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Maison Verthamon (Hôtel de Ville)

[1]La Teste possède très peu d’édifices anciens, car, dans ce pays de sable et de forêt, la pierre est un matériau de luxe. Pour construire en dur, on utilise la poreuse roche d’alios ou bien des pierres provenant du lest des navires venus de Bretagne et même, sans vergogne, on emploie les pierres des ruines du château des captaux.

À l’heure où des pans entiers du passé la ville disparaissent, emportés par la spéculation immobilière qui engloutit les traces d’habitations souvent modestes mais images de sa vie maritime, forestière et agricole, la survivance d’hôtels particuliers du XVIIIe siècle constitue une précieuse richesse.

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L’hôtel Verthamon, dit « de Caupos » fait partie de ces quelques rares et belles demeures qui témoignent encore de la longue histoire testerine.

De style Louis XIII, l’hôtel semble bien, selon un acte de vente ultérieur, avoir été construit par la famille bordelaise des Chassaing.

Il y a 3 frères qui portent le nom de Chassaing, ils sont « bourgeois de Bordeaux », titre porté dans la famille depuis la fin du XVIe siècle. Le premier est Antoine Chassaing, procureur à la Cour, qui obtient ses « lettres de bourgeoisie » le 26 janvier 1581. En 1663, c’est Maître Claude Israël Chassaing qui est titulaire du titre, puis le 1er mai 1762, celui-ci passe à 3 écuyers, Jérôme, Joseph et Antoine Chassaing qui ajoutent la particule à leur patronyme.

On trouve Jérôme Chassaing à La Teste quand, le 6 août 1766, le sieur Ledré, représentant Hiérome de Chassaing, écuyer, prêtre et curé de Cenon, passe une transaction avec Nezer afin d’interdire l’usage du bois de la Montagne pour l’alimentation des forges que celui-ci prévoit d’installer.

Dans un acte du 13 octobre 1774, on le retrouve, neveu de Messire Joseph de Caupos – les deux familles sont alliées depuis 1724. Il est alors Seigneur de la Maison noble de Palu.

On le revoit encore en 1786 (où il est mentionné que son homme d’affaires est Jean Ledré) puis le 10 janvier 1787, toujours prêtre, docteur en théologie et curé de Saint Romain de Cenon lors de la reconnaissance comme seigneur du fief de Palu, ancienne maison noble d’Antoine de Podio en 1604. Ce fief existait depuis le 9 décembre 1565 comme l’atteste un acte du notaire Laville. Curieusement il est alors appelé Ambroise et son représentant est Pierre Peyjehan fils aîné.

Comme en 1748, c’est Joseph de Caupos, dont il est le neveu, qui est seigneur de Palu et propriétaire de la parcelle dite de Peymau dans la « Montagne de la canau ». Un indice, contenu dans un acte du 10 septembre 1748, dit que la partie qui jouxte au nord les propriétés de Peyjehan de Francon s’appelle désormais Machens. Les deux pièces de Machens et Chassaing sont donc séparées. D’après le notaire Peyjehan, le sieur Duprat Biribane en aurait reconnu la mouvance féodale le 18 décembre 1748 (acte non retrouvé mais cité en 1782) et sa pièce est située à l’ouest de celle du « curé chassain ». Jérôme de Chassaing, neveu de Joseph de Caupos, meurt à Cenon le 9 août 1789.

Plus avant, un Jean Chassain, Écuyer, est avocat et Conseiller au Parlement de Bordeaux ; décédé avant son épouse Jeanne Dubernet †1724, ils ont pour enfants Ambroise, Jérôme et Catherine.

  Ambroise Chassain est né le 17 mai 1682, rue de la Devise à Bordeaux ; il est baptisé le jour même dans sa paroisse, Saint André. Écuyer, il se marie, le 11 septembre 1724 paroisse Saint Projet, avec Élisabeth Caupos †1758/, union dont sont issus Messire Jérôme de Chassaing ca 1725-ca 1807, écuyer, Seigneur de Beauséjour et du Thil, membre de l’Assemblée de la Noblesse à Bordeaux en 1789, et un nouvel Ambroise de Chassain 1734-

Élisabeth Caupos est la fille de Messire Jean François de Caupos †/1724 et Margueritte de Sanguinet †1724/

L’hôtel Chassaing passe – par héritage ou vente ? – à la famille de Caupos, d’où son autre nom.

La richesse des Caupos provient de leur propriété de pins en forêt usagère qui leur permet de développer un fructueux commerce de produits résineux. Tellement fructueux qu’ils achètent la baronnie de Lacanau, la seigneurie d’Andernos et la vicomté de Biscarrosse. Autre de leurs acquisitions : celui de charges de conseillers au Parlement de Bordeaux, ce qui en fait, tout aussitôt, des nobles héréditaires.

Mme de Caupos, veuve d’Antoine [Ambroise ?] de Chassaing, écuyer, seigneur de Beauséjour, hérite de son frère Joseph de Caupos, et en cette qualité possède plusieurs domaines, terres et fonds considérables dans la paroisse de La Teste ; le 27 mars 1766, elle donne mandat à son fils Jérôme de Chassaing, seigneur de Beauséjour, afin d’assister et la représenter dans toutes les assemblées qui seront tenues par MM. les propriétaires des fonds et les manants et habitants du captalat de Buch, pour les litiges liés à la forêt usagère.

Marie de Caupos, née à La Teste le 24 juin 1724, se marie le 12 mai 1745 avec François de Verthamon d’Ambloy, né à Bordeaux le 21 mai 1710, premier président du Parlement bordelais, a sept (ou huit)  enfants. Elle est seule héritière de Jean-Baptiste de Caupos, ancien capitaine d’infanterie.

Martial François de Verthamon décède le 19 mai 1787 à Bordeaux. Lors de la Révolution, deux de ses garçons émigrés en 1791, ne reviennent pas ce qui entraîne la saisie par l’État de la part de leurs biens ; ceux-ci se résument :

À  Bordeaux, une maison 67, cours Tourny ; une remise et grenier rue de la Taupe.

À Gujan, bien de Verdalle (maison, moulin et 49 journaux).

Au Teich, maison et 27 journaux de terre et bois, 3/8 journaux de lande.

À Lège, 24 journaux

À Andernos, château, moulin, 14 journaux 1/2 terre.

Au Porge, 4600 arpents de lande.

À Lacanau, maison, 68 journaux de jardin, pré, 106 journaux de bois, 4223 journaux en pignada, 18300 journaux de lande.

À St-Yzan, domaine de Mazail, 175 journaux ; métairie de la Grande-Vignolle, 206 journaux.

À La Teste, c’est un domaine considérable qu’il serait trop fastidieux de décrire.

En novembre 1793, la municipalité de La Teste s’installe dans l’Hôtel Verthamon devenu public, en chassant des militaires qui en ont fait leur casernement depuis 1792.

Mais, en janvier 1794, l’Hôtel échappe à la commune car le juge de paix, Jean Turpin, ancien maire, surenchérit lors de la mise en vente du bâtiment comme « bien public », sans doute satisfait d’avoir joué ce mauvais tour au maire en exercice, Jean Fleury, qu’il n’apprécie guère.

Malgré les interventions de Fleury auprès d’Izabeau, représentant du peuple à Bordeaux, Taffard jeune acquiert le bien en janvier 1797.

Un autre Taffard, par une transaction fort opportune, acquiert l’immeuble seulement six mois après la précédente opération afin d’y élire domicile, ce qui coupe court à une revendication communale.

Au XIXe siècle, l’hôtel passe du second Taffard à Jean Fleury. Celui-ci s’y installe, avec sa fille et son gendre, Jean Hameau.

En 1830, une partie de la maison est à nouveau louée à la commune pour un loyer annuel de 100 F, lorsque que Jean Fleury accède aux fonctions de maire (1830-1840).

Trente-quatre ans après en avoir été chassée, la mairie revient donc dans des lieux qui, par leur prestige lui conviennent bien. Mais le mauvais sort la poursuit.

À la mort de l’épouse de Jean Fleury, Rose Catherine Boulart, certains biens sont placés en indivision entre leurs trois enfants : Marguerite Hélène, l’épouse de Jean Hameau, Marie Eucharis, épouse Lefranc, et Jean Alexis Solon ; puis les deux sœurs après la mort de ce dernier.

En 1840, le tribunal civil de Bordeaux décide de leur vente (14 lots) et la mairie, dépitée, doit quitter les lieux, condamnée de nouveau à l’errance, « sans domicile fixe » dirions nous aujourd’hui.

En 1841, le couple Hameau rachète le deuxième lot, constitué par la maison qui nous intéresse. En 1842 la Commune propose de l’acheter pour y construire salle d’asile (école maternelle), mairie et justice de paix car « il est vraiment pénible de voir les premières autorités de la commune sans chambre spéciale pour tenir leurs séances, de voir la justice se rendre le plus souvent dans des lieux destinés aux rires et aux plaisirs » (Conseil municipal du 10 novembre 1842).

Le 3 février 1843, il est donné lecture d’une lettre de Jean Hameau « par laquelle il offre de vendre à la commune sa vaste maison près de l’église avec ses dépendances, moyennant la somme de 22 000 F. ». L’enquête commodo et in commodo révèle des oppositions, principalement de propriétaires ayant fait des contre-propositions à la commune (Conseil municipal du 16 mars 1844).

Le Conseil, dans sa séance du 7 juin 1844, n’en décide pas moins son acquisition, pour 25 000 F. Cet achat doit être financée par un emprunt que les autorités municipales espèrent rembourser par une augmentation des revenus de l’octroi « en raison directe de l’augmentation des voyageurs amenés par le chemin de fer, augmentation qui devra naître de l’achèvement prochain du débarcadère d’Eyrac ».

En 1846, devenu maire, Jean Hameau revend l’immeuble, devinez donc à qui ? Facile me direz-vous ! : suite à une ordonnance du 23 juin 1846, le bâtiment entre ainsi dans le patrimoine communal par acte passé devant Maître Dumora, le 20 novembre. Jean Hameau, qui a pris la succession de Clément Soulié comme maire (1844-1848), retourne habiter dans la maison achetée par son père en 1791, au 21 de la rue du 14 Juillet.

Pour la troisième fois, en soixante ans sa municipalité retrouve l’hôtel Verthamon !

Au fil du temps, des aménagements plus ou moins importants sont réalisés : dans les années 1870, dans les années 1920, grâce au legs Debrousse, dans les années 1980…

Gustave Hameau, à l’occasion de la cérémonie d’inauguration de la statue de son père, Jean Hameau, évoque sa maison natale : « En entrant ce matin dans l’hôtel-de-ville de La Teste, je n’ai pu me défendre d’une vive émotion. Figurez-vous un voyageur parti très jeune de son pays et se retrouvant, après un demi-siècle d’absence, transporté tout-à-coup dans la maison familiale ou s’écoula paisiblement son enfance, entre un père, une mère bien aimés et deux sœurs chéries… » (L’Avenir d’Arcachon du 7 juin 1900).

Dès lors, pendant plus de 168 ans, l’historique lieu est l’hôtel de ville testerin. Il devient alors le centre des heurts et des malheurs du pays durant tout ce temps-là, connaissant peu de modifications. Il perd sa grille d’entrée au début du XXe siècle

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et se trouve orné, sur sa façade nord en 1920, par deux obusiers pris à l’ennemi et disposés de part et d’autre du péristyle. Lequel ennemi récupère ses canons en 1940…

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En 1991, on enlève le clocheton au soubassement en bois ajouré et devenu vétuste qui domine la construction.

Le fort développement démographique de la commune oblige les services municipaux à de profonds aménagements intérieurs des bureaux. Malgré tout, les services municipaux se trouvent si à l’étroit qu’ils sont dispersés en plusieurs lieux de la ville.

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Il faut donc se résoudre à déménager et une nouvelle mairie est inaugurée en 2014. Sa conception en ferraille et en verre en fait un bâtiment translucide, pour ne pas dire transparent, certes imposant mais sans âme mais pas sans vie : les dossiers s’entassent contre les fenêtres donnant à cet hôtel de ville l’allure d’un camp romanichel ; l’exact contraire de l’Hôtel Verthamon qui trône en face et si bien intégré à l’histoire testerine.

L’Hôtel Verthamon ne figure sur aucun classement de protection et risque la disparition. Il est sauvé par l’idée de le transformer en un centre culturel particulièrement original : une « bibliothèque hybride » baptisé « La Centrale », il s’agit d’en faire, souhaitent ses sept animateurs, « un lieu que les habitants peuvent s’approprier et fréquenter régulièrement car c’est un endroit de loisirs, de découvertes, de formation et de création. Cela grâce à des espaces qui incitent à la curiosité, à l’expérimentation et aux pratiques amateurs, au partage de l’actualité du monde, facteurs de lien social ». Pratiquement, cela se traduit par « le Plateau Arts Numériques pour faire émerger de nouvelles pratiques culturelles en invitant à la création autour de la musique, du graphisme, de la vidéo et des jeux ». De plus, un « Espace public Numérique » accompagne au quotidien les usagers dans leurs pratiques courantes. Enfin, des documents numériques et imprimés à emprunter ou à consulter sur place complètent des offres d’activités épaulées par la salle consacrée au souvenir du docteur Jean Hameau qui constitue un centre de ressources historiques, animé par l’association qui conserve la mémoire du praticien.

Ainsi, le patrimonial Hôtel Verthamon, riche point de repère sur la longue histoire testerine, devient un original outil pour la construction de son avenir.

http://naissancedarcachon.free.fr/La%20permanence%20de%20la%20propriete%20fonciere.htm [6]

https://bassin-paradis-academie.com/2017/07/25/la-centrale-quez-aco-des-vieilles-pierres-tout-numerique/ [7]

https://www.latestedebuch.fr/les-articles-du-mag/lhotel-de-caupos/ [8]

Département de la Gironde, documents relatifs à la vente des biens nationaux. Districts de Bordeaux et de Bourg / publiés par Marcel Marion (1857-1940), Joseph Benzacar (1862-1944), Georges Caudrillier, (1865-19..). Éditeurs scientifiques ; date d’édition : 1911-1912

https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k9618774r/f229.image.r=chassaing%20teste%20de%20buch%20caupos?rk=944210;4# [9]

Mémoire sur la propriété des dunes de la Teste, André Ferradou, 1930

https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k9763548n/f79.item.r=caupos%20teste%20de%20buch/f79n1.texteBrut [10]

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