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Croix d’Hins

Nous parvenons à la limite de la commune de Biganos (avant la création de celle de Marcheprime) et sommes à la frontière du captalat de Buch ; nous atteignons des sommets culminants à plus de soixante mètres, constituant, par là-même, la ligne de partage des eaux : nous quittons le bassin de la Leyre pour entrer dans celui de l’Eau Bourde[1] [1].

[2]

Nous pénétrons dans le pays de Sarnès, mot dont la prononciation était rude et allongée, et qu’on a changé en celle de Cernés[2] [3]. Tous les anciens titres s’accordent aussi pour donner à cette contrée la dénomination de terre gasque[3] [4]. Plus précisément, nous entrons dans la comté d’Ornon[4] [5], acquise par la Jurade[5] [6] de Bordeaux le 22 septembre 1407.

Le chef-lieu de l’archiprêtré de ce pays de Cernès est la paroisse de Saint-Pierre de Gradignan que nous rencontrerons plus tard sur notre chemin.

Deux voies antiques conduisant de Bordeaux à Dax traversent la commune ; on les reconnaît encore à l’exhaussement du sol : elles portent les noms de Chemin romain (correspondant approximativement à la nationale 10 actuelle) et d’Ancienne Levée (notre chemin bougès) ; elles sont plus larges que les voies antiques ne l’étaient communément.

Suivant M. Danville[6] [7], le nom de Saesta n’est qu’une corruption des mots ad sextum, à la 6e lieue (ou ad sextam leugam lapidem), endroit où se trouvait la sixième borne milliaire[7] [8].

Avant que nous arrivions à Croix-d’Hins, le chemin menant de Mios à Bordeaux arrive sur notre droite et se joint alors à l’ancienne levée, comme nous l’enseigne le cadastre napoléonien de Mios.

Dans Arcachon et ses environs, Oscar Dejean voit la maison que M. Guestier a construit, en 1856, dans la forêt, puis l’ancienne auberge et le petit quartier de la Croix-d’Hins, entouré de belles prairies, de terres labourables, de vieux pins et de chênes séculaires. … La maison en face de la station appartient à la famille Darrieux ; elle a été bâtie lors de l’ouverture de la ligne de La-Teste, époque où furent semés les jeunes pins qui nous entourent…

Le terrain y est fertile, amendé par les nombreux chevaux qui y font halte. La méchante petite auberge[8] [9] de Verdeyres (est-ce une déformation, Jean Verdery l’aîné en étant l’aubergiste en 1812 ; il a succédé à Andrieux qui avait fait bénir sa maison en 1777[9] [10]) est réputée à dix lieues à la ronde : le patron, à la fois coiffeur, vétérinaire et bedeau, verse à ses clients un vin aussi aigre et rocailleux que le caractère des servantes[10] [11].

La Croix-d’Hins, hameau de la paroisse de Cestas, est sur le chemin de Bordeaux au bourg de La-Teste, appelé la levée de Jules César[11] [12].

Au temps des Romains la Croix-d’Hins est un des fins ou confins faisant séparation du territoire des Boïates (peuples du pays de Buch) d’avec celui des Bituriges Vivisques du Bordelais.

L’abbé Beaurein ne doute pas que ce lieu ait été habité du temps des Romains puisqu’on y a trouvé à diverses occasions, dit-il, quantité de médailles romaines, entre autres, un médaillon de bronze de l’empereur Vespasien, qui représentait au revers une figure de femme éplorée, et assise au pied d’un palmier, avec cette légende : Judoea capta. On y a aussi trouvé des briques qui auraient pu servir à la conduite des eaux.

Jouannet indique[12] [13] : sur l’autre voie romaine qui passe dans Sestas, à l’ouest et presque aux limites de la commune, au lieu de Heins, loin de toute carrière, on déterra, il y a plus de cinquante ans, une grande pierre en forme de borne, portant une inscription ; c’était probablement un milliaire. Cette pierre resta longtemps abandonnée sur le sol ; enfin, les habitants voisins la brisèrent et l’employèrent dans leurs constructions rurales. Nous n’avons pu en retrouver aucun vestige[13] [14].

Vers 1497, le curé de Cestas, dont la paroisse est située dans le territoire et la juridiction de Bordeaux, fait la levée de plusieurs corps morts qui sont au lieu de Labruneau, près le bois de Heins ; cette démarche funèbre déclenche quelque discussion, Gaston II de Foix, qui est pour lors captal de Buch, craignant que ces enterrements ne portassent quelque atteinte aux limites de sa Seigneurie ; une borne sur l’ancienne voie romaine en est le témoin historique. Pleins d’égards pour ce seigneur qui est de la maison de Foix de Candale, et qui, comme nous l’apprend Delurbe, dans sa Chronique sur l’an 1493, est gouverneur de la Guyenne[14] [15], les jurats déclarent qu’ils ne prétendent pas avoir, à raison de ces funérailles, ne plus grand droit, ne plus grands limites, ne possession en nos terres & Seigneuries de Buch[15] [16], qu’ils avaient ou prétendaient avoir auparavant.

[17]

La croix, censée représenter les limites de la seigneurie de Certes et de la paroisse de Cestas (avant la création de la commune de Marcheprime) figure sur le plan[16] [18] dressé, en 1745, lors du litige existant entre la dame de la Sale de Livrac et la Jurade bordelaise. Le plan s’étend de la Croix-d’Hins jusqu’aux Arrestieux, côté Levade, et entre les postes du Puch et des Taules, du côté de la route de Bordeaux à Bayonne.

Sur ce plan, l’ancien chemin bougès ou de Buch à Bordeaux, en amont de la croix, quitte la Levade et bifurque à droite en direction de la lagune où il y a une grande pierre mouvante dedans[17] [19], et poursuit vers les possessions et maison des Gleyzes apartenant à l’armateur Jean Testas[18] [20] ; Jean Testas possède les landes situées à proximité.

Ce plan ne nous en dit pas davantage sur la suite du chemin bougès.

À toutes autres fins utiles, sont mentionnés, sur ce plan, un petit courtieu couvert de chaume des paysans de la tuillière (quartier de Cestas) ; lucatet, pré et landes appartenant au sieur Lisserasse[19] [21] côme acquéreur du bien de galan apellé à lucatet ; le parc de Constantin ; les différentes possessions du sieur Martiens[20] [22], Conseiller à la Cour des aydes, fiefs du Seigneur de Certes (avec métérie), de celui de Saucats ou de la ville de Bordeaux, y compris sa maison de la poste du puchs (lire puch) ; les landes de la ville de Bordeaux séparées, par un fossé, des lande et terre labourable du sieur Tafard, y compris la maison de la poste des taules[21] [23] ; la meterie du sieur Dumas avocat apellée Taris (nom donné par le maître de la poste de Lestaules ; la métairie était à M. Marcouyau avant d’appartenir à M. Dumas), le sieur Dumas disposant aussi du courtieu de Pinoche ; les landes et fief des Pères prieurs Chartreux supportant le courtieu de Commere ; la maison de la poste des taules apartenent au Sr Tafrad ainsi que la lande et terre labourables. Les échelles sont en lattes[22] [24] bordaloises, toises et pas géométriques.

[1] [25]Aiga Borde, Aigua Borda, Aqua de Petralonga, Estey de Ste-Croix, l’Eau Bourde prend sa source à Cestas au lieu-dit La Birade, passe au Petit Arcachon[1], où elle arrose sa plage sablonneuse de poche, et après s’être divisée en deux bras – l’estey de Franc et l’estey Sainte-Croix – se jette dans la Garonne au lieu dit Clos de Hilde à Bègles. La longueur de son cours d’eau est de 22,5 km. Autrefois, un troisième bras de l’Eau Bourde aujourd’hui canalisé donnait naissance à l’estey de Tartifume et à celui de Lugan. L’Eau-Bourde (appelée dans certains textes Eau de Peyrelongue) parcourt vingt-trois kilomètres entre Cestas et la Garonne. À partir de Peyrelongue (Pont-de-la Maye) son cours s’infléchit nettement vers le nord en coupant à travers la terrasse de graves, à l’issue de quoi elle reçoit sur sa gauche les eaux du ruisseau des Malerets, autrefois appelé ruisseau d’Ars ou des Arcs. Elle se divise alors en deux bras, le premier s’écoulant au nord jusqu’au pied de l’abbaye de Sainte-Croix (estey de Sainte-Croix), l’autre deux kilomètres au sud (Estey-Majou ; prolongement naturel du ruisseau d’Ars).

[2] [26] – Le pays de Cernès s’appuyait sur un archidiaconé et un archiprêtré disparus à la Révolution.

[3] [27] – L’abbé Baurein, dans ses Variétés Bordeloises, explique comment les Sarrasins qui sortirent d’Espagne dans le huitième siècle, sous la conduite de leur chef Abd-ar-Rahmân, et qui pillèrent, saccagèrent et incendièrent Bordeaux, trouvant que la contrée dont il est ici question, était peuplée et bien cultivée, la dévastèrent entièrement, ne fût-ce que pour répandre la terreur dans le pays.

Il suppose qu‘in Sarnesio employé dans les titres latins pourrait être une contraction de in Sarcinesio, c’est-à-dire occupée ou ravagée, témoin de la fuite des sarrasins ; de même pour la dénomination de terre gasque (terre dévastée).

[4] [28] – Villenave, une partie de Bègles et de Martillac, Léognan, Gradignan, Canéjan et Cestas.

[5] [29] – Au XVe siècle, la ville de Bordeaux est gouvernée par douze jurats qui ont chacun sous sa direction un quartier de la ville qu’on appelle Jurade, Source Bordeaux vers 1450, Léo Drouyn, 1874.

[6] [30] – Peut-être s’agit-il du géographe et cartographe Jean-Baptiste Bourguignon d’Anville (1697-1782).

[7] [31] – Comptées en lieues gauloises. Source : Le Musée d’Aquitaine: journal uniquement consacré aux sciences, à la littérature et aux arts, 1823.

Le mot mille vient de la traduction de la lieue italienne ou mille pas géométriuques qui se dit miglio ; le terme milliaire était utilisé par les géographes pour désigner les lieues (du latin leuca) de nations.

[8] [32]Voyage à La-Teste, Jean Edmond Géraud, 1825.

Edmond Géraud, poète, né et mort à Bordeaux (1775-1831), possède le domaine de Belle-Allée, à l’emplacement de la gare d’Orléans. Il est enterré au cimetière de Cenon.

[9] [33]Cestas en Graves et Landes girondines, Les amis du vieux Cestas, 2012.

[10] [34]Les Auschitsky de Bordeaux, Bertrand Auschitzky.

[11] [35] – De Jacques Ragot ; extrait du Bulletin n° 144 de la Société historique et archéologique d’Arcachon et du Pays de Buch.

[12] [36]Le Musée d’Aquitaine, François Vatar Jouannet, 1823.

Rappelons-nous qu’il existe deux voies romaines pour aller de Bordeaux à Dax.

[13] [37] – En 2005, une nouvelle croix avec une plaque a été posée sur un socle à l’entrée de Croix d’Hins.

[14] [38] – On trouve plus couramment le titre de sénéchal de Guyenne.

Les gouverneurs sont choisis dans la grande noblesse ; leur mission est de représenter le roi et, parmi leurs nombreuses prérogatives, ils exercent le commandement militaire.

[15] [39] – Selon l’acte notarié du 1er mai 1497.

[16] [40] – Plan dressé à l’occasion du litige entre les jurats de Bordeaux et la dame de la Sale de Livrac : les terres contestées sont comprises entre la LEVADE qui se dirige vers les Arrestieux et l’ancien chemin bouges ou de Buch à Bordeaux qui, depuis la croix, se dirige vers le bourg de Cestas. AD Gironde 2 Fi 1065.

[17] [41] – Le plan du Conseil général de la Gironde de 1875 ne la situe pas au bon endroit.

[18] [42] – Le 29 octobre 1734, Jean Testas, bourgeois et marchand de Bordeaux, obtient à bail nouveau fief de deux cent journaux de terre en lande, formant un carré long de deux cent soixante lates en longueur du levant au couchant, et de quatre cents lates du midi au nord, situés dans la paroisse de Cestas, comté d’Ornon ; à la charge de payer la somme de 150 livres pour droit d’entrée, 1 sou d’exporle à muance de seigneur ou d’emphytéote et 30 sous de cens et rente, payable à la Noël. Source : Inventaire des registres de la jurade, AM Bordeaux, vol. 6.

On connaît Jean Testas, armateur, pour s’être implanté à Pointe-à-Pitre, au port du Morne-renfermé. Source : La ville aux Iles, la ville dans l’île: Basse-Terre et Pointe-à-Pitre, Guadeloupe, 1650-1820, Anne Pérotin-Dumon, 2000.

[19] [43] – On trouve un Antoine de Lisserasse qui épouse, le 9 septembre 1710, Marie d’Arrac de Vignes, fille de Gabriel et Olive de Lestonnac.

[20] [44] – Il est probablement permis de faire le rapprochement entre la famille Martiens (ou Marthiens) de Lagubat, et le relais de poste du Puch de Lagubate.

On trouve (sur geneanet) Bertrand de Martiens de Lagubat, né en 1650, greffier à Saucats, et (AD Gironde C.4880), en 1571-1588, Arnaud de Martiens, notaire à Saucats et alentours, et en 1763, Jean-Baptiste de Martiens, sieur du Puch de Lagubat, Conseiller en la Cour des Aides.

Sur les plans, de 1793, relatifs au profil des travaux à exécuter sur la route de Bordeaux à Bayonne comprenant la deuxième partie de l’atelier de l’Estaulle et du Puch de Lagubat, il est noté côté Estaulle le dernier angle de la maison ou était l’ancienne poste, et plus loin la seconde maison du citoyen Lagubat. AD Gironde 2 Fi 1025.

[21] [45] – Dans La polychrographie en 6 parties de l’abbé Jean-Joseph Expilly, 1755, nous avons vu que le relais de poste de Bellevue, relais intermédiaire entre celui de Gradignan et celui du Putz de la Gubatte, est désigné l’Estaule (aujourd’hui Lestaules sur la carte IGN).

Cassini ne fait pas état de l’ancien chemin bouges ou de Buch à Bordeaux et distingue le relais de poste de Bellevue du lieu-dit des Taules

[22] [46] – La latte avait sept pieds de long.

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