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Chronique n° 059 – De sable et de légendes

   

1857 : Paris inaugure son exposition universelle, Clai met au point sa locomobile routière, Le Bris fait voler son dirigeable, Pasteur explique la fermentation lactique et … le train arrive à Arcachon. A cet événement, s’associe, pour toujours, le nom d’Adalbert Deganne, un ingénieur “romantique”. Du moins est-il agréable de le voir figurer ainsi dans la légende arcachonnaise qui aime bien parer son panthéon d’un halo d’aventure. Souvenons-nous de François Legallais, pirate devant l’Eternel et, avant lui, de Thomas Illyricus, sauvant deux bateaux des flots déchaînés …

Donc, on raconte : nous voici en Juin 1839. Agé de vingt-deux ans, Deganne erre dans les rues de Bordeaux, seul et désespéré. Tellement déprimé qu’il se met en quête d’un embarquement lointain. Le seul moyen d’oublier que, quelques jours auparavant, celle qu’il aimait secrètement depuis cinq ans, Clémentine Leriche de Chévigné, a épousé le falot comte de Mortemart, dans les grondements des grandes orgues de la cathédrale de Reims. La grande qualité reconnue de cet aristocrate de haute lignée, c’est qu’il fait briller le lustre de la famille de la veuve Cliquot. Cette grande mère de Clémentine, fort riche, refuse toute mésalliance. Il est vrai que Deganne n’est que le fils d’un bourgeois vigneron de Vertus, un chef-lieu de canton perdu dans les plantureux vignobles de la Marne. Il n’est aussi qu’un ingénieur qui a participé à la construction du chemin de fer Paris-Versailles ! Tandis qu’elle, la veuve Cliquot, c’est autre chose : ses armoiries pourraient s’imprimer sur des milliers d’étiquettes de bouteilles de champagne. Elle ne peut déroger. Il lui faut bien au moins un comte pour ennoblir sa richesse.

Évidemment, on imagine que Clémentine pleure beaucoup et que ses pleurs redoublent lorsqu’elle songe aux rendez-vous discrets qu’elle accordait au jeune Adalbert, au carrefour des “Six routes”, dans la forêt de Boursault. Si discrets qu’aucun garde-chasse du vaste domaine n’a jamais aperçu les tourtereaux !

Revenons à Deganne, perdu sur les quais de Bordeaux, réduit à chercher un navire pour les Indes. Il n’en trouve pas, Bordeaux n’étant pas particulièrement, sur le chemin des Indes. A défaut de lointains espaces, Deganne pousse la porte de la compagnie des chemins de fer Bordeaux-La Teste. On l’y embauche. Il travaille à la conception et à l’édification de la ligne et, forcément, il ne peut qu’arriver à La Teste, lorsqu’elle l’atteint. La Teste où, auréolé du prestige qui accompagne ces nouveaux pionniers, il rencontre Nelly Robert. Il l’épouse. C’est un beau parti, Nelly Robert, fille d’un officier de santé et petite fille de Martin Robert, négociant et de Marie Daisson, héritière de la famille Daison-Jeantas. Ce qui permet à Nelly d’apporter en dot quarante-quatre hectares de forêt à Eyrac et à La Chapelle, soit à peu près la moitié des terrains d’Arcachon, celle qui forme aujourd’hui le centre-ville. A titre de comparaison, la ZAC de ce même centre-ville représente aujourd’hui trois hectares et demi.

C’est le pactole qui tombe sur le ménage “lorsqu’avec la complicité bienveillante des représentants de l’État”, dit Robert Aufan, ces terrains, situés en forêt usagère, prennent tout à coup une grosse valeur. En effet, alors qu’ils valaient peu, car frappés des droits d’usage, le rachat de ces droits devient possible pour trois cents francs l’hectare alors que les Deganne vendent gaillardement leurs biens pour cinq mille francs le même hectare … Mais la fortune arrivée fait-elle oublier à Deganne que “le seul bien qui reste au monde est d’avoir quelquefois pleuré”, comme l’écrit Alfred de Musset ? Musset, justement mort en 1857, quand le train de Deganne arrive à Arcachon. Mais c’est une autre histoire…

À suivre…

Jean Dubroca

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