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Société générale foncière du Sud-Ouest

Il n’est bruit en ville que de l’arrestation d’Edmond Coussirat ; comptable d’un entrepreneur de travaux publics, elle soulève à Arcachon une vive émotion. L’affaire pourrait déclencher un gros scandale financier

Ce quinquagénaire de bonne famille, portant beau et ayant monocle, inspirait confiance à tout le monde. Sa distinction, son langage châtié, en imposaient. Propriétaire de plusieurs immeubles, il passait pour jouir d’une agréable aisance. Il se rendait à son travail en auto et regagnait à midi et le soir son élégant collage de Meyran, près de Gujan-Mestras. Il ne semblait pas se livrer à des dépenses excessives et ne jouait pas.

[1]L’arrestation d’Edmond Coussirat, opérée à la suite d’une plainte de M. Gaume, entrepreneur de travaux publics à Arcachon, soulève une vive émotion. M. Louis Gaume est administrateur délégué de plusieurs sociétés, sept, nous a-t-on assuré, et, depuis quatre ans, il a comme comptable Edmond Coussirat. Ce dernier est en réalité une sorte de fondé de pouvoirs de l’entrepreneur. À la fin octobre, Coussirat quitte M. Gaume pour prendre le 1er novembre la direction de la Société générale foncière du Sud-Ouest (toujours en activité), poste qui lui était confié, parait-il, par un des dirigeants de cette Société, et qui avait été précédemment occupé par M. Gaume.

Ce dernier ayant, entre temps, examiné la comptabilité de son ancien collaborateur, y relève des irrégularités qui motivent la plainte au Parquet de Bordeaux.

Edmond Coussirat, arrêté sur la plainte de M. Gaume, pour faux, usage de faux et escroqueries, n’est donc pas l’escroc classique, joueur et débauché. On s’explique d’autant moins son geste qu’il ne semble nécessité par aucun besoin particulier d’argent.

D’après la rumeur publique. M. Gaume a été très affecté de se voir en quelque sorte, et sans raison, supplanté par l’homme qui a été son caissier-comptable. M. Gaume, petit patron au lendemain de la guerre, acquit par la suite une situation brillante par son travail, son activité, ses capacités professionnelles

Généreux philanthrope, il a fait construire à ses frais une école sur un terrain légué au Moulleau par M. Loude en 1932. Il a d’autre part promis par lettre de donner une somme de 100 000 francs pour la création d’un hôpital à Arcachon.

En ce qui concerne la plainte qu’il porte contre Edmond Coussirat, M. Gaume se refuse à toute interview. L’entrepreneur déclare cependant que dans trois ou quatre jours la lumière serait faite. Il ajoute que les détournements dont s’est rendu coupable Coussirat ne dépasseraient pas 100 000 francs. Employé de M. Gaume, administrateur délégué de diverses sociétés arcachonnaises, il avait souvent l’occasion de réclamer à ce dernier de l’argent, soit pour la paie des ouvriers, soit pour tout autre motif. Ses dépenses étaient réglées par chèques à l’ordre du caissier, qui, par exemple, pour un chèque de six mille francs ajoutait le mot vingt et le chiffre 2 et obtenait ainsi un chèque de 26 000 francs.

On a le sentiment dans la région que l’affaire Coussirat pourrait déclencher un gros scandale financier, d’ici quelques jours. L’ancien comptable de M, Gaume, dès sa nomination en qualité de directeur de la Société générale foncière, installa son bureau au premier étage d’un immeuble cours Lamarque de Plaisance, 117, à l’angle de la rue Thomas-Illyricus. L’ameublement est modeste. À différentes reprises Coussirat aurait demandé à l’entrepreneur de lui remettre certains registres concernant la Société foncière, mais il aurait essuyé un refus catégorique. La même demande aurait été formulée par ministère d’huissier pour un résultat pareillement négatif.

L’ex-comptable de M. Gaume était visiblement soucieux et ennuyé de ne pas avoir lesdits registres en sa possession.

C’est dans son bureau qu’il fut appréhendé par M. Picot, commissaire de police d’Arcachon en vertu d’un mandat d’amener de M. le juge Parisy, et conduit à Bordeaux par le train entre deux gendarmes.

Aussitôt après son arrestation, les scellés sont apposés sur son bureau.

Edmond Coussirat habite avec sa femme un élégant petit cottage situé à Meyran. Mme Coussirat, depuis l’arrestation de son mari, a quitté Meyran pour aller chez des amis à Bordeaux.

La servante est très étonnée et surtout affligée que son patron soit en prison. À l’en croire, le comptable aurait apposé sa signature sur une pièce relative à une société fictive. On l’aurait engagé à signer cette pièce en l’assurant qu’il n’encourrait aucun risque. Quoi qu’il en soit, quel est cet « on » ? Il appartiendra au magistrat instructeur de le découvrir.

L’inculpé Edmond Coussirat est né à Bordeaux. À Meyran, il est sympathiquement connu, passe pour être bon et serviable. À Arcachon, au contraire, on est moins élogieux à son égard, tout en reconnaissant qu’il inspire confiance par son allure et ses manières. Il fréquente les brasseries et se livre à d’assez grosses dépenses. Coussirat a plusieurs cordes à son arc. La science des chiffres ne l’empêche pas de s’intéresser aux choses théâtrales. Il a écrit plusieurs pièces et des revues. Une de celles-ci intitulée « La Fille de Mme Chibosse » (probablement empruntée à Despaux – voir plus bas) a été représentée il y a quelque temps à la Scala de Bordeaux.

Madame Coussirat, elle aussi, tient au monde théâtral. Habilleuse-modiste, son talent s’est exercé sur les têtes des plus grandes vedettes. Les Folies-Bergères, le Moulin-Rouge, le Casino de Paris – et ce n’est pas peu dire ! – ont utilisé ses services appréciés. Elle était depuis peu – en février dernier – rentrée d’une tournée en Algérie où elle avait habillé et coiffé tous les artistes du Grand Théâtre d’Alger, lorsque l’arrestation de son mari est venue la jeter dans une consternation bien compréhensible.

Edmond Coussirat déclare qu’il ne s’expliquerait sur le fond qu’en présence d’un avocat.

Nous ignorons les conséquences possibles de cette arrestation sensationnelle. Nous ne voulons ni ne pouvons prévoir les décisions de la justice. Elle seule qui a tous les éléments en main, est capable d’apprécier. Nous ne tiendrons donc aucun compte des bruits qui circulent en ville, bruits, qui s’ils se réalisaient, auraient des répercussions incalculables. Le plus sage en l’occurrence est de garder son sang-froid et d’attendre les événements.

 

L’Avenir d’Arcachon du  16 novembre 1934

https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k5422091z/f1.item.r=%22meyran%22.zoom [2]

Paris-midi du 15 novembre 1934

https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k4728806r/f1.image.r=%22Edmond%20Coussirat%22?rk=21459;2 [3]

 

Né en 1844 sur le cours Victor-Hugo, non loin de la Flèche Saint-Michel, Ulysse Despaux qui fait ses débuts à l’Alcazar va conquérir le cœur des bordelais en créant des personnages populaires, véritables petits chefs d’œuvre d’observation. Comme le fut Meste Verdié sous la restauration, Ulysse Despaux va devenir un précieux témoin de la vie bordelaise. Ernest Toulouze, rédacteur en chef de la « Vie bordelaise, dit de notre artiste : « son horizon est borné, au nord par Blanquefort ; au sud par Bègles ; à l’est par La Bastide et à l’ouest par Pichey. Mais dans ce périmètre rien n’échappe à son œil ; les êtres et les choses y vivent pour lui et revivent par lui ».

Son imposante silhouette, sa large lavallière émergeant d’un veston serré, resteront légendaires au point de figurer sur le monument élevé à sa mémoire à l’ombre de la Flèche Saint-Michel (le connaissez-vous ?  La rue Ulysse-Despaux donne sur la place Saint-Michel, et dans son prolongement se trouve sa statue). Le plus typique et populaire des bordelais de la « belle époque » aura laissé un souvenir impérissable au petit peuple de sa ville.

[4]Ulysse Despaux aime particulièrement mettre en scène les insultes des marchandes des Capucins, mesdames Chibosse et Jendebite, avec le vocabulaire de poissons pas frais ou les dialogues entre caulegues appelés Croque-Tomate, Bavous ou Pibale. Et toujours avec l’accent de Bordeaux où l’on prononce toutes les lettres, se moquant de l’accent pointu des Parigots qui mangent la moitié des mots.

Un « costel » de Bordeaux et la jeune Mme Chibosse au Marché du Pont de Pierre : Le marché du Pont de Pierre est célèbre vers 1910 pour la liberté de langage de ses maraîchères qui parlent le « pichadey » (mélange de gascon, d’occitan, de patois comme le charentais, de gens de la Dordogne, d’espagnol, de basque. Avec la présence des Capucins, il y a une immigration de populations, d’abord des régions proches et puis au-delà des frontières). C’est là que Despaux (1844-1925) prend le modèle de sa Commère bordelaise, Mme Chibosse. Nous avons supposé la rencontre, au coin du Pont, d’un Costel de Saint-Michel (l’équivalent de l’Apache parisien et du Madure bordelais) avec la fille de Mme Chibosse, à laquelle il propose d’exercer un autre métier que celui de sa mère.

https://www.musba-bordeaux.fr/sites/musba-bordeaux.fr/files/images/rich_text/1957-_1900_la_belle_epoque_a_bordeaux.pdf [5]

https://www.bordeaux-gazette.com/les-spectacles-a-bordeaux-ulysse-despaux-le-celebre-roi-du-cabaret.html [6]

https://participation.bordeaux.fr/uploads/decidim/attachment/file/81/AB6_bordeaux.pdf [7]

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