Après, c’est une autre histoire.
À suivre…
Jean Dubroca