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Chronique n° 051 – Des Bougès achètent Arcachon

   

Les propriétaires des pins semblent assez pressés de voir se régler au plus vite l’épineuse question des constructions arcachonnaises car réalisées, pour la plupart, dans la forêt usagère. Effectivement, des Testerins bien placés, sensibles aux charmes d’Eyrac mais sentant de ce fait la bonne affaire, y ont acheté des terrains, notamment depuis l’arrivée du chemin de fer dans leur bourg en 1841. Le maire, Clément Soulié a même hâté le mouvement, en proposant à ses collègues, qui l’acceptent à l’unanimité le 14 mai et avec une belle lucidité “de promouvoir la plage de la pointe de l’Eguillon”.

Le mouvement d’achat de terrains s’amplifie. Par exemple et entre autres opérations, en 1842, le maire de La Teste, Jean Hameau, achète une parcelle au lieu-dit Peymaou. Il y aura pour voisin, en 1843, Arnaud Bestaven, encore un futur maire. En 1846, Oscar Déjean, autre futur maire lui aussi, achète un terrain à Eyrac. L’arrivée de la route jusque-là, en 1845, accentue le phénomène. A partir de mars 1846, les classements en chemins vicinaux des allées tracées dans la forêt, au mépris des droits d’usage, permettent de légaliser le droit à construire. Par ailleurs, le préfet accorde de plus en plus d’autorisations d’enclore les parcelles, surtout à partir de 1850. Si bien qu’en 1853 presque toutes les propriétés situées en front de mer sont encloses. Par contre, à la même date, le préfet prend bien la précaution de défendre les intérêts de l’État en fixant les limites du domaine public maritime.

Tous ces faits entraînent deux questions. La première : pouvait-on clore les propriétés ? “Non ! “, répond fermement Jacques Ragot dans son “Étude sur la forêt usagère”. Il s’appuie sur un argument simple : “L’usager ayant le droit de ramasser des glands et du bois mort sur toute l’étendue de la forêt, aucune clôture ne doit l’empêcher de passer”. Un droit d’ailleurs confirmé par la Cour d’appel de Bordeaux … en décembre 1976. Mais une habile interprétation d’une loi de 1791 a permis de contourner la coutume.

Seconde question : pouvait-on construire ? Dans la transaction de 1759, rien n’interdit de construire dans les clairières ni en bordure de mer. C’est une brèche où s’engouffrent tous ceux qui installent des villas dans Eyrac. Et les conseils municipaux testerins, représentant les usagers depuis 1837, réagissent fort mollement aux abattages d’arbres, donc aux constructions et aux ouvertures d’allées. Entre 1852 et 1854, cinq nouveaux chemins sont créés, dont les actuelles avenue Sainte-Marie ou Gambetta. Jugez de leurs tailles ! Si bien qu’en 1853, le conseil municipal testerin estime que le rachat des droits d’usage serait une solution pour résoudre le casse-tête ainsi créé et entériner tout ce qui s’est fait. Le conseil testerin s’appuie sur une idée émise déjà en 1848. Il prétend, avec un bons sens certain, “que les usagers trouvent plus d’avantages aux constructions qu’à profiter des droits d’usage”.

Comment donc les usagers réagissent-ils devant un processus d’abandon de l’usage qui se met inexorablement en marche, eux dont les ancêtres n’avaient pas hésité à tenir tête au redoutable duc d’Épernon, en 1587, l’un des plus grands seigneurs de France ? Les choses ont bien changé, notamment depuis qu’en 1794, la forêt usagère a été décrétée privée. L’autoritarisme politique qui, dès cette date et au moins jusqu’en 1870, s’impose presque sans arrêt à l’ordre social, ne permet guère une gestion collective de la forêt. N’empêche qu’en 1852, les usagers se fâcheront. Mais c’est une autre histoire …

À suivre…

Jean Dubroca

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