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Fable ou réalité

Une race indigène de serpent vivrait au bord de la Leyre — Notre enquête.

Racontant, avec son humour habituel les péripéties de notre deuxième expédition sur la Leyre, le 2 septembre 1926, notre éminent rédacteur en chef et ami, Albert Chiché, publiait dans ce journal, il y a huit jours, un récit paraissant fabuleux au premier abord.

C’était la narration du combat d’un chasseur avec un serpent qu’il avait rencontré sur la berge et qui cherchait à l’étouffer.

Dans la bouche d’un humoriste il n’est quelquefois pas facile de distinguer la plaisanterie du sérieux.

L’article dont il est question soulève donc un problème qui se pose à l’esprit de bien des personnes ayant entendu des histoires semblables et ne savent qu’en penser : Y a-t-il sur les bords de la Leyre, une race de serpents capables d’y répandre la terreur ? Les rives de ce gracieux cours d’eau deviendraient-elles ainsi la succursale de certaines régions peu rassurantes de l’Afrique équatoriale ou de l’Amérique du sud ?…

Remarquons que ces rives, enchanteresses au point de vue de leur solitude grandiose et de la beauté du paysage, ne le cèdent en rien, ou presque rien comme ”désertisme” aux forêts vierges du Brésil, aux pampas argentines, aux savanes guyanaises ou à la brousse d’Afrique. Au cours des diverses reconnaissances que nous y avons faites à pied ou en bateau avec M. Chiché, nous ne vîmes aucun être humain sinon à proximité des rares villages.

Rien d’étonnant, par suite, à ce qu’une race d’ophidiens trouve dans un tel désert des circonstances favorables à sa pullulation et à la réalisation d’une taille exceptionnelle.

Si le hasard ne nous en a fait rencontrer jusqu’ici aucun spécimen, leur présence est d’autant plus admissible que la couleuvre d’eau ou couleuvre à collier, connue des naturalistes, atteignant et même dépassant 1 mètre 20, la couleuvre à quatre raies, s’allongeant au-dessus de deux mères, l’une et l’autre pouvant avoir la grosseur d’un manche d’aviron et susceptibles par le croisement de produire des races intermédiaires, ont été recueillies en France où elles figurent de véritables petits boas.

Pas plus que ces derniers, d’ailleurs, qui atteignent douze et quatorze mètres, elles n’ont de crochets venimeux ; leurs morsures, quand elles mordent, (elles fuient l’homme en général, s’il ne les attaque) passent pour n’offrir aucun danger.

Mais elles héritent proportionnellement à leur taille de la force des boas dits constrictors, lesquels ne sont pas autre chose que des couleuvres géantifiées par la chaleur des tropiques et capables d’étouffer un bœuf et de l’avaler. À ce titre elles s’enroulent autour de leur proie de leur agresseur ; le serrant tant qu’elles peuvent, elles mettent sa vie en péril et réussissent à lui donner la mort quand c’est un être faible.

On n’a donc pas d’autres ressources pour se débarrasser de leur étreinte que de les sectionner avec un couteau. Ainsi fit-on pour le chasseur dont parlait notre rédacteur en chef ; malgré les apparences, il n’y a rien d’invraisemblable dans ce fait.

Au surplus, nous en avons vérifié l’exactitude : C’est M. Glize, contremaître de l’usine électrique de Belin, qui eut maille à partir, vers la mi-septembre avec le très gros reptile en question ; celui-ci, après l’avoir mordu s’enroula, non pas autour de sa poitrine, mais de sa jambe. Cela se passait au lieu-dit Le Bran, territoire de Lugos. M. Métairon, pharmacien à Salles, donna, le premier, des soins à la victime dont la plaie avait pris mauvaise tournure et qui marchait avec des béquilles.

Les habitants du pays racontent tous, d’ailleurs, des histoires du même genre, notamment celle antérieure du chasseur la poitrine étreinte par une de ces énormes couleuvres. Elle s’était élancée sur lui, du haut d’un arbre, il y a quelques mois avec un sifflement aigu et il eut péri à ce qu’on affirme si son compagnon n’avait sectionné l’ophidien. Il faut dire que le chasseur avait voulu la tuer d’un coup de fusil et l’avait manquée.

Les serpents amphibies des bords de la Leyre ont d’ailleurs reçu des habitants des noms spéciaux. Ils les appellent tantôt des lirons, tantôt des sinliars.

On n’aurait pas inventé de tels mots s’ils ne répondaient pas à un objet certain. Notre enquête continue.

 

Albert de Ricaudy

 

L’Avenir d’Arcachon du 10 octobre 1926

https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k5422006m/f1.image.r=lugos?rk=171674;4 [1]

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