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Tempête de mercredi 9 janvier 1924

 

On sait qu’il y a des lapins sur l’Île-aux-oiseaux, mais beaucoup ignorent qu’on voit des vignes qui produisent un excellent raisin rosé cultivé avec soin par le garde Sensey qui faillit être englouti avec sa famille lors du raz-de-marée du mois de janvier. Nous avons visité cette île, où le commissaire-priseur bordelais M. Barnicou (je pencherais pour Alfred Barincou) possède une ravissante cabane et nous y avons vu des bandes de hérons dont le passage précoce annonce un hiver rigoureux.

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La tempête de mercredi 9 janvier 1924 cause de sérieux ravages à Pyla-sur-Mer. Chez M. Cantou (lire Canton, qui fait construire un chalet (l’Ermitage) après RisqueTout, quinze pins sont déracinés. M. Marchand, le restaurateur du Figuier (La Chaumière), a déménagé son matériel avant les menaces de la mer.

À Moulleau, tous les bateaux qui sont sur la plage ou même sur les terrasses des villas sont emportés. La mer est venue jusqu’aux cabines du Grand hôtel du Moulleau.

Les terrains des villas Briséïs et du maire de Bordeaux sont particulièrement éprouvés. Les barrières d’Ama-Baïta sont emportées.

La maison forestière (au Cap-Ferret) est inondée, l’eau arrive au ras du sommier. À 7 heures du matin, les réservoirs, la vigne, tout est emporté.

L’Île aux oiseaux est complètement recouverte de varech ; les chevaux sont noyés.

Les localités du fond du bassin partiellement inondées. Au jour, on retrouve des pinasses échouées un peu partout.  

Il y a des creux de 17m dans les passes, de 12 m sur l’île, de 7 m à Arès.

À Arcachon, “Ce matin à 7h, la pleine mer de grande marée qui normalement, devrait être de 1 m, a atteint, poussée par la tempête plus de 1 m 50”. Cette cote n’a jamais été constatée depuis 1882. La rue des Sables, la rue Marguerite, la rue Alexandrine, les voies adjacentes et la pointe de l’Aiguillon sont couvertes par environ 50 cm d’eau, sur environ 150 m². Les diverses usines et établissements situés sur la plage, à l’Aiguillon, éprouvent des dégâts, mais pas très importants. L’usine de conserve Rödel et les établissements de construction maritime Bossuet sont envahis par les eaux. Dans la rue des Martins, l’eau envahit les immeubles en bordure de la plage non protégés par des pierres. Il n’est pas possible de faire connaître exactement la hauteur atteinte par les eaux, attendu que le marégraphe des ponts et chaussées a cessé de fonctionner à partir de 5h du matin.

Le débarcadère d’Eyrac a beaucoup souffert. La jetée de la place Thiers est recouverte de varechs. Presque tous les bateaux, surtout ceux échoués sur la plage, sont en dérive. La force du vent est si formidable à la marée de cinq heures du soir, qu’un bateau est projeté jusqu’à 30 mètres dans l’intérieur de la place Carnot.

À St-Ferdinand, le maire d’Arcachon organise les secours avec un dévouement auquel tout le monde se plaît à rendre hommage. Les digues des réservoirs Johnston s’étant rompues, la Hume est inondée. L’Infante Eulalie doit déménager les meubles de la petite villa qu’elle habite sur le bord de la mer. Les bestiaux de M. Boutillier, propriétaire de l’Hôtel Jampy, nagent dans l’eau, comme des veaux marins.

À Gujan-Mestras, le quartier du casino de la Pergolette est submergé. Plusieurs sinistrés sont hospitalisés chez les habitants. De mémoire de marins on ne vit jamais la mer aussi furieuse, et non seulement près de l’Océan, mais même à l’Aiguillon qui était considéré jusqu’à ce jour comme un port de refuge. LÎle aux Oiseaux est complètement recouverte par les flots.

Dans le quartier de l’Aiguillon, presqu’île fort basse, les effets de la tempête se font terriblement sentir. Dès quatre heures du matin, mercredi, l’eau de mer, débordant le rivage ou refluant des égouts y fait irruption et surprend les habitants endormis. Les malheureux se trouvent vite cernés dans leurs maisons. Il y a jusqu’à cinquante centimètres d’eau chez certains. On entasse les meubles les uns sur les autres pour les sauver du désastre. En maints endroits, il faut fuir ! Heureusement aucune panique ni aucun accident ne se produisent.

Cependant l’inondation atteint les établissements Cameleyre, le Boulevard Chanzy et tous les environs ; la rue Alexandrine est dans l’eau jusqu’à la rue Coste ; toutes les habitations situées du côté est de cette dernière rue, entre le Bd Deganne prolongé et le Bd Chanzy, souffrent particulièrement de l’irruption subite des flots. Un grand nombre qui se trouvent en contre-bas dans le quadrilatère formé par les rues Coste, Alexandrine, Jean Michelet et le Bd Deganne, deviennent momentanément inhabitables.

Les écluses de l’égout collecteur, en grande partie à ciel ouvert, qui débouche dans le bassin au droit de l’établissement Berthomieu, n’ayant pas été fermées, tous les jardins compris entre l’octroi et les dunes du collège St-Elme sur le trajet de cet égout sont inondés par l’eau de mer ; ils en éprouvent un grand dommage et on n’y compte pas les récoltes perdues.

La route de la Teste, elle-même, est pendant quelques-temps submergée. Un peu plus, toute la partie basse, gagnée sur l’ancien bassin et protégée par elle se vengeait de la contrainte et reprenait ses droits !

Pendant la tempête, une cabane habitée à la pointe de l’Aiguillon, non loin du rivage par un travailleur du nom de Barrés est emportée dans un tourbillon. Par miracle l’occupant n’est pas blessé, mais seulement arraché de son lit dans un réveil un peu brusque…

Le malheur est que, quand la marée baissa, les eaux qu’elle avait amenées forment cuvette et stagnent. Une particularité d’Arcachon consiste en ce que certains points laissés bas derrière le littoral surélevé y forment en pareil cas de véritables lagunes. C’est ainsi qu’il existe rue de la Glacière et avenue des Merics, pendant la mauvaise saison, de véritables succursales du lac de Cazaux.

Dans l’après-midi de mercredi, les sinistrés de l’Aiguillon voient apparaître la pompe municipale. On craint une nouvelle catastrophe pour la marée du soir. Mais celle-ci doit être moins forte et le vent, quoiqu’assez violent encore, ne souffle plus en tempête.

Néanmoins, nous avons le plaisir d’apercevoir M. Gaillan, commissaire de police, devant les établissements Castelnau, et M. Bon, maire, dans la rue Duchenne, où se trouve un bas-fond encore très éprouvé. Pendant quelques instants, la pompe puise dans ce lac de l’eau qu’elle envoi dans les ruisseaux du boulevard Chanzy. Vers 20 heures, la pompe s’arrête, la marée baisse, mais il reste beaucoup d’eau dans la cuvette…

A. de R.

L’Avenir d’Arcachon du 13 janvier 1924

https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k5421814m/f1.image.r=raz%20de%20maree [2]

L’Avenir d’Arcachon du 5 octobre 1924

https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k5422200t/f1.item.r=vigne [3]

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