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Croquis du Bassin – Le Monument invisible

Croquis, aujourd’hui, d’un monument qui assume le comble de l’entreprise monumentale : on ne le voit pas ! Pourtant, il arbore une taille respectable, il trône sur une hauteur, on l’entretient bien, mais, on ne le voit pas ! Il s’agit de la colonne rougeâtre consacrée à Nicolas Brémontier et que l’on peut deviner, dominant la route vers Pyla, à droite, en sortant de La Teste, un peu avant le rond-point de l’hôpital Jean-Hameau. Mais comme il s’agit d’un cippe, c’est à dire d’une construction discrète sans base ni chapiteau et comme aucun panneau routier ne signale sa présence, le monument de Brémontier passe inaperçu.

Et pourtant, Brémontier est le père d’un pays neuf : la forêt de pins qui nous entoure. Ingénieur des Ponts et Chaussées, Brémontier arrive de Normandie à Bordeaux en 1784. Déjà, depuis longtemps, on s’y alarme beaucoup devant l’avancée des dunes testerines dont des oiseaux de mauvais augure prétendent même qu’elles recouvriront bientôt le Port de la lune ! Si bien qu’en 1772 le conseil du roi Louis XVI a déjà retenu son attention sur le rapport du captal François Alain de Ruat qui décrit le danger d’ensablement et la manière d’y faire face.

Brémontier s’attaque donc à l’affaire et le Testerin Jean-Baptiste Peychean de Francon, homme d’affaires du dernier captal, François de Ruat, persuade l’ingénieur d’appliquer une méthode, peut être ancestrale, pour fixer le sable : couvrir les semis de pins de branchages et intercaler entre eux des genêts et des ajoncs. Brémontier retient la recette, une technique que l’ingénieur royal Charlevoix de Villers, installée à La Teste de 1778 à 1781, avait déjà recommandée. Brémontier s’empare des idées de ses prédécesseurs, a le grand mérite de trouver des fonds d’État dans des caisses publiques vides et, dès le mois de mai 1787, il fixe près de sept kilomètres de dunes, d’Eyrac à Pilat. Hélas : en septembre 1787, une forte marée d’équinoxe bouleverse les travaux.

Les années qui suivent, la France, en pleine Révolution, doit se débattre face à bien des difficultés et ce n’est qu’en 1804 que les travaux de fixation des dunes reprennent. Mais en dix-sept ans, les pins de 1787 qui ont survécu ont belle allure, retiennent les sables et produisent même l’or noir de l’époque : la résine. Ce qui suffit à convaincre beaucoup des réticents à l’opération et ils étaient nombreux. Brémontier en tirera, seul, toute la gloire. Il est vrai qu’il le doit aux circonstances puisque son cippe est élevé en février 1819, en pleine merveille de la Restauration royale, si bien que le monument attribue et vante les mérites de la réussite de la fixation des dunes autant à Louis XVI et à Louis XVIII, qu’à Brémontier. Un ministre de l’époque, Laîné, a utilisé pour cela 1200 francs sur les fonds destinés aux semis. Un bel exemple de saine comptabilité et de récupération politique qui rejette dans l’ombre Peyjehan et Charlevoix de Villers.

De même que l’épopée forestière oublie trop souvent aussi le nom de l’ingénieur agronome Chambrelent, doté d’un monument plus avantageux. A partir de 1850, il a entrepris le drainage de deux cent cinquante hectares marécageux à Cestas, dans le domaine de Saint Alban. Un quadrillage de fossés emporte l’eau vers une petite rivière proche. Le sol, assaini, peut recevoir des pins. Dès 1854, de tels travaux, qui ont convaincu l’Empereur déjà intéressé par l’avenir des Landes, le Sahara français, sont entrepris à grande échelle et un canal, creusé surtout par des forçats, coulant de Carcans au Bassin d’Arcachon, permet de drainer toute la plaine du Médoc.

Pourtant, dans cette extraordinaire aventure, seul domine vraiment le souvenir officiel de Brémontier, statufié aussi à Arcachon sur une place qui porte son nom. Il est vrai que cet homme a été un si grand commis de l’État qu’il a réussi l’exploit de soutirer des crédits à six régimes politiques différents dans une période très troublée. Il est aussi la preuve que l’intérêt national peut, pour les grandes causes ou les dangers imminents, transcender les clivages politiques. Une leçon qui vaut bien un monument sans doute et le petit arrêt que vous pourriez y faire en passant devant …

Jean Dubroca

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