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Croquis du Bassin – Cazaux éternel

La Teste, on le voit bien, tourne ostensiblement le dos à l’eau. La porte de son église, orientée face aux dunes, boude même la ville, depuis qu’on lui a volé le port sur lequel elle veillait. Et pourtant, pourtant, c’est bien La Teste qui offre la plus longue ligne de plages de la région. Comble du luxe, ce sable, parfois, plonge dans l’eau pure et douce. C’est ainsi qu’après quelques kilomètres d’une route qui s’offre un petit bout de voie rapide, on arrive à Cazaux, dans un monde déjà bien différent de celui du Bassin. Une vieille église trapue en garluche, des joueurs de boules sous les platanes, une école très IIIe République, quelques magasins comme ceux d’un western et, tout d’un coup, l’éblouissement d’un grand lac, un miroir bleuté, enchâssé dans un cordon de dunes vert foncé dansant la farandole. Et puis, des plages sous des arbres qui dégringolent jusqu’aux raz de vaguelettes : rien, ou presque rien n’a changé ici depuis des siècles. Même les grands parkings vallonnés, installés sous les pins, n’ont pas d’âge avec leur sol de grépin pour huit cents voitures, installées un peu en vrac et avec leurs tables rustiques qui reçoivent les pique-niqueurs, enivrés des odeurs de pignadas.

Lors des beaux dimanches, des flopées de famille débarquent sur ces plages cazalines, en quête d’ombre, de flots tranquilles et de nature quasiment vierge. Evidemment, il y a là comme ailleurs, un club de plage, des secouristes qui conseillent aux baigneurs de se méfier d’une eau douce moins porteuse que l’eau salée et qui surveillent de près les présomptueux qui, trompés par la quiétude du lieu, nageraient trop loin. Un peu plus au sud, une halte nautique, bien équipée, accueille des bateaux qui n’ont aucune tempête à craindre et qui peuvent voguer pépères vers des escales sur des terres sauvages de lagons que, par la terre, seuls atteignent des chemins sablonneux. Tellement sablonneux que, parfois, des voitures de “Parisiens” s’y enfoncent jusqu’aux moyeux de leurs quatre roues, ce qui fait courir des récits homériques parmi les boulistes qui pointent et tirent sur le plus beau boulodrome du secteur ou encore parmi les habitués du bar “Le Beau Site” qui conserve des airs de guinguette, à la terrasse ombragée de doux et épais platanes.

Pendant longtemps, l’un des propriétaires du lieu, M. Badet, a organisé là l’une des régates les plus étonnantes de la côte aquitaine : la traversée du lac de Cazaux en … baignoires ou en engins assimilés. Généralement, la baignoire se remplit d’eau. Dans ces courses qui ont marqué la mémoire cazaline, c’est tout le contraire : la baignoire fait un trou dans l’eau. Et si l’on voulait mesurer l’intensité du génie humain, il fallait observer de près tous les types de baignoires lancées dans la course. Des inventions qui auraient pu rivaliser, en technicité pure, avec les avions qui décollent de l’historique base toute proche. Certaines de ces baignoires tenaient un peu, les unes du pédalo classique, les autres de la gondole vénitienne mais manœuvrée à deux rames, d’autres encore qui s’approchaient du catamaran pour la stabilité et de la voiture de Formule 1 pour la silhouette, les dernières enfin, s’inspirant de la pirogue tahitienne à balancier, ornée de verdure et arborant pour voilure un large parasol multicolore protégeant un pilote, hardi mais point téméraire devant le risque de griller entre eau plate et soleil brûlant. Certes, on comptait nombre de vaillants capitaines qui sombraient corps et biens, victimes de jaillissements inopinés de bondes, de ruptures de structures mal conçues ou de déséquilibres patents. Mais on rigolait bien ! La tradition, qui a duré une bonne dizaine d’années, s’est hélas perdue …

Quoi qu’il en soit, Cazaux vogue, immuable et heureux, dans la paix millénaire de la forêt usagère – parfois vibrante de réacteurs – et source de souvenirs pour des milliers et des milliers de jeunes aviateurs et d’autant de touristes. Et Cazaux n’est pas près de sombrer …

Jean Dubroca

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