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La scierie Lafon-Martin

[1]Notre ami feu Jean-Claude Garnung croit être bien placé pour répondre à la question posée par la correspondante d’Aimé à propos de la scierie Lafon-Martin, avenue du Val de l’Eyre, qui a cessé son activité en 1965 ; les locaux abritent ensuite une manufacture de chaussures jusqu’en 1975 (30 salariés). Cette scierie a été en effet celle que son père, Raymond Garnung a rachetée en 1930 et dans laquelle il a lui-même travaillé de 1953 à 1965.

[2]

La scierie a été construite vers 1850 par M. Lafon (et Martin ?). Reprise en 1884 par la coopérative de produits résineux « Miossaise des bois » qui ajoute aux activités de la scierie, celle d’une distillerie de résine. [3]

Usine de Produits Chimiques la Miossaise. La “Miossaise des bois” déclarée en faillite, elle est rachetée en 1937 par Raymond Garnung qui exploite déjà avec son père une autre scierie située en bord d’Eyre, à l’endroit où aujourd’hui se trouve une halte nautique, près du pont, dont les origines remontent à 1880.

Étude de Me Gouais-Lanos, avoué à Bordeaux, 4, rue de Cheverus. (Tél. 21.70). — Vente au Tribunal, le 13 mai 1937, à 14 heures, grande maison d’habitation, avec jardin et terrain, bâtiment en bois à usage de garage, divers bâtiments à usage industriel et de scierie mécanique, de bureau, d’habitation, de réfectoire, de magasins, d’écurie, hangars et différents corps de bâtiments, à usage divers, avec terrain et voie de raccordement, le tout situé à Mios (Gironde), en face de la gare. Cont. ap. : 2 ha 95 a 96 ca, et fonds de commerce et d’industrie de fabrique de caisses et scierie mécanique qui y est exploitée, av. clientèle, achalandage et matériel. Mise à prix: 132.000 fr. Vente Société Miossaise des Bois. Me Benon, avoué présent. Visites : mardis, jeudi et samedis, de 14 à 18 h.

Une affaire bien embrouillée, c’est celle qui amène devant la Cour, Pierre B…, 51 ans, propriétaire, à Mios qui prétend être victime :

— Une victime bien éloquente, dit M. le Président Denagiscarde.

En effet, B…, parle et parle sans s’arrêter jusqu’à ce qu’on lui dise d’aller s’asseoir. Il a déjà été condamné à 25 francs d’amende pour émission de chèque sans provision.

Pour tentative d’escroquerie, il a été relaxé par le tribunal correctionnel de Bordeaux : la Cour de Bordeaux a réformé ce jugement et condamné B…, à 6 mois de prison puis la Cour de Cassation a cassé l’arrêt de Bordeaux pour vice de forme, ce qui vaut le retour de l’affaire devant la Cour de Pau.

Me Bordes, du barreau de Bordeaux, représentant la Société Miossaise de Bois, partie civile nous donne sa version de l’affaire, version qui cadre avec l’arrêt de la Cour de Bordeaux.

En 1933, B… vendait à la Société Miossaise de Bois un lot de pins pour 13.500 francs pour lesquels on lui donnait des espèces et deux traites dont il négocia une à un nommé H…

Les traites ayant été payées à échéance, la Société fut fort surprise de s’en voir présenter une troisième avec une acceptation en règle, traite endossée à un nommé O… Plainte contre X… en faux, on soupçonne B…” en Vertu de l’adage « ist fecit cui prodest », nomination d’un expert en écritures qui attribue la fausse acceptation à B… qui est arrêté et fait quatre mois de prévention. Un non-lieu intervient.

Ici, les choses se corsent et naît l’affaire qui nous occupe ; à sa sortie de prison, B… va au greffe de la Cour de Bordeaux et par on ne sait quel sortilège, parvient à se faire remettre par le greffier la traite incriminée qu’il porte de suite à un huissier pour charger ce dernier d’assigner la Société Miossaise de Bois et la faire mettre en faillite. Le Parquet, alerté, met opposition à cette procédure et poursuit B… en tentative d’escroquerie.

M. Laurens, substitut général, expose que la cassation de l’arrêt de la Cour de Bordeaux par la Cour de Cassation a été uniquement motivée par un vice de forme, mais qu’il y a lieu de s’en tenir à ses conclusions.

Alors que, généralement, les prévenus s’en remettent à leurs défenseurs, B…, à qui le président demande s’il a quelques explications à fournir, s’embarque dans un long plaidoyer qui dure une demi-heure et embrouille tout.

Fort heureusement, son avocat, Me Granier, peut nous exposer une version claire dont l’essentiel est que B… n’a pas du tout tenté une escroquerie mais qu’il a retiré la traite du greffe et qu’il ne l’a remise à l’huissier pour la recouvrer que parce qu’il craignait des poursuites de la part du tiers-porteur Ô…

Me Granier conclut donc à la relaxe pure et simple.

Arrêt dans trois semaines.

En juin 1937, arrêt condamnant à 6 mois de prison avec sursis. Pierre B…, de Mios (Gironde), qui avait tenté des manœuvres frauduleuses envers la Société Miossaise des Bois, pour se faire payer une traite fausse.

En 1950, elle emploie 120 personnes.

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La Société Miossaise avait fait inscrire « 1884, FL et F » sur le fût de la grande cheminée qui dominait encore il y a 20 ans le paysage et servait de repère aux avions de l’époque, cheminée détruite depuis.

La saison a bel et bien commencé pour la rôtisserie du Val de Leyre, ouverte tous les jours, de 8 heures à 23 heures, pendant la saison estivale. À tel point que la petite équipe s’affaire déjà à ses tâches. Éric Laurent, patron de la rôtisserie nous confie : « Nous accueillons beaucoup de groupes de canoë, de randonneurs, de cyclistes, et bien d’autres encore, sans oublier les particuliers et les fidèles Miossais ! »

Situé au bord de l’Eyre, avec un parc ombragé de plus de 2 hectares, l’endroit est paisible et frais. Un lieu où chacun peut venir se restaurer après avoir fait une « activité nature » ou simplement flâné le long de l’Eyre. « Étant propriétaire des lieux, nous sommes soucieux de conserver ce contexte naturel et champêtre ! », ajoute Éric Laurent. Cet endroit, avec ses locaux pittoresques ont une véritable histoire. La rôtisserie d’aujourd’hui était autrefois une scierie qui date de 1850. Seul le réservoir d’eau et la cheminée sont encore visibles, ils alimentaient les machines à vapeur… Léonce Garnung, anciens propriétaire a cessé l’activité en 1936.

« Mes parents ont acheté l’ancienne scierie en 1974, explique Éric, elle était en ruine, c’est vous dire le travail fournis pour faire revivre cet endroit. Puis, en 1982, la rôtisserie du Val de Leyre est née. 30 ans déjà ! En grand passionné et soucieux d’une cuisson parfaite à l’ancienne, il a créé ses moules en fonte, ses broches, ses brûleurs, donnant naissance à une rôtissoire unique » se souvient Éric qui apporte lui aussi sa touche personnelle et tient à conserver la cuisson traditionnelle à l’ancienne… Mais attention, c’est un secret !

[5]

À noter que Raymond Garnung a acheté à la même époque la maison de maître érigée par Frédéric Lafon, rue du Val de Leyre, attenante à la scierie, et qui a été la maison familiale jusqu’au décès tragique de Raymond Garnung (1972) dans les eaux de la Volga….

La maison habitée par Michel Hugue est celle de son enfance, habitée par ses parents jusqu’en 1972. C’est Jean-Claude qui l’a vendue à Hugue au décès de son père.

[Une histoire de gourmands, Audrey Mayonnade,  Sud Ouest du 12 juillet 2010]

https://www.sudouest.fr/2010/07/12/une-histoire-de-gourmands-137866-3004.php [6]

https://www.pop.culture.gouv.fr/notice/merimee/IA00135884 [7]

La Dépêche du 1er mai 1937

https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k41386487/f10.item.r=%22%20Miossaise%20des%20bois%20%22.zoom# [8]

L’Indépendant des Basses-Pyrénées du 20 mai 1937

https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k5272313p/f2.item.r=Miossaise.zoom# [9]

L’Indépendant des Basses-Pyrénées du 10 juin 1937

https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k5272331m/f2.item.r=%22%20Miossaise%20des%20bois%20%22.zoom# [10]

Raymond Garnung (1897-1975)

Né en 1897, Raymond Garnung est originaire de Mios où son père est directeur d’une scierie. On le dit passionné de littérature et brillant élève. À 18 ans, il est détenteur du baccalauréat ; c’est alors qu’il décide de s’engager, nous sommes le 15 juillet 1915. Deux ans plus tard, il quitte le front suite à une blessure. Il est démobilisé en 1919, promu lieutenant et décoré de la Légion d’honneur. Je vous écris depuis les tranchées, Lettres d’un engagé volontaire (1915-1918), reste à ce jour son seul ouvrage publié. Il meurt d’une hydrocution dans la Volga au cours d’une croisière en 1975.

Je vous écris depuis les tranchées se présente sous la forme d’un recueil de 373 lettres, illustré d’une soixantaine de photographies prises par l’auteur. Il a été publié, conçu et réalisé par feu Jean-Claude Garnung. Ce dernier laisse quelques commentaires sur le déroulement général de la guerre et apporte certaines précisions sur le parcours de Raymond Garnung.

Du 24 juillet 1915 au 11 novembre 1918, le sous-lieutenant Garnung fait partager sa vie de soldat à sa famille, principalement à sa sœur, Yvonne, adolescente de 15 ans. Il a manifestement dès le début une volonté testimoniale voire ethnographique : « Sitôt arrivé, je vous donnerai des détails sur la vie de camp, sur les puces et punaises qui peuvent loger dans nos gourbis, sur la qualité de la soupe, etc. ».

Engagé volontaire le 15 juillet 1915, il intègre le 37ème R.A.C. à Bourges mais sert rapidement au 60ème d’artillerie à Arvord du 26 juillet 1915 au 8 février 1916, à Fontainebleau du 8 février au 20 mai, à La Valbonne au moins du 2 au 6 juin. Nommé aspirant le 12 juin, il monte enfin au front après de longs mois d’une vie de caserne et d’instruction monotone ;  il transite alors par Thiviers et Paris, et arrive à Fismes, en Champagne, le 29 juin. Il est ensuite envoyé en Picardie où il sert à Salouel, du 7 au 19 août, Hardecourt-Moulin de Fargny du 21 au 23 août, Maurepas du 25 août au 26 septembre, Combles du 29 septembre au 18 octobre, Valmy du 22 octobre 1916 au 27 février 1917 et enfin Craonne du 24 mars au 13 avril. Ce 13 avril 1917, il est gravement blessé aux jambes par des éclats d’obus. Il quitte ainsi définitivement le front pour une longue convalescence. Il est soigné à Montigny-sur-Aisne du 15 au 20 avril, puis à Rambervillers du 21 au 28 avril et enfin à Lyon du 28 avril au 20 août. Sa période de convalescence terminée, on lui remet le commandement de 1 200 hommes au camp de Souges (sur le territoire des communes de Martignas-sur-Jalle et de Saint-Médard-en-Jalles), du 6 novembre 1917 au 11 février 1918. Il passe ensuite par Thiviers, du 18 février au 29 mars et Mailly du 1er au 15 avril avant d’être chargé, à partir du 18 avril de l’accueil de bateaux rapatriant des prisonniers français à Cherbourg. C’est à ce poste qu’il met fin à sa correspondance, le 11 novembre 1918.

Dénuées de la qualité descriptive et littéraire de témoins plus illustres de la Grande Guerre, les lettres de Raymond Garnung sont courtes, sommaires et très personnelles. Destinées pour beaucoup à une adolescente, sa sœur âgée de 15 ans, leur contenu est déformé par le miroir édulcorant et anecdotique d’une guerre rassurante, presque fraîche et joyeuse dans laquelle l’épistolier se pose plus souvent en témoin qu’en acteur. Ces lettres sont le reflet de la correspondance habituelle, quasi-protocolaire entre le soldat et sa famille.

C’est donc dans le parcours de leur auteur qu’il faut y rechercher l’intérêt du témoignage. En effet, Raymond Garnung, bien qu’il s’engage à l’été 1915 (mais dans l’artillerie), ne monte au front pour une unité active que près d’un an plus tard. Il vit avant cette date une longue période de caserne et d’instruction d’artilleries dont il nous brosse un tableau d’intérêt, montrant à l’historien la vie quotidienne méconnue car délaissée de la littérature de guerre de la vie militaire du temps de paix en temps de guerre. Mesquineries et monotonie de la caserne alternent avec une liberté et un confort singuliers alors que les conditions de vie au front sont dramatiques. Il nous fait part pendant cette période de quelques événements remarquables tels que deux accidents, un à l’infirmerie dû à un obus illégalement détenu par un soldat et par mégarde mis à feu, un autre au champ de tir provoquant la mort de deux personnes. Il évoque aussi le tournage d’une scène d’artillerie au polygone, censée reproduire la bataille du fort de Douaumont de février 1916 et destinée à être diffusée dans les cinémas français (sous le nom de « La Flambée »).

Avant qu’il ne soit envoyé au front, il est intéressant de remarquer qu’il met en place avec sa famille un système de code pour se préserver de la censure.

On l’envoie en Champagne. Il parle de sa guerre, de sa chasse au boche et des petits tracas de la vie du front. Il fait notamment la description d’un lit de fortune dans une « cagna ». Page 76, on apprend l’existence de « géophones » : « des appareils placés dans les tranchées et qui permettent d’entendre toutes les conversations des boches en première ligne ». Il insiste aussi sur l’utilité de sa montre car « tout se fait en se basant sur l’heure officielle ». Enfin, il évoque le rôle des mulets dans le ravitaillement. Là-dessus, il rapporte quelques anecdotes telle la possibilité d’allumer sa pipe grâce aux obus ou encore un mauvais accueil des habitants du village de Saint-U… (en fait Saint-Utin) dans la Marne qui « préféraient avoir les boches ». Plus que de simples descriptions, il nous fait également part de ses ressentis. Page 78, on trouve une vue critique de la cérémonie de la « revue », une « comédie », écrit-il. Plus loin, il décrit la boue comme « [faisant] honneur à ceux qui la portent » en comparaison à ceux qui n’ont pas le courage de combattre ; il insiste sur son statut d’engagé volontaire. Il imagine également ce que deviendra le soldat redevenu civil après-guerre. D’après lui, il se sera endurci et profitera de son nouveau statut pour prétendre à des postes avantageux au sein de la société. Enfin, il observe que les soldats perdent la notion de saison au front du fait des forêts détruites et de la disparition du feuillage. Il se pose de plus en observateur de ses camarades de tranchées. Il se permet ainsi un commentaire sur les hommes du Nord « pas si froids qu’on veut bien le dire […] très gentils dans l’intimité », ou sur les Anglais : il les dit toujours sereins, même devant la mort. À propos des rapports des soldats entre eux, il prétend qu’un esprit de famille règne du simple poilu jusqu’au colonel et que les fantassins admirent leurs camarades artilleurs. Quant à l’exercice de son poste d’officier, il relate le cas exceptionnel d’une ordonnance pour deux officiers en décembre 1916 dû à un manque d’hommes.

Le 14 avril 1917 « près de Craonne », il annonce être « légèrement blessé […] de petits éclats d’obus à la cuisse droite ». Pourtant il ne reviendra jamais au front, nouvel exemple de la distorsion de la souffrance du soldat devant sa famille. Dès lors, il nous raconte sa vie de grand blessé entre soins et rétablissement. Il assiste à un traitement par drain, se plaint de la nourriture qu’il dit pire qu’au front et nous apprend être soigné d’après les recommandations du célèbre professeur Alexis Carrel avec le chimiste anglais Henry Drysdale Dakin à l’origine de la solution « Dakin » (solution d’hypochlorite de soude à 1 pour 200 ; l’hydroxychloroquine de l’époque !) ; malgré les résultats positifs de cette méthode, celle-ci est soumise à de vifs débats auprès des médecins français au cours de la Première Guerre mondiale : MM. Dastre, Quénu, Bazy, Pinard, font à cette méthode des objections assez fortes. Guéri, il est affecté à un « emploi sédentaire » au camp de Souges avant celui de Mailly puis à Cherbourg où la guerre se termine sans lui au front. Pendant cette période, il a en charge plusieurs unités dont la classe 18 et une autre formée d’Annamites qu’il décrit toutes deux comme étant « fort mal dressée[s] ». Il est également témoin lorsqu’il se trouve à Cherbourg du rapatriement de prisonniers français en très mauvais état de santé.

L’ouvrage produit donc une sorte de triptyque de visages de guerre différents, montrant tout à tour sur des périodes sensiblement égales la caserne, le front et l’hôpital suivi de la convalescence dans un emploi réservé.

Opportunément présentées, ces lettres de guerres forment un ouvrage dense et d’intérêt. Les lieux ont été restitués quand cela fut possible même si plusieurs hypothèses eurent pu être confirmées par une recherche idoine.

Yann Prouillet & Marie Bouchereau, septembre 2010.

https://www.crid1418.org/temoins/2010/09/29/je-vous-ecris-depuis-les-tranchees-lettres-dun-engage-volontaire-1915-1918/ [11]

 

CLOCHEMERLE SUR LEYRE

Le 6 juin 1829, Garnung, de Mios, Chevalier de l’Ordre Royal de la Légion d’Honneur, écrivit une lettre fort embrouillée à l’archevêque de Bordeaux pour l’instruire «du devoir de consiliation de

M. notre curé avec les paroissiens, d’après l’ordre salutaire qui s’observe dans le ministère de la religion catholique)) (sic).

Les faits étaient les suivants : depuis six ans, lui, Garnung, ramassait dans les divers quartiers de la commune de Mios, le «bled» que les paroissiens s’étaient engagés à verser au curé. Il le faisait transporter à ses frais et le stockait chez lui. Chaque année, au mois d’octobre, le curé envoyait un bouvier pour enlever le «bled» et le transporter au presbytère. En octobre 1828, à la suite de cette opération, le curé et Garnung avaient eu une discussion, le premier estimant qu’il n’avait pas son compte. On fit alors un nouveau contrôle qui démontra que M. le curé percevait au-delà de son dû.

C’est à la suite de cet incident que le curé avait laissé entendre à certains que Garnung percevait chez les paroissiens plus qu’il n’était prévu et gardait pour lui la différence. Ce bruit venait seulement de parvenir à ses oreilles. Enfin, il se plaignait que depuis six ans, il n’avait pas été rémunéré régulièrement pour sa collecte. L’année passée lui avait bien été donnée une somme de 12 francs, «avec colère et méchanceté), représentant à peu près la rémunération de deux années, mais quatre années lui restaient dues.

La lettre de Garnung à l’archevêque se terminait sur le postscriptum suivant : «En outre, je puis vous assurer, Monseigneur, que M. le curé lesse librement pacager son cheval au dedans du simetière, ail mécontentement des paroissiens» (1).

Le 8 juin 1829, une lettre collective était adressée à l’archevêque
par quelques propriétaires. Après des propos édifiants sur la religion
catholique, apostolique et romaine, ils exposaient leurs griefs contre leur curé.
Premier grief : le 25 avril, jour du bienheureux Saint Marc. il est de tradition dans la paroisse d’aller en procession à toutes les croix érigées dans les différents quartiers. Les fidèles “dans la vraie foy, qui ont bonne intention dans la religion, perdent la confiance en voyant que M. le curé fait la bénédiction des croix étant à cheval, vu que les croix ne sont guère distantes l’une de l’autre et le chemin, non impraticable, on pourrait aller sans être à cheval, ou du moins descendre afin de faire la bénédiction à pied” d’autant qu’il ne fait pas la procession pour rien puisque « à toutes les croix, les propriétaires lui apportent des œufs et autres objets qu’il s’en trouve à la suite en grande quantité ».
Deuxième grief : M. le curé se fait payer un franc pour un baptême et un franc pour des relevailles. Or, le sacrement de baptême doit être administré gratuitement.
Troisième grief : le Conseil municipal a décidé que M. le curé percevrait un supplément de traitement sous forme d’un versement de soixante boisseaux (grande mesure) de bled-seigle effectué par les propriétaires, moyennant quoi le service d’enterrement des indigents serait gratuit. M. le curé ne respecte pas cette convention comme le faisait feu M. le curé Delpech, son prédécesseur.
Quatrième grief : les parents des premiers communiants sont mécontents de ne pouvoir leur faire porter le jour de la cérémonie un cierge dont la grosseur soit en proportion de leur fortune, car
M. le curé a décidé que c’est lui qui fournirait les cierges qui seraient tous pareils.
Cinquième grief : sous prétexte de couvrir les frais de décoration de l’église le jour de la Première Communion, M. le curé se fait remettre 75 centimes par enfant.
La lettre se terminait ainsi : «Veuillez, Monseigneur, unir au devoir le ministère à qui appartient, afin que les fidèles s’unissent et se maintiennent à la doctrine de Jésus-Christ, tel qui nous a institué et qui ne peuvent se concilier d’après les causes faites et observées par M. le curé, tel qu’il est expliqué dans la présente» (sic) . Cette épître était signée par : Herreyre – Casimajou – Lafon – Lalande – Gassian – Carpentey – Courbin – Carnin – Prumey – Mano – Ecuyer – Lacape – Garnung du Voisin et par quatre autres Garnung tout court.
Curieusement, c’est par l’intermédiaire de celui qu’elle dénonçait que cette plainte parvint à l’archevêché. Le curé Quintana en fournit l’explication dans la lettre qu’il écrivit à l’archevêque le 22 juin 1829 : « .. , l’un des signataires à qui sa conscience reprochait amèrement son injustice à mon égard, a cru devoir prendre des mesures pour que la dite plainte ne vous parvienne pas. On me l’a remise après avoir déchiré le coin du papier où sa signature était apposée ».
L’abbé Quintana décrit ensuite chacun de ses détracteurs : « L’auteur n’est autre chose qu’un fils de paysan qui a été soldat sous Bonaparte et qui a reçu la croix de la Légion d’Honneur. Sa décoration lui a tourné la tête … il passerait pour un grand personnage s’il avait de l’esprit ; faute d’esprit, il est regardé par ses pairs comme un homme fort ordinaire avec lequel on va, tous les dimanches, boire une bouteille de vin dans un cabaret. C’est dans un cabaret
qu’a été signée cette dénonciation.
Ce chevalier est un des quatre « Garnung tout court ». le second est son père, le troisième son neveu ,le quatrième un parent, meunier et ami de la bouteille, Casimajou est son beau-frère, Lafon, le beau-frère de sa femme,. Lalande est un valet du meunier, Gassian est âgé de plus de soixante ans. Il a été emprisonné pour vol et de plus n’a jamais voulu faire bénir son mariage. Courbin est un officier de santé, cousin du chevalier. Prumey, Ecuyer et Lacape sont trois charbonniers à qui le chevalier vend à crédit le bois qui leur est nécessaire et qui, chaque dimanche, lui payent les intérêts en bouteilles de vin au cabaret de Garnung du Voisin, autre signataire. Quant à Carpentey, c’est un charretier, transporteur de charbon ».
Le curé de Mios reprend ensuite, l’un après l’autre, pour s’en défendre, chacun des griefs invoqués contre lui dans la plainte collective adressée à l’archevêque :
1) Ce n’est pas lui qui a innové cette procession qu’on lui reproche de faire à cheval ; il s’en serait bien gardé car elle se déroule sur cinq à six lieues. II doit partir à 7 heures du matin et ne rentre qu’après le coucher du soleil. Il passe dans dix hameaux qui ont chacun deux ou trois croix à faire bénir, suivi de son sacristain et de deux ou trois fabriciens. A la première croix de chaque hameau, il descend de cheval ; si la seconde est proche, il y va à pied, pour les autres, il donne effectivement la bénédiction à cheval, sans cela, il lui faudrait trois jours pour faire sa tournée.
A chaque croix, on lui remet cinq à sept œufs. Il en partage la totalité avec ses fabriciens. Quant à sa part, il la vend ou il la mange.

2) Il est de tradition dans tout le pays, à Salles, Belin, Le Barp, Audenge, Gujan, La Teste, qu’après la cérémonie du baptême, le parrain donne un franc au curé. Si on lui donnait un louis, il l’accepterait volontiers. Mais la dernière fois que le chevalier Garnung a été parrain, il n’a rien donné du tout. Pour les relevailles, on donne ordinairement cinq sous.

3) Les enterrements, des pauvres comme des riches, sont gratuits, mais quand une famille demande que l’on fasse la levée du corps au domicile, distant parfois de deux à trois lieues, il demande six francs.

4) II est exact que les premiers communiants donnent chacun quinze sous pour la décoration de l’église le jour de la cérémonie et qu’il fait venir les cierges de Bordeaux ; ceux-ci sont cédés au prix de facture.

En ce qui concerne la plainte signée du seul chevalier Garnung concernant la collecte du « bled », voilà ce qu’il en était en réalité : dans chaque hameau, le paysan le plus notable se charge de cette collecte et l’effectue gratuitement. Pour le remercier, le curé l’invite à dîner.

Dans son hameau, Garnung a fait comme les autres jusqu’au jour où il dut être réprimandé pour avoir exigé de deux pauvres paysans un quart de blé alors que la redevance prévue n’est que d’un demi-quart. Il déclare qu’il avait doublé la redevance pour s’indemniser de ses peines et trois jours plus tard, réclama vingt-huit francs pour les collectes qu’il avait faites pendant six ans. Le maire informé convoqua Garnung et lui signifia que le curé ne lui devait rien mais était libre de lui donner une gratification, mais pas supérieure à quatre francs cinquante. Bon prince, l’abbé Quintana donna douze francs mais exigea un reçu.

Pour ce qui était du pacage de son cheval dans le cimetière, le fait s’était produit quelques fois, l’animal s’étant échappé de son enclos qui touchait le cimetière ; mais dès que le fait était constaté, on allait le chercher.

Mais ce qui avait particulièrement blessé l’abbé Quintana dans la plainte collective était une remarque des pétitionnaires faisant observer qu’il aurait sans doute moins besoin d’argent s’il n’avait qu’une servante au lieu de deux lesquelles, on le reconnaissait, étaient « majeures » (et vaccinées !). Ce terme pouvant laisser entendre qu’il avait pu avoir chez lui des filles de quinze ou dix-huit ans, l’abbé Quintana demandait à l’archevêque de s’informer auprès du maire ou de faire enquêter un prêtre du voisinage.

Sa lettre et la plainte de ses paroissiens parties, l’abbé Quintana fit part de ses ennuis à son ami, le curé-doyen de La Teste. Celui-ci, le 30 juin 1829, se proposa comme enquêteur à l’archevêque qui, le 14 juillet 1829, le désigna bien que les plaintes formulées contre l’abbé Quintana lui eussent parues des plus suspectes.

Ayant appris l’envoi d’un visiteur ecclésiastique à Mios à propos du différend entre le curé Quintana et le chevalier Garnung, le maire Baleste-Marichon, le 26 juillet 1829, écrivit à son tour à l’archevêque. La lettre de Garnung, selon lui, n’était qu’un libelle où « l’absurdité de la calomnie n’a d’égal que la ridicule grossièreté du style » … un froid mépris eut été sans doute la seule réponse à faire. En apprenant la commission donnée à M. Gourmeron, curé de La Teste, Garnung « va se targuer d’un honneur pour lequel il ne fut jamais fait Cette espèce de succès sera propre à enhardir tout mauvais sujet qui voudra se jouer lm moment du repos de M. le curé ». Que M. le curé de La Teste recherche donc la vérité « mais sans éclat » ; cette vérité, du reste, est toute simple : « Mauvaise foi insigne des accusateurs et innocence complète de M. le curé qui a su constamment mériter l’estime et l’affection de ses paroissiens ».

Les arguments du maire de Mios portèrent et l’archevêque décida d’annuler l’enquête dont il avait chargé le curé de La Teste, seulement son contre-ordre ne partit de Bordeaux que le 8 août, l’enquête menée par l’abbé Gourmeron étant déjà terminée et son rapport signé à la date du 5 août.

Il était arrivé à Mios le 4 août. Avertis de sa mission l’avant-veille, huit des signataires de la plainte collective s’étaient rétractés, déclarant que c’était « bien inconsidérément et sans attention, ni réflexion qu’ils avaient apposé leur signature, que M. le curé par sa conduite n’a jamais mérité que l’estime, l’affection et la reconnaissance de ses paroissiens ».

Garnung du Voisin les avait devancés dès le 4 juillet, déclarant lui aussi qu’il avait agi inconsidérément, reconnaissant que les faits énoncés étaient faux et que « M. le curé n’a jamais mérité aucune des imputations qui lui sont faites ». En conséquence, il se rétractait volontairement et signait « avec plaisir la présente pour rendre hommage à la vérité et pour donner à M. le curé une marque de l’estime et du respect dont il s’est toujours montré digne »

Convoqués devant le maire, Lafon, un autre Garnung, Mano et Lacape déclarèrent que ce n’étaient pas eux qui avaient signé la plainte. Seuls revendiquèrent leurs signatures et refusèrent de se rétracter Gassian, Courbin, Lalande et le chevalier Garnung. Ils convinrent toutefois que c’était l’usage à Mios, avant l’arrivée de M. Quintana, que chaque premier communiant remette soixante-quinze centimes pour l’ornementation de l’église le jour de la Première Communion et qu’au baptême, le parrain donne un franc, faisant cependant sur ce dernier point remarquer qu’auparavant, on ne donnait que seize sous. Pour les cierges, l’abbé Quintana n’avait fait également qu’imiter son prédécesseur qui les faisait venir de Bordeaux tous pareils.

Quand on leur demanda de citer les noms des indigents qui n’auraient pas eu d’obsèques gratuites, ils ne purent fournir que deux noms : celui d’un gardeur de troupeau et celui d’une femme qui n’était pas originaire de Mios. Pour le gardeur, on leur fit observer qu’il était mort en laissant à sa femme la propriété de vingt vaches : il n’était donc pas indigent. Quant à l’étrangère au pays, elle avait laissé à l’homme avec lequel elle vivait en concubinage du « bled » et divers objets que le maire fit saisir et qui lui permirent de payer le curé, le fossoyeur et le cercueil.

Les quatre contestataires reconnurent leurs torts sauf sur deux points. Ils estimaient que le curé devait descendre de cheval à toutes les stations de la procession de la Saint Marc et que les familles devaient pouvoir choisir pour leurs premiers communiants des cierges de la taille et de la grosseur qui leur plairaient.

Pour le rapporteur, la lettre personnelle du chevalier Garnung à l’archevêque n’était que la conséquence d’une vanité blessée. Garnung était le seul chevalier de la Légion d’Honneur de Mios, tout le monde l’appelait « Monsieur le chevalier » et quand l’abbé Quintana, pour des raisons justifiées, avait jugé à propos de ne plus l’utiliser pour recueillir le grain, il avait été terriblement vexé et chercha à se venger, d’où sa lettre où il prétendait que l’abbé Quintana était débiteur envers lui, mais il avait oublié que lorsqu’il reçut les douze francs, il avait signé un reçu « pour final paiement ». Confondu lorsqu’on lui présenta ce reçu, le chevalier Garnung déclara « qu’il signerait la rétraction de sa lettre et de tout ce qui dans la plainte pouvait porter atteinte à l’honneur de M. le curé ».

L’abbé Gourmeron terminait en signalant à l’archevêque que l’abbé Quintana était d’une nature très sensible et avait été affecté par cette affaire; quelques mots d’encouragement lui feraient le plus grand bien : « Je prends la liberté de prier votre Grandeur de lui écrire un petit mot ».

Trois jours après avoir expédié son rapport à l’archevêque, le curé de La Teste écrivit de nouveau à ce dernier. Il venait d’être informé que le chevalier Pierre Garnung, cultivateur à Hobre, François Courbin, officier de santé, Pierre Lalande, meunier et Pierre Cassian, garde forestier du sieur Courbin, faisaient courir le bruit que le curé de La Teste, venu enquêter sur ordre de l’archevêque, leur avait donné raison et que l’abbé Quintana, curé de Mios, ne tarderait pas à être sanctionné. Il suggérait à l’archevêque de demander au Procureur du Roi d’écrire au maire de Mios pour que ce dernier fasse « à ces individus de vives réprimandes et leur signifie que s’ils ne demeuraient tranquilles, que s’ils continuaient à tracasser leur pasteur, ils seraient poursuivis dans toute la rigueur des lois».

Cette lettre se croisa avec la lettre partie de l’archevêché à destination du curé de La Teste qui disait : « M. le maire de Mios. ayant appris que vous aviez reçu commission de vérifier les plaintes transmises contre M. Quintana, vient de m’écrire pour me demander qu’il n’y soit donné aucune suite … Ses observations à cet égard me paraissent fondées. Je vous invite à vous dispenser d’un soin qui tiendrait à attribuer à ces plaintes une importance qu’elles ne peuvent avoir ».

Le brave curé de La Teste dut probablement être passablement mortifié , mais le bon sens était du côté du maire de Mios, Baleste-Marichon, qui ne tenait pas que sa commune devienne un « Clochemerle » sur l’Eyre, encore qu’il ignorât le mot qui ne deviendra à la mode qu’un peu plus de cent ans plus tard.

[1829 – Clochemerle sur Leyre, Jacques Ragot, SHA n° 50, 4e trimestre 1986]

https://shaapb.fr/wp-content/uploads/files/SHAA_050_opt.pdf [12]

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