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Debussy à Arcachon

Debussy à Arcachon

Préambule 

Achille-Claude Debussy nait en 1862 à Saint-Germain-en-Laye dans une famille modeste, son père faïencier est obligé de quitter sa maison pour trouver un autre emploi à Paris.

Il commence à jouer du piano et ses parents détectent un réel talent qu’ils veulent encourager en lui offrant des leçons par un professeur qui n’est autre que Madame Antoinette-Flore Mauté de Fleurville, belle-mère de Paul Verlaine et ancienne élève de Chopin.

C’est en prison, il est communard et a été arrêté à ce titre, que son père, Manuel-Achille, rencontra un autre prisonnier, Charles de Sivry auquel il confie son souhait de développer l’appétence de Claude pour le piano.

Or, de Sivry est le fils de la dame Mauté et c’est tout naturellement qu’il lui recommande sa mère qui détecte très vite les dons de Achille-Claude pour le piano.

C’est grâce à ces leçons de piano que le future grand prodige de la composition entre au Conservatoire à l’âge de dix ans alors qu’il n’a suivi que l’instruction de sa mère pour apprendre à écrite, lire et compter !

Sur cent cinquante-sept candidats, seuls trente-trois furent retenus.

Au Conservatoire, il ne parvient pas à tirer son « épingle du jeu ». Son professeur de piano Antoine-François Marmontel dit de lui « qu’il préfère la musique au piano » et il ne parvient pas à recueillir d’autres récompenses qu’un second prix. De même en classe d’harmonie, il déconcerte tant son professeur, Émile Durand, par ses trouvailles qu’il n’accède pas au prix attendu.

 

Un premier séjour à Arcachon à la villa Bellegarde (Athéna aujourd’hui) en juillet 1880

Pourtant, son professeur Antoine  Marmontel lui conserve une haute estime puisqu’il l’oriente vers Nadejda von Meck, richissime baronne russe éprise de musique et mécène de Tchaïkovski à la recherche d’un répétiteur de musique et d’un accompagnateur au piano pour ses séjours en France et en Russie.

C’est ainsi que Claude Debussy rejoint à Arcachon la baronne von Meck qui s’est installée dans la ville balnéaire à l’été 1880 avec une partie de ses enfants- elle en a onze- et une nombreuse domesticité.

Nadejda von Meck connaît et apprécie Arcachon car elle y a séjourné l’année précédente,  en louant la ville Brémontier et la villa Monaco. Elle dit dans sa correspondance à Piotr Tchaïkovski qu’il peut aussi la joindre au « Grand Hôtel ».

Ainsi, Debussy, après avoir passé une partie de l’été 1979 au château de Chenonceaux au service de Madame Marguerite Wilson-Pelouze pour être un des pianistes dédiés aux animations musicales de cette riche mécène et musicienne, grande admiratrice de Wagner, devient donc le répétiteur attitré de la baronne russe.

Nadejda von Meck a l’habitude de voyager dans toute l’Europe avec sa famille et sa nombreuse domesticité. Elle quitte Interlaken au début de l’été 1880 et se rend à Arcachon en juillet. Nous connaissons son itinéraire et ses locations de vacances grâce à la correspondance qu’elle entretient quasi-quotidiennement avec Piotr Tchaïkovski depuis 1876.

Elle lui décrit Claude Debussy, elle le nomme M. de Bussy, en des termes parfois peu amènes :

« À partir de cet exemple, celui de M. de Bussy, mon pianiste parisien, j’ai été finalement convaincu qu’aucun parallèle ne peut être établi entre les pianistes parisiens et nos pianistes russes, tant les nôtres sont infiniment supérieurs en tant que musiciens et en tant que techniciens et pourtant le mien, est un lauréat a reçu le premier prix à la fin de ses études cette année. Maintenant, il travaille pour le prix de Rome [une bourse, un voyage d’un an à Rome pour se perfectionner], mais c’est du pipeau, ça ne vaut rien. (…)lettre du 27 juillet 1880 de N. von Meck à Tchaïkovski adressée d’Arcachon.

Elle précise qu’elle a loué la villa Bellegarde et une autre villa plus petite, sans doute la villa Fragonard (Berquin à l’époque) qu’elle doit quitter dès la fin août 1880 car elle ne peut prolonger la location. Elle précise qu’elle est en effet réservée en septembre par un locataire qui n’entend pas y renoncer.

« Je vous écris maintenant à la veille de mon départ d’Arcachon, que je quitte complètement en raison d’une circonstance qui me hante dans mon voyage actuel : le manque de place. J’occupe actuellement deux villas, mais l’une d’elles, et à savoir la plus grande, la Villa Bellegarde, je suis obligé de la céder vers le vingt, car pour septembre, elle était déjà louée avant moi, et le locataire ne veut pas me la donner. Et comme je dois encore aller à Paris pour dire au revoir à mes garçons, j’ai déjà décidé d’aller de Paris directement en Italie en passant par Marseille et la Riviera du Ponant et je m’arrêterai en chemin à Nice, à Gênes, pour ne pas arriver trop tôt à Rome, car en été il y a ce paludisme, dont j’ai très peur. Pour tout cela, je vous demande, mon cher, d’utiliser les adresses suivantes : avant le 18 août à Paris, après cela à Rome, poste restante. »(…)lettre du 18 août 1880 de N. von Meck à Tchaïkovski adressée d’Arcachon. »

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La villa Bellegarde en 1880 (villa Athéna aujourd’hui).

À l’été 1880, la baronne von Meck est obligée de louer deux villas dans la ville d’Hiver, car elle se déplace avec plusieurs de ses enfants, des gouvernantes, un cuisinier, des femmes de ménage et invite à l’occasion d’autres musiciens.

Loger tout ce monde posait des problèmes de logistique importants mais cette richissime veuve qui finançait Piotr Tchaïkovski à hauteur de six milles roubles par an (l’équivalent de cent vingt-mille euros de 2024) s’autorisait un train de vie qui devait éblouir Debussy.

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Le plan de la Ville d’Hiver en 1896 (Marcel Ormières

Et la villa Marguerite ?

Dans plusieurs publications, notamment celle de Mme Éliane Keller sur la Ville d’Hiver (« Arcachon Ville et Personnalités, le temps retrouvé », éditeur Équinoxe) publiée en 1994 ou celle de Monsieur Michel Boyé et de Madame Marie-Christine Rouxel (Villas d’Arcachon, un siècle d’histoire, éditeur La Geste publié en 2015), il est clairement indiqué que Claude Debussy séjourne à la villa Marguerite louée par la baronne von Meck en juillet 1880.

Or, c’est le préfet de la Seine, Ferdinand Hérold qui l’occupe du 20 juin 1880 au 11 août 1880 avec sa famille. Le préfet est souffrant et il lui a été conseillé de se reposer à Arcachon où il séjourne dans le « chalet » Marguerite ainsi que le rapporte le journal « l’Avenir d’Arcachon » du 27 juin 1880.

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Ferdinand Hérold est le fils d’un compositeur très réputé, Louis-Ferdinand Hérold (1791-1833) et a un fils né en 1865, André-Ferdinand Hérold qui va devenir un écrivain renommé. Debussy a -t-il fréquenté le père et le fils à l’occasion de son séjour arcachonnais  et s’est-il rendu à la villa Marguerite à cet effet ?

Les villas Bellegarde et Marguerite sont en effet dans un périmètre peu étendu et l’on peut formuler l’hypothèse que Claude a pu s’y rendre comme il l’écrit à Ernest Chausson :

« Maintenant, il faut malgré tout ce que cela comporte d’ennuis pour moi, que je vous souhaite un bon séjour à Arcachon, parmi les pins, j’y ai habité dans le temps une villa qui s’appelle la villa Marguerite! Que cela vous fasse penser à ce Claude qui est tant votre ami dévoué ». (lettre du 27 octobre 1893 de Claude Debussy à Ernest Chausson : correspondance parue en 2005 chez Gallimard).

Il est pourtant impossible que Debussy ait pu séjourner dans une villa occupée par le préfet Hérold, sa famille et sa domesticité…

Formuler l’hypothèse que Claude-Achille ait pu s’y rendre n’a rien d’invraisemblable : que faisait-il pour occuper son temps en dehors des séances musicales avec la famille de Nadejda von Meck ?

Un témoignage de la famille de Jacques-René Chansarel,  arcachonnais (1864-1945) condisciple de Debussy au Conservatoire, mentionne par exemple, que notre compositeur a joué du piano villa Marie située à proximité…

Pendant son séjour villa Bellegarde, Debussy  accompagne les chansons des enfants et joue des duos  avec Mme von Meck . Il déchiffre, par exemple,  la quatrième symphonie de Tchaïkovski  que le compositeur lui a adressée et dont elle dédicataire.

En septembre 1880, la « tribu » von Meck se rend à Fiesole (près de Florence) avec Claude-Achille et ils y sont rejoints par un violoncelliste, Piotr Danilchenko et un violoniste, Vladislav Pachulski avec lesquels « le trio von Meck » va se constituer.

C’est donc à Fiesole que Debussy compose son Trio pour piano en sol majeur qui sera joué pour la première fois dans la villa Oppenheim sur les hauteurs de Fiesole où les von Meck résident.

 

Retour à Arcachon en 1904

C’est grâce à Raoul Bardac,  son élève qu’il fait la connaissance d’Emma Bardac sa mère.

Marié à Rosalie Texier depuis 1899, Claude Debussy est séduit par cette cantatrice amateur issue d’un milieu aisé.

Nièce de Daniel Iffla Osiris qui a fait construire la synagogue d’Arcachon en 1879, elle s’y est mariée avec Sigismond Bardac financier et amoureux des arts  en décembre de la même année, Emma Moyse Bardac est séduite par Claude !

En 1904, ils séjournent dans une des villas de l’oncle Osiris : la villa Laure-Raoul située avenue Euphrosine devenue Gambetta et aujourd’hui disparue.

Emma se souvient de son enfance passée à Arcachon dans la villa Riquet et c’est tout naturellement qu’elle a entraîné Debussy dans des lieux aimés.

Elle divorce de son  époux Sigismond en 1905 et sous le coup de son amère déception, son richissime oncle Iffla Osiris la déshérite.

Peu après, la naissance de Emma-Claude dite « Chouchou » en octobre 1905 vient couronner ce nouvel amour de Claude Debussy.

Le couple et leur enfant Emma-Claude s’installent dans un hôtel particulier du Bois de Boulogne et se marient en 1908.

 

Un dernier séjour au Mouleau en 1916

Les médecins suspectent un cancer colo-rectal chez Debussy dès 1910 après qu’il se plaint depuis 1907 de troubles sévères : sa vie va être alors rythmée par les problèmes d’argent : son train de vie l’oblige à accepter des commandes auxquelles qu’il peine à remplir, et par un état de santé défaillant.

Au mois d’octobre 1916, Emma souffrant de la coqueluche se voit recommander un changement d’air : Claude, Chouchou et elle se rendent à Arcachon au Grand-Hôtel du  Mouleau.

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Il écrit à ses amis en septembre et octobre 1916 avec humour et alacrité :

« Dans cet hôtel, il n’y a ni gaz ni électricité par contre il y a plusieurs pianos à chaque étage. C’est gênant et je ne vois pas à quoi ça peut servir? »

« Tout de même, je ne crois pas avoir jamais entendu autant de mauvaise musique à la fois? »

« Je suis pour ainsi dire à deux pas de l’Atlantique. N’attendez pas que je vous en décrive les rudes beautés….il faudrait le magasin d’images de Victor Hugo, je n’ai jamais été assez riche pour le racheter! » (lettre à Paul Dukas du 19 septembre 1916)

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Photo de la pinède du Mouleau avec sa fille « Chouchou » octobre 1916.

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Emma-Claude dans la pinède du Mouleau octobre 1916.

Claude Debussy reviendra dans le sud-ouest à l’été 1917 : il séjournera à Saint-Jean-de-Luz alors qu’il souffre de plus en plus de son cancer colo-rectal.

Il décède le 25 mars 1918 à 55 ans. Sa fille Emma-Claude « Chouchou » s’éteint en 1919 des suites d’une diphtérie mal soignée. Son épouse Emma décède en 1934.

Sources :

– Biographies de Claude Debussy par :

Léon Vallas,

François Lesure,

Edward Lockspeiser,

Jean Barraqué.

– Correspondance de la baronne von Meck avec Piotr Tchaïkovski (www.von-meck.info [7])

– Correspondance – (1872-1918) de Claude Debussy éditeur Galllimard, 2005

L’Avenir d’Arcachon journal numérisé sur Gallica-BnF

– Entretiens avec M. Claude Leroy

Thierry Lavoux

Avril 2025

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