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Salles – Port d’armes

La question du port d’armes, réservé à la noblesse, se pose, dans les Cahiers primitifs de doléances, au point de vue de l’égalité plutôt qu’au point de vue de la liberté. Nous voyons ce privilège féodal, très-vivement défendu par le second Ordre, succomber sous la juste réprobation du troisième avec tous les autres. Les masses rustiques réclament unanimement le droit de posséder et de porter des armes, parce que, « avec sa liberté, chaque citoyen a droit de prétendre à sa conservation et à sa sûreté personnelle. Que les voyageurs puissent avoir des pistolets apparents ; que les chefs de famille, dans les campagnes, puissent avoir chez eux des armes à feu, soit pour se défendre contre les attaques nocturnes des brigands, soit pour garantir leurs personnes et leurs propriétés des animaux nuisibles, surtout des dégâts des bêtes fauves. » En émettant ces vœux, beaucoup protestent avec énergie contre les désarmements ordonnés et exécutés tous les jours, au mépris de l’inviolabilité du domicile et de la personne des citoyens, par les commandants des provinces, les gardes-chasse particuliers, les capitaines des chasses royales et les cavaliers de la maréchaussée. Les capitaineries sacrifiaient l’agriculture aux bêtes réservées pour les plaisirs du roi, des princes et des riches seigneurs ; elles tyrannisaient les campagnes à un tel point que les malheureux paysans ne possédaient ni liberté individuelle, ni propriété, ni sûreté, sur une étendue de quatre à six cents lieues carrées. Les gardes-chasse, « fainéants toujours vils et abjects, violaient en plein champ, sous les yeux de leurs parents, les pauvres filles qui osaient leur résister. Brutaux, féroces, accoutumés au sang, dès qu’ils croyaient s’apercevoir qu’un délit de chasse se commettait ou allait se commettre, ils armaient leurs fusils, tiraient et tuaient. » Le meurtre d’un manant, soupçonné d’avoir tendu un filet ou convaincu d’avoir refusé de livrer un chien trouvé, restait toujours impuni. La moindre résistance aux agents des capitaines, brutalisant les personnes, se livrant à des perquisitions domiciliaires, suivies de saisies ou de vols, entraînait les plus graves conséquences. Arrêté, au nom du roi, avec ou sans ordre spécial des capitaines, on risquait de n’être jamais relâché et de mourir en prison. Sur la déposition verbale d’un seul garde, faisant foi sans autre preuve, on était déclaré coupable et condamné, sans recours possible aux juges ordinaires. Les capitaineries royales formaient la dernière juridiction de l’administration des eaux et forêts, seule compétente en matière de contraventions forestières et fluviales, de délits de chasse et de pêche. La suppression immédiate de ces exécrables capitaineries et des grandes maîtrises, tel est le vœu unanime du peuple, tel est aussi le vœu d’un assez grand nombre de privilégiés. Les trois Ordres ne se donnent pas la peine de rechercher par quels moyens pourraient être à l’avenir prévenues et réprimées les violations de la liberté individuelle, dont les fermiers généraux, les commis des aides et gabelles, les percepteurs des tailles et, en général, tous les agents du fisc se rendent journellement coupables. Changeant la base de l’impôt, substituant au droit royal d’extorsion infinie le devoir civique de coopérer aux charges publiques, publiquement acceptées et déterminées, ils ruinent d’un seul coup l’ancienne administration financière. Cependant ils n’oublient pas de dénoncer « la tyrannie de la fiscalité, l’arbitraire intolérable des suppôts de la Ferme, de ces gens sans aveu, tous fainéants, la plupart vicieux et tarés, qui sont crus dans leurs procès-verbaux sur leurs simples dépositions » ; l’ordonnance de 1597 exige que les rapports des gardes-chasse soient faits par écrit ; mais presque jamais les gardes-chasse ne savent lire ! La population réclame des caméras-piéton… Ils lancent l’anathème à « l’inquisition des Aides qui met le citoyen à la discrétion des commis. » L’Édit des Gabelles, « déjà jugé par les Notables et condamné par le cœur du Roi » est flétri, dans les Cahiers, comme le code le plus inique qu’ait jamais inventé la tyrannie fiscale : la France entière prend parti pour ces malheureux qui, au nombre de 3 000 par an, enfants, femmes et hommes, convaincus, prévenus, suspects de faux-saunage ou de complicité dans la contrebande du sel, sont saisis, dépouillés, fouettés, bannis, emprisonnés, jetés aux galères, quelquefois condamnés à mort ou assassinés par les commis et gardes des Gabelles. Si l’on admet que la contrebande doive être réprimée, on entend qu’elle le soit avec humanité et justice ; on ne soutire pas que l’inviolable domicile des citoyens reste exposé aux perpétuelles invasions des commis du fisc. « Aucune visite domiciliaire, sous prévention de fraude, ne pourra être faite chez les particuliers sans que les officiers municipaux du lieu soient présents » demande la noblesse du Lyonnais et les communes de Bigorre. La perception des impôts, alors même qu’elle est opérée par les agents directs du gouvernement, par exemple celle des tailles par les subdélégués des intendants, donne lieu à de perpétuels attentats contre le domicile, la personne et la propriété du pauvre. « En général, quand le pauvre a affaire à l’État, dit Tocqueville, il ne trouve que des tribunaux exceptionnels, des juges prévenus, une procédure rapide ou illusoire, un arrêt exécutoire et sans appel. »

Nulle part l’indignation populaire n’est plus vivement exprimée que dans le Cahier de la communauté de Salles en Buch (Guienne).

 

Le génie de la Révolution. Les élections de 1789, Charles-Louis Chassin, (1831-1901), 1863

https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k4223309h/f81.item.r=%22%20Salles%20en%20Buch%20%22# [1]

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