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Chronique n° 097 – Un chalutier révolutionnaire

Une nouvelle aventure arcachonnaise du XIXème siècle s’est ouverte sur la mer, après le désastre, “Le grand malheur ”, du 28 mars 1836, quand six chaloupes de pêche, non pontées, sombrent dans les passes. On pleure soixante-dix-sept noyés. L’enquête qui suit cette catastrophe est confiée à un Breton, le capitaine Louis David Allègre, installé depuis 1835 à Andernos. Il va conclure son intervention par l’obligation de ponter les chaloupes. Mais, sa rencontre avec les souffrances engendrées par ce naufrage va le pousser à innover.

Propriétaire d’une scierie à machine vapeur, à Andernos, il songe à équiper d’un tel engin un bateau de pêche. Avec quelques associés, il fait construire, à Bordeaux, deux bateaux en bois et y embarque un moteur à vapeur, actionnant des roues à aubes, aidées par une voile d’appoint. C’est le “Turbot”, le premier chalutier à vapeur du monde. Il fait des essais, au large, en novembre 1836 et sa première pêche des 30 et 31 décembre rapporte cinquante quintaux de poisson. Tout le Bassin est en émoi ! Bientôt, vient “La Sole”. Mais l’entreprise échoue, malgré aussi les efforts de François Legallais qui lance, en vain, “Le Testerin”.

Il faut attendre 1865, Harry Scott Jonhston, sa société des “Pêcheries de l’Océan” et ses chalutiers, mieux adaptés, en fer et surtout mus par hélices, ceux-là. Le “Héron” et le “Cormoran”, implantent le chalutage à vapeur à Arcachon. Une estacade, des entrepôts, des ateliers, complètent bientôt les installations et marquent le début du développement d’une véritable zone industrielle, le long de la plage, d’Eyrac à l’Aiguillon, équilibrant ainsi les facteurs de la vie économique arcachonnaise, jusque-là uniquement tournée vers “L’industrie de l’étranger”.

On compte, plus ou moins longues, cardes entreprises de pêche industrielle ont vu le jour, avec autant de bonheurs que de malheurs, toutes n’ayant pas eu la prudence de Johnston de se couvrir en investissant dans la “Société immobilière du Moulleau”. Pour l’époque, on peut citer, avec Noël Gruet : la “Société nouvelle des pêcheries à vapeur”, la “Société des pêcheries françaises”, la “Société des pêcheries nouvelles du golfe de Gascogne”. En 1910, trente-neuf chalutiers à vapeur, bien équipés, débarquent neuf mille tonnes de poissons, en même temps que se créent des fabriques de glace. Arcachon se place dans les premiers ports de pêche français. On dit même le deuxième.

En 1904, ses vapeurs sauvent cent soixante-neuf marins gujanais dans les passes car la petite pêche continue, notamment pour les sardines. Cinq conserveries ouvrent ici devant l’abondance de ce poisson sur nos côtes. “La Société nouvelle”, se lance même dans l’aventure de la pêche lointaine. De 1904 à 1908, quatre bateaux partent pour au moins un mois pêcher la morue. En 1928, un morutier très moderne, le “Victoria”, long de soixante-trois mètres, peut même partir durant trois mois, avec une cale pouvant rapporter neuf cents m3 de poisson. De plus, en 1897, un mécanicien de génie, Albert Couach, met un point un robuste moteur marin à pétrole, à deux temps, aussi bruyant qu’efficace. Très vite, il équipe de nombreuses “pétroleuses”, des pinasses de “parqueurs d’huîtres” que l’ostréiculture enrichit un peu. En 1910, toujours, on estime donc à quatre mille sur le Bassin, le nombre de personnes vivant des activités maritimes.

Mais cet âge d’or de la pêche n’est pas une manne pour tous. Il faut souvent “faire la charité” dans le quartier de l’Aiguillon. De plus, des faillites de sociétés de pêche, trop vite montées, entraînent de grosses difficultés. Celle du “Golfe de Gascogne”, en 1911, amène la mairie à secourir les équipages des vingt chalutiers en payant leurs 20 000 francs de salaires. La fuite des sardines de nos côtes oblige, en 1914, la municipalité à ouvrir des soupes populaires, afin de nourrir des employés de conserveries sans ressources. Enfin, lorsque la guerre éclate, un coup très dur est asséné à la pêche industrielle arcachonnaise. Mais c’est une autre histoire.

À suivre…

Jean Dubroca

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