La Baleine

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Le 8 février 1908, « La Baleine » des Pêcheries du golfe de Gascogne, quitte le port d’Arcachon, direction Dakar, avec 260 tonnes de charbon et un mois de vivres, avec 19 hommes d’équipage : Jean Lauilhérou, 34 ans, patron, d’Arcachon ; Rousseau, 36 ans, second, d’Arcachon ; Cardouat, 48 ans, mécanicien, de Bordeaux ; Le Pan, 49 ans, chauffeur, d’Auray ; Laborie, 34 ans, chauffeur, de La Rochelle ; Migeon, 23 ans, chaufleur, de Royan ; Grosselin, 52 ans, graisseur, de Bordeaux; Jean Dupuy, 18 ans, novice graisseur, d’Arcachon ; Le jeune, 31 ans, matelot, de Douarnenez ; Dieu, 20 ans, matelot, d’Arcachon ; Lafon, 20 ans, Rustique, 20 ans, Castaing, 19 ans, matelots, de Gujan-Mestras ; Charles Dupuy, 19 ans, matelot, d’Arcachon ; Rochereau, 17 ans, Berrau, 17 ans, novices, d’Arcachon ; Peyrounat, 16 ans, mousse, d’Arcachon ; Labouyrie, 15 ans, mousse, de La Teste ; Charlier, 25 ans, mécanicien des appareils frigorifiques, de Belgique.

« La Baleine » construite à Dunkerque, armée à Arcachon le 16 octobre 1907, est un bateau de pêche très moderne : 900 tonneaux, 45 mètres de long, 7 mètres de large, un des premiers à être muni d’un système de réfrigération.

« La Baleine » fait route sur Dakar où il doit renouveler son charbon. Comme on n’a aucune nouvelle, les Pêcheries de Gascogne interrogent les parages du Cap Blanc, de la baie du Lévrier, des Iles Canaries, du banc d’Arguin, de St-Louis et de Dakar, où l’on suppose que « La Baleine » est en pêche.

On reste sans nouvelle jusque vers la mi-mars ; un yacht anglais aperçoit le bateau drossé à la côte au sud du Cap Juby et avertit les autorités françaises. « La Baleine » est munie d’une machine frigorifique à ammoniaque et, au moment de son échouage, tout le poisson frais qu’elle a à bord est en parfait état de conservation.

Le croiseur « Cassard », stationné à Dakar, et le croiseur « Descartes », stationné à Tanger, partent en reconnaissance. Le « Cassard » découvre l’épave et envoie à terre sa compagnie de débarquement qui ne trouve rien. Remontant vers le nord, il aperçoit les naufragés et les prend à son bord le 21 mars.

Dans la nuit du 24 au 25 février 1908, alors qu’elle fait route sur le Cap Juby, remontant de Dakar, « La Baleine » chargée de 2.000 langoustes et de 20 tonnes de poissons donne sur des rochers. Il s’en suit une voie d’eau nécessitant l’abandon du navire. Un va et vient avec la terre est établi et la totalité des vivres débarquée pour être aussitôt pillée par une tribu marocaine nomadisant près de la côte. L’équipage de « La Baleine » est bel et bien prisonnier des nomades qui prétendent ne le libérer que contre rançon. Il n’est pas maltraité, mais ne reçoit aucune nourriture. Pendant leurs vingt-quatre jours de captivité, les marins français ne subsistent que de coquillages ramassés sur la plage et de poissons crus, les Marocains les laissant en liberté pendant le jour et ne les regroupant que la nuit.

Mars 1908 : le Comité des assurances maritimes de Bordeaux avise M Veyrier-Montagnières que le chalutier à vapeur « Baleine », des Pêcheries de Golfe de Gascogne, s’est échoué le 25 février, en face du Cap Juby, en face des îles Canaries et que l’équipage, composé de 19 hommes, est prisonnier des Marocains et des Maures.

M Veyrier-Montagnières se rend immédiatement chez M le Préfet, qui s’empresse de télégraphier au ministre des Affaires étrangères et au ministre de la Marine, pour demander du secours.

En outre, M Veyrier-Montagnières télégraphie à M Cazauvieilh, député, pour le prier d’intervenir d’urgence, auprès du Gouvernement.

Une dépêche de Las Palmas à l’Evening News, de Londres, informe que le gouverneur marocain a promis la rançon des naufragés aux indigènes qui les menacent de mort ; un riche anglais, lord Mountmorness, offre aussi, par l’intermédiaire du Caïd, d’avancer la rançon aux pillards marocains pour la délivrance de l’équipage prisonnier.

À ces nouvelles, reçues le 18 mars, le Ministère de la Marine donne l’ordre à l’amiral Philibert, d’envoyer un navire de l’État, qui, de suite, fait route pour le Cap Juby en vue de porter secours à l’équipage. Le navire, envoyé par l’État est le croiseur de 2e classe « Cassard », à bord duquel se trouve le drogman de la Légation de France à Tanger.

Le roi Alphonse XIII fait demander à M Veyrier-Montagnieres communication des nouvelles relatives à la Baleine et lui exprime le vœu que l’équipage soit sain et sauf.

Voici le récit fait par le mécanicien du bord, M. Armand Chartier, de leur capture et de leur sauvetage : « La Baleine » est un bateau presque neuf parfaitement armé pour la grande pêche. Nous avons quitté Arcachon le 8 février pour aller pêcher dans les parages du Sénégal. Dans le courant de la nuit du 24 février, un vent d’une violence inouïe pousse « La Baleine » vers les côtes hérissées de rochers, et notre malheureux bateau ne tarde pas à s’échouer au milieu des récifs. Le jour vient, nous apercevons des Maures au nombre de 25 qui font force gestes pour nous inciter à débarquer à terre. Nous refusons en proie à la crainte, mais le troisième jour, 1a mer devenant intenable, nous atteignons la côte avec nos canots. Les Maures nous engagent à nous rendre à une forteresse bâtie pas les Anglais, nous les suivons et, après six heures d’une marche fatigante dans le sable au milieu d’une chaleur torride, nous arrivons au fort. On nous force à laisser nos bagages dans les salles inférieures et le lendemain, tout est pillé. Les Maures sont nombreux, ils nous donnent peu de nourriture, à peine 5 kilos de farine d’orge pour nous tous, un peu d’eau saumâtre, et nous devons suppléer à ce manque de nourriture par des coquillages. Les Maures gardent le souvenir du bombardement opéré par le « Galilée », mais ils exigent pour notre rançon la somme d’un million et demi et nous ne voyons aucun moyen de faire connaître notre malheureuse situation au monde civilisé. Une tentative opérée par quelques-uns de nos compagnons, qui s’efforcent de gagner le large échoue misérablement, ils durent rallier la côte et nos geôliers redoublent à notre égard de mauvais traitements. D’ailleurs l’entente ne règne pas entre nos ennemis, l’appât d’une forte rançon les incite à venir en nombre au cap Juby, c’est entre eux de longs et continuels combats, nous entendons le bruit de ces bataille couchés sur des nattes ; le temps nous semble d’une longueur démesurée et nous nous demandons comment nous pourrons sortir des mains de ces bandits. Vous savez comment nous seront délivrés grâce au sang-froid et aux efforts d’un généreux Anglais, M. Moothmoor.

Avertis on ne sait comment des recherches du « Cassard », les nomades lèvent le camp et font faire à leurs prisonniers soixante kilomètres à pied vers le nord. Ils s’arrêtent auprès d’un ancien fort portugais à côté duquel se trouve un village de sédentaires. Enfermés seulement la nuit dans le fort les Français poursuivent leur ramassage de coquillages sur la plage pour vivre. Un matin, en ayant assez de manger du poisson cru, ils avisent une sorte de construction en bois d’où ils tirent des planches pour faire du feu. Malédiction ! C’est le marabout d’un saint-homme enterré là, vénéré par les Marocains, qui sont déjà sur eux, vociférant, le poignard à la main.

Une nuit, le village est attaqué par une autre tribu. Tout le monde se réfugie dans le fort et des carabines sont confiées aux Français pour faire avec leurs ravisseurs le coup de feu sur les assaillants. C’est un beau baroud, la poudre parle longtemps, mais il n’y a ni mort ni blessé de part et d’autre.

Le « Cassard » arrive alors au cap Juby. Trois embarcations sous les ordres d’un enseigne viennent à terre. Le calife Hassen entame des pourparlers avec l’officier. Le commandant du « Cassard » averti par des signaux, sait ce qui se passe. Enfin, après de longues palabres, le commandant du « Cassard », voyant que l’on n’aboutit à rien, invite Hassen à monter à bord et là, comme argument suprême, on lui montre les canons braqués sur la côte, et les compagnies de débarquement qui s’apprêtent à aller infliger une magistrale punition aux Maures. Intimidé par ces préparatifs, le calife donne ordre de nous laisser partir et vous devinez la joie avec laquelle nous quittons nos bourreaux, et nous prenons contact avec nos compatriotes, que nous n’espérions plus revoir.

Le Hèraldo publie une dépêche de Las Palmas (Canaries) donant une autre version des faits : D’après le récit fait par un officier du croiseur « Cassard » que publie un journal local, la délivrance de l’équipage du chalutier Baleine, capturé par les Maures ne serait pas due à l’intervention d’un caïd, mais a un habile stratagème de lord Morris qui, ainsi qu’on le sait, est allé au cap Juby, pour tâcher de sauver les matelots français.

Lord Morris entre en pourparlers avec les Maures, ceux-ci lui demandent cinquante mille livres sterling pour rançon. Lord Morris accepte, donne rendez-vous à bord de son yacht à deux des principaux notables pour y terminer l’affaire et recevoir la somme demandée.

Les notables passent en effet à bord du yacht ; lord Morris leur dit alors qu’ils sont ses prisonniers et qu’il les garde comme caution de la vie des matelots français, ajoutant : « Faites donner immédiatement l’ordre de remettre vos captifs aux soldats du sultan. »

Les notables s’exécutent, l’équipage de « La Baleine » est conduit à la kasbah où il demeure en sûreté jusqu’à l’arrivée du « Cassard » qui les recueille ainsi que l’interprète de la légation, M. Mercier.

Les Marocains se sauvent à distance respectueuse et ne réagissent que lorsque les chaloupes quittent la plage avec les naufragés de « La Baleine », mais leur fusillade s’arrête instantanément quand les canons du « Cassard » entrent en action.

Les naufragés, d’après les renseignements recueillis à Tanger n’ont pas été faits prisonniers comme on l’a raconté, mais recueillis par le caïd du maghzen, installé dans un fort situé lui-même dans une petite île à proximité du cap Juby. Tous les soldats du caïd avaient déserté depuis deux mois, de sorte qu’il se trouvait seul avec ses femmes, ses domestiques et ses négresses. Il lui était, on le voit, difficile de faire des prisonniers. Il recueille donc les naufragés le 26 février et les entretient comme il peut jusqu’au 21 mars. Depuis le 10 mars, cependant, il doit discuter énergiquement avec les chefs de la tribu maure de Reguiba qui veulent emmener les naufragés en captivité pour en obtenir une rançon. Quoi qu’il en soit, dès que le « Cassard » débarque dans le fort l’interprète Mercier, le caïd, qui est originaire des environs de Fez, lui déclare qu’il est prêt à remettre au représentant de la France les matelots naufragés, et le prie de constater qu’ils ont été bien traités depuis leur naufrage. M. Mercier prend acte de ses paroles, le remercie et va avec lui jusqu’à une vieille factorerie anglaise abandonnée où le caïd avait installé ses hôtes. Là, les matelots confirment à M. Mercier le récit que lui ont fait les représentants du maghzen et, peu après, ils embarquent à bord du « Cassard ». Ceci se passe le 21 mars, à 9 heures du matin et le « Cassard » repart bientôt pour les Canaries, après avoir constaté l’impossibilité de renflouer « La Baleine », qui se trouve ensablée. Les caïds marocains qui avaient été embarqués à Mogador n’ont fait qu’acte de présence, mais n’ont pas à intervenir. Quant au lord anglais qui s’attribue l’honneur d’avoir solutionné l’affaire et dont le yacht mouillait près du cap Juby quand le « Cassard » y arrive, contrairement à ce qu’ont dit les journaux des Canaries, qui lui attribuent le mérite de la restitution des naufragés, les matelots de « La Baleine » déclarent ignorer en quoi sa présence ou son intervention aurait pu leur être de quelque utilité, le caïd marocain les ayant recueillis dès leur échouement. Ils ajoutent que ce dernier espère qu’il sera indemnisé pour leur entretien et qu’il recevra un cadeau pour le remercier de sa bienveillante attitude à leur égard. En attendant on lui a remis 50 sacs de farine.

Débarqués à Tanger par le « Cassard », les marins arcachonnais sont embarqués sur le cargo « Le Tell », de la Compagnie mixte, mais celui-ci, avant de gagner Marseille, a du cabotage à faire jusqu’en Tunisie ; il ne touche Marseille que le 14 avril.

On annonce de Gibraltar que le vapeur de sauvetage suédois « Neva », est parti pour aller au cap Juby, afin de tenter le renflouement du chalutier « La Baleine ». La « Neva » doit embarquer un certain nombre de soldats marocains pour protéger l’opération.

L’information au début du siècle n’est pas ce qu’elle est aujourd’hui et les marins ignorent tout de l’immense émotion que leur captivité a suscité en France. À Marseille, ils sont complètement stupéfaits de la réception qui leur est faite. Le lendemain, les rescapés de « La Baleine » sont également à la fête à leur descente de train en gare Saint-Jean, à 7h 40 du matin, où les attend M Veyrier-Montagnières, qui les conduit au buffet où il leur a fait préparer un déjeuner. Ils arrivent à Arcachon à 11h 20, accompagnés par M Veyrier-Montagnières. Sur le quai de la gare, dans la cour et sur tout le parcours, jusqu’à la mairie, il y a comme une véritable marée humaine : Vivats et embrassades se succèdent. M. Veyrier-Montagnières reçoit les naufragés dans son cabinet, leur offre une coupe de champagne et, au nom de la population arcachonnaise, boit à leur heureux retour.

Après la réception à la mairie, c’est au tour des Pêcheries du golfe de Gascogne ; après quoi, on se rend à l’Inscription Maritime. Par la suite, un banquet au Cap Ferret fait oublier à ces jeunes hommes le poisson cru du Cap Juby et le régime lacté auquel le médecin du « Cassard » crut devoir les soumettre pendant huit jours.

Il avait été décidé d’abord qu’une cérémonie religieuse aurait lieu, mais elle est renvoyée à lundi à cause de la Semaine Sainte ; ceux d’Arcachon appartiennent tous à la paroisse Saint-Ferdinand : leur curé ne les conduit pas en pèlerinage à la Chapelle des Marins, mais organise une messe d’action de grâces dans son église et les noms de 18 membres de l’équipage prisonniers des Marocains du 25 février au 21 mars 1908, sont gravés sur une plaque à gauche de l’autel de la Vierge.

À Saint-Maurice de Gujan, c’est saint Joseph qui bénéficie de la reconnaissance des rescapés gujanais, comme en témoigne la plaque : « Reconnaissance à saint Joseph. Les naufragés de « La Baleine ». Mars 1908. Rousseau, Lafon, Rustique, Castaing, Berran. »

Albert Rustique, qui fera par la suite une très belle carrière maritime, mobilisé pendant la guerre 1914-1918 fait escale au Cap Juby sur le bateau qu’il commande. Le pays, à la suite des accords franco-espagnols de 1912, est passé sous protectorat espagnol. La paix règne désormais sur la côte et les tribus ne se fusillent plus entre elles. L’ancien fort portugais est occupé par une garnison espagnole qui reçoit chaleureusement l’ancien prisonnier des marocains.

Albert Rustique, un des derniers survivants de « La Baleine », décède en janvier 1978. Il avait 20 ans lors de l’échouage et celui-ci faillit faire de lui un insoumis. Pendant qu’il ramassait, en effet, pour survivre des coquillages sur la plage du Cap Juby, son ordre d’appel sous les drapeaux arrive au domicile de ses parents et c’est tout juste si les gendarmes ne l’attendent pas au débarquement du train, le 15 avril 1908 !

N.B. Le patron Jean Lauilhérou passe devant le Tribunal Maritime de Bordeaux. Convaincu de négligence, n’ayant fait sonder qu’une seule fois au lieu de faire sonder toutes les heures, il est condamné à ne pas exercer de commandement pendant un an, mais avec bénéfice du sursis.

« La Baleine » a-t-elle été sauvée ? On la retrouve à Terre Neuve en 1910…

Oui le chalutier la Baleine a bien été sauvé. Après le naufrage, il a été renfloué et est rentré à Arcachon. Par pour très longtemps cependant, car suite à la faillite des Pêcheries de Gascogne survenue en 1911, « La Baleine » est achetée par adjudication par la Sté « La Morue Française » de Boulogne.

Après, qu’est devenu le chalutier ? Il faut laisser la parole aux spécialistes :

En vertu du droit d’épave, le sire de Lesparre réclamait en 1290, une baleine échouée sur le littoral et portant un harpon au flanc. En 1315, réclamation analogue.

 

Extrait de Pages d’histoire locale (Arcachon – La Teste – Le Moulleau – Pyla-sur-Mer) par Jacques Ragot – Imprimerie Graphica, Arcachon, 1986

L’Avenir d’Arcachon du 22 mars & 1er novembre 1908

https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k54312298.r=%22baleine%22%22Cap%20juby%22?rk=21459;2

https://gallica.bnf.fr/…/bpt6k54…/f2.item.r=baleine.zoom

À travers la Mauritanie occidentale (de Saint-Louis à Port-Étienne), par A. Gruvel,… et R. Chudeau, 1909

https://gallica.bnf.fr/…/bpt6k1100…/f314.image.r=baleine

La Croix des marins du 5 & 19 avril 1908

https://gallica.bnf.fr/…/f1.item.r=%22baleine%22%22Cap…

https://gallica.bnf.fr/…/f1.item.r=%22baleine%22%22Cap…

Arcachon-journal du 29 mars 1908

https://gallica.bnf.fr/…/f1.item.r=%22baleine%22%22Cap…

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