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Château de Salles

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Le château est bâti en 1657 par Jean de Pontac, seigneur de Salles (famille parlementaire bordelaise au XVIIsiècle) ; la construction est surveillée par Artaud Masson, Receveur général des décimes de Guyenne, il avait pris en fermage la seigneurie de Salles, tandis que Charles Dupuy est le jardinier du château. La demeure est par la suite occupée par les seigneurs de Montferrand en 1760. En 1780, le château appartient à Monsieur de Pichard qui sera guillotiné ainsi que son épouse et leur régisseur, Monsieur Clerc ; la fille de Monsieur Pichard se trouve alors en Angleterre. Elle a épousé Monsieur Puységur et, est revenue en France.

Vendu à Raoul Brun au début du XXe siècle, le château appartient ensuite à Monsieur Choquet, avocat à Paris qui meurt, ainsi que son épouse, tragiquement dans un accident de voiture ; la fille de Monsieur Choquet hérite de ce bien et le vend à un groupe hollandais

La commune de Salles a fait l’acquisition du Château de Salles, de ses dépendances et parcelles alentours le 10 juin 2022.

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https://www.ville-de-salles.com/commune/histoire-et-patrimoine/ [5]

La condamnation à mort de Nicolas de Pichard, seigneur de Salles, de sa femme, de son régisseur Jean Clerc

À la veille de la Révolution, la paroisse de Salles a pour seigneur un personnage éminent « Le haut et Puissant seigneur » Nicolas Pierre Pichard, président à Mortier au Parlement de Bordeaux. Alors âgé de 54 ans, le président Pichard a grande allure. Plus grand que la moyenne – il mesure 1 m 75 – il possède un profil aquilin, un regard noir sous des sourcils noirs mais une chevelure maintenant grisonnante. Comme la plupart de ses collègues, le président Pichard appartient à une vieille famille de parlementaires bordelais. Son père a été conseiller, comme ses grands pères, Pichard et Combabessouze. Il est né, le 12 novembre 1734 du mariage de Messire Pierre de Pichard, conseiller au Parlement et de dame Anne de Combabessouze. Son grand père, Nicolas de Combabessouze est son parrain et selon l’usage de notre pays, lui a donné son propre prénom. Au décès de son père, survenu à Bordeaux en 1746, Nicolas Pierre de Pichard n’a que 12 ans, beaucoup trop jeune pour occuper la charge laissée vacante au Parlement. Cependant sa carrière parlementaire est exceptionnellement rapide. Le 26 mai 1760, dans sa 26ème année, il devient Avocat général au Parlement et président à Mortier.

Il épouse une parisienne beaucoup plus jeune que lui, demoiselle Marie Joséphine Adélaïde Le Breton que le premier registre du conseil municipal de Salles nous présente comme une femme belle et jolie, brune au nez bien fait, front grand et visage ovale. Le certificat de résidence qui décrit ainsi Mme Pichard lui donne 20 ans de moins que son mari. En fait, cet écart n’est que de 18 ans … seulement ! Mme Pichard donne le jour à Marie Adélaïde, née à Bordeaux le 26 janvier 1769, et à un fils qui ne survécut pas à ses parents.

La famille Pichard habite habituellement le magnifique hôtel sis 44, rue du Mirail à Bordeaux. Cependant, de Pâques à la Toussaint, on passe la belle saison à la campagne, soit à Saucats, soit au Château Lafite ou même au Château de Salles où l’on amène une partie de la nombreuse domesticité.

Le président Pichard a hérité de son père et de son grand-père les Baronnies de Saucats et Le Barp que la famille a achetées en 1675. Mais il devait en quelques 20 ans se constituer un énorme patrimoine immobilier qui allait faire de lui un des premiers propriétaires fonciers de Guyenne. Plus spécialement, il achète successivement plusieurs seigneuries de notre région : Belin le 10 novembre 1761, Salles le 6 novembre 1764, Lugo le 27 mars 1765, qu’il revend d’ailleurs peu après.

Lors de l’assemblée des trois Ordres, préparatoire aux États Généraux, qui se tient à Bordeaux le 9 mars 1789, le président Pichard est seigneur des maisons nobles de Coutet et de Lafite – le grand cru de Pauillac déjà célèbre –seigneur haut justicier de Pauillac, Salles, Belin et Beliet ; comme ses père et grand-père, il est baron de Saucats et Le Barp. Outre ces fiefs et terres nobles, il possède aussi en roture un très grand nombre de terres et vignobles en Bordelais, Réolais et Bazadais, tellement même qu’il est surnommé « le grand vigneron ».

Pour administrer ces fiefs et divers domaines, le président Pichard a dans chaque seigneurie son Juge et son Procureur d’office, mais ces officiers de justice ont toute latitude pour exercer leurs fonctions et il n’a de ce côté aucune préoccupation. Par contre, le président Pichard est en liaison constante avec les régisseurs qui s’occupent de ses propres terres, de leur exploitation et de la commercialisation des récoltes. C’est ainsi qu’il a à Salles un collaborateur remarquable en la personne de Jean Clerc. Suivant de très près ces activités agricoles, le président Pichard se tient au courant du prix de ses résines de Salles du cours de la laine, du prix du bois et des vins et il donne aux uns et aux autres des directives précises. Il apporte dans son administration un grand souci de méthode et d’organisation. C’est précisément parce que la correspondance de Jean Clerc est soigneusement classée et conservée que le procès put s’ouvrir, et entraîner l’exécution de Jean Clerc, du président et même de Mme Pichard, qui n’est vraiment pour rien dans ces correspondances d’affaires.

On ignore l’importance des ressources que le président Pichard peut percevoir dans ses fonctions parlementaires. D’ailleurs il existe en général très peu d’informations sur les épices versées aux membres du Parlement. Par contre, la déclaration des revenus du président établie, le 20 mai 1794, par son fondé de pouvoir à Bordeaux nous donne toutes précisions sur le revenu des propriétés : Le vignoble de Lafite rapporte net : 29 780 livres, le vignoble de Blanquet à St-Estèphe : 1 404 livres, le vignoble de Lhorte à St-Laurent du Médoc : 1 951 livres ; soit au total plus de 33 000 livres, soit 330 millions d’anciens francs (moins de 555 000 euros). Et bien après : Saucats 6 500 livres, Salles 4 218 livres, Belin 436 livres, Béliet 473 livres, Léognan 292 livres, St-Médard 550 livres, Cadaujac 640 livres, dans le Réolais (Blagnac, Loupiac, Fontet, Guibardan, Floudés) : 6 700 livres, dans le Bazadais (Bomme, le château de Peyraquey, Roaillan, Fargues) : 2505 livres. Au total plus de 53 000 livres de revenus net. À noter aussi que le montant de la vente de la récolte du château Lafite s’élève à 75 000 livres. Cependant, outre les charges d’exploitation dont il est tenu compte dans les chiffres ci-dessus, le président Pichard supporte le poids d’un endettement énorme de 340 000 livres. C’est en effet grâce à des emprunts que le président Pichard a constitué son patrimoine. Ainsi, contrairement à l’opinion habituellement admise, la notion de dettes n’est pas également infamante dans tous les milieux de la société du XVIIIe siècle.

Cet exemple rapproché de celui des Durfort de Civrac, les importants voisins de la seigneurie de Certes montre que l’aristocratie n’hésite pas à emprunter des sommes énormes et, ce qui est bien plus étonnant encore, elle trouve les fonds nécessaires dans un système économique où le réseau financier n’existe pratiquement pas.

En ce début d’année 1789, alors que la préparation des États Généraux va bon train, le président Pichard se trouve soudainement placé devant des difficultés familiales qui vont le préoccuper au plus haut point. Sa fille Marie Adélaïde vient d’avoir 20 ans et ce n’est pas un anniversaire épanoui et heureux : elle souffre de langueur. Un médecin est appelé. Après un entretien avec la jeune fille il diagnostique, sans le moindre doute, la cause du mal … d’amour ! Ce diagnostic ne surprend pas outre mesure les Pichard. Le président connait les sentiments de sa fille pour Maxime de Puységur. Mais l’éventualité de ce mariage ne lui plait pas et il a jusqu’alors manifesté son hostilité et son refus. Pour comprendre le comportement du président à l’égard de sa fille, il faut rappeler que deux ans plus tôt, il a perdu son unique fils, décédé au château Lafite en 1786. Ce jeune fils, François Jean de Pichard, déjà conseiller au Parlement lui aussi, meurt sans postérité. Profondément atteint dans son affection, le président Pichard envisage avec inquiétude l’avenir de l’immense patrimoine qu’il est parvenu à constituer. Très certainement depuis le décès de son fils, le président Pichard songe à choisir un gendre dans ce milieu de parlementaires auquel il appartient, qui serait aussi comme lui-même un homme de la terre. Ce gendre serait son successeur. Or, Maxime de Puységur n’est ni bordelais, ni parlementaire, et il ne possède pas le moindre fief en Guyenne. Il est colonel et a déjà 36 ans. Le président se résigne à ce mariage. Le 17 février, il signe chez Dufaut, son notaire de Bordeaux, le contrat de mariage de sa fille. Une chose incroyable se passe, à laquelle on pouvait d’ailleurs s’attendre. Le président ne donne aucune dot à sa fille. Il lui constitue toutefois sa succession, ce qui veut dire qu’elle n’est pas déshéritée. Madame Pichard, par contre constitue à sa fille un tiers de ses biens présents et à venir. Cependant, le président donne à sa fille et à son gendre une pension annuelle de 8 000 livres, le logement et la nourriture ; mais il ne donne ni les domestiques ni les chevaux. En cas de mésentente, les jeunes époux percevraient une pension de 15 000 livres. Ce fut la seconde formule qui fut retenue.

Le président eut été peut-être en difficulté pour verser comptant une dot qui appropriée à son rang et à sa fortune aurait dû s’élever entre 80 000 et 100 000 livres. Peut-être aussi pensait-il que Puységur n’avait pas les qualités requises pour gérer une dot importante. Le contrat de mariage étant signé, il est grand temps de sortir Marie Adélaïde de sa langueur et de lui administrer le remède conseillé par la Faculté. On la marie dans les huit jours. Les Pichard renoncent à une grande manifestation mondaine dans leur hôtel de la rue du Mirail. On ne choisit pas davantage le château Lafite ou celui de Salles, mais celui de Saucats, le plus ancien fief de la famille. Le 24 février 1789, Marie Adélaïde de Pichard épouse Messire Jacques Maxime Paul de Chastenet, comte Maxime de Puységur, chevalier de Saint-Louis, colonel attaché au régiment de Monsieur, Frère du Roi, et fils du défunt Marquis de Puységur, lieutenant général des Armées.

Le mois suivant, le 29 mars le président Pichard et son gendre participent à l’Assemblée des Trois Ordres, lui-même à titre de possesseur de fief, Puységur à titre de comte, ne possédant pas de fief. Ils retrouvent là leur voisin François Amanieu de Ruat, Captal de Buch et lui aussi conseiller au Parlement. Il y a là également Cyprien de Verthamon, qui représente sa mère Marie de Caupos, veuve du Premier président Martial de Verthamon, vicomtesse de Biscarrosse, Baronne de Lacanau et d’Andernos, seigneuresse des prévôtés de Parentis, St-Paul et Ste-Eulalie en Born. L’autre grand voisin, le comte de Civrac, seigneur de Certes, c’est-à-dire de Mios, Biganos, Audenge, et aussi d’une moitié du Barp est absent, il se trouve à Pondichéry où il va mourir peu après. Enfin on rencontre probablement les délégués du Tiers venus de Salles : Pierre Plantey, marchand, Jean Dubourg, laboureur, Étienne Bédouret, boulanger, Arnaud Dumeste, marchand. Ainsi commence l’année 1789. En mai 1790, le couple Pichard quitte Bordeaux. Il n’y revint jamais. Jusqu’à la fin janvier 1794, il mène une vie instable, se transportant successivement à Luchon, Toulouse, Paris et Saint-Germain où il est arrêté. Or, le président Pichard est une importante personnalité de Bordeaux où est situé son domicile ainsi que le centre de ses activités et intérêts. Cette absence fut suspecte. Le président Pichard fut considéré comme émigré et il fut traité comme tel malgré ses protestations énergiques et répétées.

Pourquoi donc le président Pichard prend-il un risque aussi important et pourquoi fait-il en sorte de ne jamais regagner son domicile bordelais ? Les documents des Archives de Bordeaux ou de Paris n’apportent à cette question aucune réponse claire. Peut-être le président Pichard est-il désireux de prendre quelque distance par rapport à ce milieu où il est très connu et qui peut lui devenir hostile. Il ne semble pas cependant, que le président Pichard ait eu à redouter une réelle hostilité des populations placées sous sa dépendance seigneuriale. Peut-être pense-t-il que l’éloignement de Bordeaux est de nature à faciliter une émigration éventuelle où il aurait retrouvé les nombreux jeunes nobles qui ont quitté le territoire national. Mais, pas plus que François Belcier, seigneur d’Arès qui lui aussi allait être exécuté, le président n’émigre.

En fait, il apparaît comme à peu près certain que la santé défaillante de Madame Pichard et du président lui-même est la constante préoccupation du couple. Pendant trois ans et demi, de station thermale en station thermale, de changement d’air en changement d’air, le couple Pichard cherche un remède qu’il ne trouve pas.

Nous connaissons l’emploi du temps de la famille Pichard pendant cette période grâce aux certificats de Résidence que le président adresse régulièrement au District de bordeaux, et grâce aussi aux interrogatoires subis le 28 janvier 1794 par le président et le 17 mai par Mme Pichard à la veille de leur procès.

Donc, fin mai 1790, reprenant ses habitudes estivales, le couple Pichard part dans les Pyrénées prendre les eaux à Bagnères-de-Luchon. Il y reste quatre mois. Au lieu de revenir à Bordeaux, où l’air ne doit pas être favorable, le couple passe l’automne et l’hiver dans ses « campagnes ». En mai 1791, nouveau départ pour Luchon où l’on arrive le 5 juin, accompagné cette fois par Maxime de Puységur et son épouse. Naturellement la famille Pichard ne voyage pas seule. La domesticité l’accompagne.

Un événement grave et lourd de conséquences a lieu pendant ce séjour d’été. Profitant de la proximité de la frontière espagnole, Maxime de Puységur émigre. Le séjour prend fin le 18 octobre 1791. Cette fois encore au lieu de rentrer à Bordeaux, le couple Pichard s’arrête à Toulouse où il arrive trois jours plus tard ; il y passe l’hiver.

À son tour, Mme de Puységur émigre. Elle rejoint son mari en Espagne promettant de rentrer dans les quatre mois. Évidemment, elle n’en fit rien. Au cours de son procès, le président Pichard est formellement accusé de complicité dans le départ de son gendre et de sa fille, il s’en défend avec la plus grande vigueur, l’accusation étant d’une extrême gravité. Madame Pichard, accusée elle aussi, se défend en rappelant, comme son mari qu’il n’est pas possible d’être responsable d’un gendre de 40 ans et d’une fille de 22 ans. (La décision de Maxime de Puységur et de son épouse tombe sous le coup du décret de l’Assemblée Législative du 9 novembre 1791 qui rend les émigrés passibles de la peine de mort et de la confiscation de tous leurs biens).

Mais le président a le tort de déclarer qu’il a versé à sa fille 12 500 livres sur la pension qu’il lui devait. Cet aveu que l’accusateur public allait interpréter à sa manière est catastrophique.

Lorsqu’arriva le printemps 1792, les Pichard quittent Toulouse et, cette fois encore, ne rentrent pas à Bordeaux. Le 10 avril, ils se fixent à Paris, rue des Sts-Pères. Ils y restent une année. Au printemps 1793, les Pichard prennent les eaux à Forges-les-Eaux et le 27 mai, ils s’installent enfin à St-Germain-en-Laye, dans l’espoir que le « bon air » (cette ville portait d’ailleurs le nouveau nom de « Montagne Bon Air »), rétablirait la santé de Mme Pichard, menacée, pense-on, d’un cancer et éviterait une opération.

Tout au long de ces périples, le président conserve un contact étroit avec ses agents, adresse d’innombrables certificats de résidence. C’est au cours de ce printemps 1793 que le président apprend le séquestre de ses propriétés et notamment de Lafite, sous le prétexte qu’il a émigré. Ses vives protestations, ses témoignages ne servent à rien. En janvier 1794, le président et Mme Pichard sont arrêtés à St-Germain. Les dernières épreuves vont commencer.

Le président Pierre Nicolas de Pichard est une figure parfaitement représentative de ce milieu de parlementaires grands propriétaires terriens. Jean Clerc, lui-même par ses origines, son éducation, ses activités, peut représenter tout aussi parfaitement la bourgeoisie des marchands de La Teste, Salles ou Bordeaux. Si les textes parisiens le désignent sous le nom de Jean Clerc, son véritable nom de famille est Leclerc, né à La Teste en 1755, du mariage du Sieur Gabriel Clerc, lieutenant à la patache, puis marchand, et de la demoiselle Marie Peyjehan qui a eu lieu en 1751. Ces Peyjehan sont une de ces très anciennes et notoires familles du Captalat que les frères Blanchard-Dignac citent dans leur ouvrage, consacré à l’État Civil de La Teste.

À travers la correspondance que Jean Clerc adresse au président Pichard, on voit se profiler une personnalité assez exceptionnelle, étonnante par sa compétence et par la qualité de ses observations et de ses exposés. Cet homme sait manier la langue française avec précision et clarté et son style est celui d’un homme d’affaires de notre temps. Il appartint très tôt à la franc-maçonnerie, comme plusieurs bourgeois et curés de nos paroisses particulièrement évolués. Et cette appartenance leur donne quelque fierté sans doute, puisque systématiquement leurs signatures s’accompagnent de trois points alignés, signe caractéristique de la franc-maçonnerie. Dès sa majorité, son père lui laisse toute liberté d’orienter sa vie à sa guise et c’est ainsi qu’en 1780 il l’autorise à se marier librement, sans autorisation, et avec qui bon lui semble. Dans le contexte social et les mœurs de l’époque, c’est là une marque de confiance exceptionnelle. En 1780, Jean Clerc, se trouve à Dunkerque, lorsqu’il reçoit cette autorisation de mariage. En 1782, il rentre à Bordeaux, où il exerce ses activités commerciales, rue du Poisson Salé, partie de la rue Ste-Catherine, située entre la rue du Loup et la rue Dessus-le-mur (cours d’Alsace-Lorraine). C’est à Bordeaux, qu’il connaît Jeanne Ménesplier qui habite aussi dans la même paroisse Ste-Eulalie. À vrai dire, on peut se demander ce que fait alors à Bordeaux cette jeune fille de Salles, âgée de 22 ans, parfaitement lettrée elle aussi et née dans une des plus anciennes et importantes familles de marchands et de notables. L’origine des Ménesplier à Salles se perd en effet dans le passé. En 1605, on lit dans le rapport de visite de l’archevêque que les trois premières familles du pays sont les Ménesplier, les Dumora et les Cazauvieilh[1] [6] (ou Cazauvielh), les deux premières ayant droit perpétuel de sépulture dans l’église. Un des personnages les plus marquants de la famille fut le notaire Jean Ménesplier, mort en 1700, ancêtre direct de Jeanne.

Les jeunes gens se marient donc, non dans les paroisses de La Teste ou de Salles, mais à Bordeaux, à Ste-Eulalie. Ce mariage a lieu le 18 novembre 1782. Il est précédé par un contrat établi le 9 octobre par le notaire Dugarry. Les dots sont élevées. Jean Ménesplier donne à sa fille un ensemble de propriétés situé à Salles évalué 6.000 livres. Jean Clerc se constitue 3 000 livres. Au total l’équivalent de 90 millions d’anciens francs. Selon un usage en vigueur, dans l’aristocratie et la bourgeoisie, Jean Ménesplier s’engage à loger et nourrir les jeunes époux chez lui à Sangues (quartier de Salles). De fait, Jeanne Ménesplier donne le jour à une fille Jeanne Leclerc, née à Sangues, quelques mois plus tard. Ultérieurement Jean Clerc s’établit à Lugo, tout en conservant ses activités de régisseur des domaines du président Pichard à Salles et Belin. C’est en qualité de régisseur qu’il établit les correspondances funestes qui vont déclencher le drame.

Du début de l’année 1792 jusqu’au milieu de l’année 1793, Jean Clerc adresse au président Pichard, plusieurs lettres et comptes rendus concernant la gestion de Salles et Belin. Il y fait part de ses réflexions. Cette correspondance va constituer le chef d’accusation essentiel contre le président, Madame Pichard et Jean Clerc lui-même.

Jean Clerc reçoit, en février 1792, un pouvoir du président, lui donnant mandat pour assigner au Tribunal tous ceux qui porteraient atteinte à ses droits dans ses propriétés de Salles, Belin et Béliet. Une lettre de ce mois fut versée au dossier. Jean Clerc y dit notamment : « Les têtes à Salles, sont plus exaltées que jamais. Peu s’en est fallu que hier on ait pillé tous les greniers du quartier de Sangues du nombre desquels est celui de mon beau-père et cela par ordre du Maire qui prétend qu’on est obligé de vendre tous les grains qu’on a, afin de pourvoir aux besoins d’un peuple affamé. » Le 24 mars, de cette même année, il rend compte d’un procès qui s’est ouvert contre Cazauvieilh (ou Cazauvielh), du Pujau, au sujet du droit de bac qui est aboli. Et il ajoute : « Le Sieur Maire de Salles est toujours dans son opinion incendiaire et prétend qu’il faut tout sacrifier au premier coup de fusil. Jugez des progrès que ces propos peuvent faire dans un pays où l’on se prétend libre de ne devoir désormais rien payer. Tout cela n‘est pas amusant et on ne saurait y tenir. Je suis chargé de vous mander qu’on désirait acheter toutes vos propriétés sur le devis de deux experts.

Attendons avec patience que le temps réforme les mœurs des gens égarés, qu’ils puissent sentir l’erreur dans laquelle on les plonge. Il est bien à désirer que cela soit sous peu ».

Le 29 janvier 1793, après avoir exprimé ses vœux, Jean Clerc reprend ses comptes rendus sur l’état des esprits et sur ses activités. C’est ainsi qu’il annonce que les résines seront entièrement vendues en mars et que leur cours est fixé entre 14 et 15 livres le quintal. Il ajoute : « Les pertes que nous venons de faire par le jugement rendu par quelques têtes exaltées ne nous prépare rien moins que de grands malheurs. Dieu veuille que chacun rentre dans ses droits et rétablisse l’ordre ». Dans le même temps, un certain Gratiolet adresse à Pichard une lettre qui aurait dû alerter celui-ci : « Je dois vous confier encore sous le grand secret que les 48 sections de Paris ont donné des ordres à leurs commissaires d’arrêter tous les ci-devant nobles, émigrés ou non, et les prêtres réfractaires, Je tiens cette information d’un citoyen de la section où je suis, Faites y attention. »

Enfin, le 12 juillet 1793, Jean Clerc adresse au président Pichard, qui a élu domicile au Petit Hôtel de Rohan, 100 rue des Ursulines à St-Germain-en-Laye, un nouveau compte rendu où il dit : « Personne au monde n’a vu avec plus de peine que moi le scellé qu’on a posé chez vous ; on ne tardera pas sans doute à en faire de même de tous vos biens ce qui m’oblige à mettre en lieu de sûreté 482 livres de laine qu’ont produit vos troupeaux de laquelle avec celle de Saucats, on vous offre les plus hauts prix ». Suivent de longues explications commerciales et la précision que la laine se négocie entre 90 et 200 livres le quintal. Le président commet la fabuleuse imprudence de ne pas écouter les conseils qui lui sont prodigués par Gratiolet, et de surcroît, de conserver soigneusement les correspondances ci-dessus. Elles seront saisies. Il va, par cette inconséquence, être à l’origine du drame.

Le président Nicolas Pichard est « à priori » suspect ; doublement : d’une part en effet il est noble, d’autre part, il a été président à Mortier au Parlement de Bordeaux et ce Parlement s’était fait une réputation mauvaise entre toutes depuis le 20 février 1790, jour où le procureur général Dudon a prononcé un sévère réquisitoire contre les désordres et les fauteurs de troubles. Il dénonçait les excès comme « les premiers fruits d’une liberté publiée avant la loi qui devait en prescrire les bornes ». En fin d’année 1793, il y a une perquisition au domicile du président à St-Germain. Ses papiers, spécialement les correspondances que Jean Clerc a écrites – dans le même état d’esprit que celui que le procureur Dudon a manifesté –, sont saisis.

Le président Pichard subit son premier interrogatoire le 8 nivôse An II (28 janvier 1794). Le Comité de Sûreté Générale de la Convention Nationale a donné mandat au Comité de Surveillance Révolutionnaire du District de la Montagne Bon Air de procéder à l’interrogatoire de Nicolas Pichard et de procéder à un nouvel examen de ses papiers. L’interrogatoire porte sur quatre points :

– sur son emploi du temps depuis 1791,

– sur ses rapports avec son gendre émigré,

– sur le titre de président qu’on lui a encore donné après la suppression du Parlement,

– sur sa correspondance enfin.

Nicolas Pichard donne le détail de son emploi du temps depuis le mois de mai 1790. Il parle du départ de son gendre en Espagne malgré tous les efforts qu’il a faits pour l’en dissuader et l’en empêcher. Il affirme qu’il ne lui a adressé aucune correspondance ni aucun fonds. Il n’a remis à sa fille que la pension prévue par son contrat de mariage. En second lieu, il précise qu’il ne se donne pas la qualité de président, mais que cet ancien titre lui est donné par courtoisie dans les correspondances de ses hommes d’affaires. De plus, il déclare qu’il n’a aucune fréquentation quelconque et n’entretient aucune correspondance autre que celle des affaires. Pour terminer, il rappelle que depuis le départ de sa fille, il verse sa pension au Receveur de Bordeaux ; il signe le procès-verbal d’interrogatoire avec les trois commissaires qui l’ont interrogé. Le procès-verbal et la correspondance saisie sont adressés au Comité de Surveillance Générale à Paris. Nicolas Pichard et son épouse sont alors incarcérés.

Madame Pichard est interrogée quatre mois après son incarcération, exactement le 28 floréal (17 mai). Ses déclarations confirment celles de son mari.

Le président prépare lui-même sa défense. Avec l’aide de son secrétaire, suivant ses habitudes méthodiques, il constitue un dossier précis et complet. Chacune de ses affirmations est accompagnée d’une pièce justificative. La pièce essentielle du dossier est en effet un mémoire de six grandes pages rédigé par son secrétaire, car il n’est plus en état d’écrire lisiblement. Dans les premières lignes de ce document, le président Pichard fait état de sa mauvaise santé et de la goutte dont il souffre. Il rappelle son âge et sa détention en maison de santé, obtenue grâce à une des rares facilités laissées aux détenus. Après un rappel de son emploi du temps, il fait porter l’essentiel de sa démonstration sur ses rapports avec son gendre, rappelant les conditions du mariage auquel il s’est résigné, son hostilité au départ de son gendre et de sa fille. Un voisin atteste même les mauvais rapports du gendre et du beau-père. Bref, le président, qui a senti les difficultés de sa situation, fait le maximum pour montrer l’impossibilité morale d’une quelconque bienveillance à l’égard de son gendre. Le dossier contient 14 pièces justificatives, telles que :

– certificats de résidence,

– attestation de versements des contributions patriotiques de 3.000 livres chacune à Bordeaux et à Pauillac,

– certificat médical du docteur recommandant de traiter Marie Adélaïde par un mariage,

– certificat de la section de la Fontaine Grenelle où il a résidé, attestant qu’il a prêté serment de fidélité à la Nation.

Peut-être avec un dossier aussi sérieusement constitué, le président peut-il espérer un acquittement. Mais le dossier des correspondances de Jean Clerc est là, pesant et accablant. L’accusation va totalement ignorer le dossier de défense du président Pichard. Le 8 messidor, soit le 26 juin, le président et Mme Pichard sont transférés de la prison de la Montagne Bon Air à la prison de la Conciergerie à Paris, attenante au Tribunal. Ils en repartent 4 jours plus tard, pour prendre le chemin de l’échafaud.

Nous ne savons rien de précis sur les débuts de la période révolutionnaire à Salles, de 1789 jusqu’au milieu de l’année 1792. Le registre municipal a disparu. Mais nous savons cependant comment Salles entra dans le régime républicain. Là, comme ailleurs, les bourgeois prirent leurs responsabilités. Michel Girodeau, notaire, le gendre de la fameuse Jeanne Villetorte, devient commandant de la Garde Nationale du Canton de Belin et Maire de Salles. Le passage du régime royaliste au régime républicain ne va pas sans difficultés, car on reste royaliste dans la plupart des familles. C’est ainsi que le 3 mai 1793, un an après le début des évènements, le Procureur de la commune, Bédouret, stigmatise les Cazauvielh qui conservent les fleurs de lys gravées au fronton de leur porte. Jean Cazauvielh, officier municipal, refuse d’abord d’enlever cet emblème mais, après réflexion accepte de se soumettre. Pierre Cazauvielh, par contre, refuse tout net et accueille, avec de grandes projections d’ordures, les soldats que le conseil a envoyés. Après nouvelle réquisition de Bédouret, Pierre Laville, « soldat défenseur de la Garde Nationale » et six soldats enlèvent les fleurs de lys. Dans la famille de Jean Clerc ou plutôt chez les Ménesplier, ses beaux-parents, l’idée républicaine ne pénètre pas davantage. En avril précédent, en effet, on constate que l’effectif de 8 volontaires pour les fonctions de « soldat défenseur » n’est pas atteint. Il en manque deux ; le conseil les choisit parmi les garçons (célibataires) de 18 à 40 ans et désigne Pierre Ménesplier et Martin Dufaure, qui n’en sont nullement flattés. Les deux élus trouvent la parade. Ils se marient immédiatement. Le 26 avril, Pierre Ménesplier épouse Marguerite Cazauvielh, fille de Pierre Cazauvielh et de Françoise Dupuch. Martin Dufaure épouse Marie Laulan. Le lendemain matin, Michel Girodeau, qui les a mariés, apprend aux jeunes époux que la manœuvre n’a pas réussi. Le Conseil les a désignés à nouveau comme « soldats défenseurs de la patrie ». L’idéal républicain est ainsi inculqué aux gens de Salles. Mais la Terreur approche. Le 18 mai 1794, le Comité de Sûreté Générale de la Convention Nationale ordonne l’arrestation de Jean Clerc, auteur des lettres saisies à Saint-Germain. Il est arrêté le 30 mai, afin d’être traduit devant le Tribunal Révolutionnaire de Paris. Le décret du 16 avril de la Convention envoyait en effet à ce seul Tribunal les contre-révolutionnaires. La correspondance de Jean Clerc ne manifestant pas le moindre enthousiasme pour les idées nouvelles, il est donc contre-révolutionnaire. Le lendemain 31 mai, il est écroué au Palais Brutus à Bordeaux, anciennement Palais de l’Ombrière, la vieille forteresse où siégeait l’ancien Parlement. Le 3 juin, Jean Clerc est transféré à Paris. Son inculpation est jointe à celle de Nicolas et de Mme Pichard. Tous les trois seront livrés au terrible Antoine Quentin Fouquier, l’accusateur public du Tribunal Révolutionnaire, que nous désignons aujourd’hui sous le nom de Fouquier-Tinville.

L’accusation et le jugement n’ont pas un caractère individuel mais collectif. Les accusés étaient groupés par 20 / 25. Un même acte d’accusation est établi pour tous les accusés qui n’ont en général rien de commun entre eux ; ils passent en groupe devant le Tribunal.

Antoine Quentin Fouquier « accusateur public du Tribunal Révolutionnaire établi à Paris par décret du 10-3-1793, sans aucun recours du Tribunal de cassation », formule donc, le 11 messidor de l’an II, un acte d’accusation contre les personnes suivantes :

1 – François Toulan, libraire 33 ans, demeurant à Bordeaux.

2 – Nicolas Pichard, 61 ans, né à Bordeaux, demeurant Montagne Bon Air, ex-noble, ex-président à Mortier au ci-devant Parlement de Bordeaux.

2bis – Marie Joséphine Adélaïde Le Breton, femme Pichard, 43 ans, née à Paris, demeurant Montagne Bon Air

3 – Jean Clerc, 39 ans, né à La Teste avant la Révolution, régisseur pour Pichard et depuis cultivateur demeurant à Lugo.

4 – Jean Masson, 31 ans, capitaine d’artillerie

5 – Nicolas Taillepié, 51 ans, cultivateur

6 – Noël Taillepié, 32 ans, perruquier

7 – Victor Laguepierre, 50 ans, artiste sculpteur

8 – Robert Vuiber, 51 ans, Juge à Rethel

9 – Jean B. Rocourt, 38 ans, imprimeur

10 – Jean Louis Mérot, 38 ans, ex-curé

11 – François Dubois, 36 ans, tonnelier

12 – Georges Verchambe, 54 ans, ex-procureur

13 – Guillaume Lagondie, 46 ans, cultivateur

14 – Marie Thérèse de Feuquière, 46 ans, ex-marquise

15 – Pierre Caillet, 41 ans, ouvrier menuisier

16 – Marie Catherine Pâtissier, 58 ans

17 – Étienne Nicolas Houler, 42 ans, boulanger

18 – Marie Anne Ferrand, 25 ans, marchande mercière

19 – Charles Lairaut-Sauvage, 25 ans, enseigne de vaisseau.

Ainsi sur ces accusés, il y a 4 femmes et 3 nobles. Concernant les trois personnages qui nous intéressent ici, Fouquier déclare : « Pichard ex-noble et président à Mortier au ci-devant Parlement de Bordeaux, ennemi né d’une révolution qui a anéanti le despotisme parlementaire, a favorisé tous les projets qui ont été formés contre la liberté et la souveraineté du peuple français ; on le voit surtout en 1791 se rendre de Bordeaux à Luchon avec sa femme, sa fille et son gendre pour faire émigrer celui-ci qui passa en Espagne. Peu de temps après, Pichard a encore fait émigrer sa fille à qui il a fourni des fonds comme il en convient en disant, dans son interrogatoire qu’il a réglé à sa fille la pension qu’il lui devait, attendu qu’elle n’avait pas de dot et que ce n’était qu’une pension viagère. Il parait constant qu’il a entretenu des intelligences et correspondances avec sa fille, son gendre et on ne peut plus douter qu’il ne leur aye fait passer des moyens de subsister. Aussi, Pichard souffrait-il qu’on lui prodiguât perpétuellement, même en 1792, son ancien titre de Monsieur le président, tant il comptait sur la contre révolution qui devait le « remettre dans ses fonctions. » Tel est le mot à mot de l’acte d’accusation contre le président Pichard. Le dossier de défense a été complètement écarté et l’accusation n’est qu’un assemblage d’affirmations, de suppositions, de soupçons avérés, de probabilités, ne reposant sur aucune preuve ou référence.

L’accusation contre Mme Pichard, est un pur verbiage désinvolte : « Quant à la femme Pichard, il convient d’observer qu’elle a concouru à tous les actes contre-révolutionnaires de son mari. Tout leur est commun. Elle ne l’a pas quitté, elle l’a secondé dans toutes ses actions comme elle l’a accompagné dans tous ses voyages. » En d’autres termes, son crime est d’être l’épouse du président Pichard.

L’accusation de Jean Clerc suit celle du président. Elle repose exclusivement sur les correspondances saisies à Saint-Germain, et rédigée comme suit par Fouquier : « Leclerc, homme d’affaires de Pichard, était digne par sa haine pour la Révolution d’avoir sa confiance. Ses lettres à Pichard prouvent que leurs principes et leurs sentiments étaient communs. »

À la suite de cette introduction, les diverses correspondances citées plus haut, étaient recopiées. La dernière lettre concerne la vente des grains réquisitionnés.

Fouquier conclue son réquisitoire contre Jean Clerc : « Ainsi, Pichard faisait accaparer les grains pour affamer les citoyens. »

Après l’accusation portée contre Jean Clerc, viennent celles des 17 autres inculpés. Fouquier conclue l’ensemble du réquisitoire : « D’après l’exposé ci-dessus, l’accusateur public adresse la présente accusation contre les sus nommés pour s’être déclarés les ennemis du peuple soit en entretenant des correspondances et intelligences avec les ennemis intérieurs ou extérieurs de la République pour leur fournir des secours en hommes et argent soit en provoquant par des écrits imprimés ou à la main l’avilissement de la représentation Nationale et le rétablissement de la royauté… En conséquence, l’accusateur public requiert qu’il lui soit donné acte de l’accusation portée par lui. »

Le procès n’est plus qu’une formalité. Il est bref. Le lendemain matin à 10 heures, les 20 accusés sont jugés ; le 20e de la liste d’accusation, Charles Lairaut est absent. Cette fois c’est donc Mme Pichard qui est la dernière du groupe.

Le tribunal est composé d’un président et de deux juges. Le jury comprend 7 membres. Les accusés déclinent leur identité l’un après l’autre, leur domicile et lieu de naissance. On entend 6 témoins de l’accusation. Il n’y a ni avocat, ni plaidoiries et les opérations ne durent que quelques minutes. Cinq accusés sont acquittés : Laguepierre, Rocourt, Dubois, Caillet, Houlier. Comme il n’y a pas de demi-mesure, les 15 autres accusés sont tous condamnés à la peine de mort. Et le jugement se termine par ces mots : « Le tribunal ordonne qu’à la diligence de l’accusateur public le présent jugement sera exécuté dans les 24 heures, sur la place de la Barrière de Vincennes. »

Les condamnés passent dans la salle des toilettes, voisine de la salle du Tribunal. On leur coupe les cheveux. Ils passent la porte du guichet du greffe et se retrouvent dans la petite cour du Mai donnant sur l’actuel Boulevard du Palais qui prolonge le boulevard Saint Michel. Alors ils montent dans des charrettes qui prennent la direction de Vincennes. Une heure plus tard, Jean Clerc et les derniers seigneurs de Salles ont cessé de vivre. Ce drame a lieu dans la journée du 30 juin 1794.

Après l’exécution de Jean Clerc, Jeanne Ménesplier est veuve avec trois jeunes enfants. Elle se remarie et c’est le début d’un de ces étonnants puzzles généalogiques dont les bourgeois de Salles ont la spécialité. Elle se remarie, en effet, à Arnaud Cazauvielh également veuf et dont la famille s’était déjà manifestée au début de la Révolution. Cet Arnaud est à l’origine des Cazauvielh de Belin et notamment il est l’arrière-grand-père du député Maire René Cazauvielh.

Jeanne Leclerc, fille aînée de Jeanne Ménesplier est mariée à son tour à un autre Arnaud Cazauvielh, le neveu de son beau-père, et cet Arnaud est tout à la fois aubergiste et l’un des maires de Salles les plus importants. Jeanne Leclerc est la grand-mère du défunt Gustave Cazauvielh, député-maire. Enfin le Dr René Cazauvielh devient le gendre et successeur de Gustave. La boucle est refermée. C’est ainsi que s’est perpétuée l’innombrable descendance du malheureux Jean Clerc.

Les choses vont tout autrement dans la famille Pichard. En application de la législation concernant la saisie des biens des condamnés et immigrés, les immenses propriétés du président sont vendues aux enchères après avoir été évaluées quatre millions de francs de l’époque. Seule la propriété de Salles ne trouve pas preneur.

Après la chute de Robespierre, les Puységur rentrent en France. Marie Adélaïde de Pichard rentre en possession de son domaine de Salles, le 18 frimaire de l’an X (9 décembre 1801). C’est le seul « débris » du patrimoine de son père. Elle décède sans enfant, deux ans plus tard, en désignant son mari comme son héritier. Ainsi disparut la vieille famille Pichard.

Maxime de Puységur reprend sa carrière militaire, est adjoint au Maire de Bordeaux, se remarie et sa descendance conserve la propriété de Salles jusqu’à la fin du siècle. Si le nom du président Pichard et ceux de ses prédécesseurs sont tombés dans l’oubli, celui de Puységur reste présent dans les mémoires. Les Puységur reprennent en effet le procès séculaire qui depuis le Moyen Âge oppose les seigneurs du lieu à la population au sujet des droits de pacage dans les landes seigneuriales. C’est cette affaire des droits de pacage qui est encore connue de nos jours sous le nom de « Procès Puységur ».

Pierre Labat

SOURCES

Archives Départementales de la Gironde Période Révolutionnaire – Série Q – Domaines archives des notaires.

Archives Municipales de Salles premiers registres pour la période révolutionnaire.

Archives Municipales de La Teste-de-Buch.

Archives Municipales de Bordeaux État-Civil – registres de catholicité.

Archives Nationales à Paris Dossier Pichard w 400 – 927.

Archives de Paris et de la Seine

[Extrait du Bulletin n° 13-14 des 3e et 4e trimestres 1977 de la Société historique et archéologique d’Arcachon et du pays de Buch.]

https://www.shaapb.fr/la-condamnation-a-mort-du-seigneur-de-salles-de-sa-femme-de-son-regisseur/ [7]

[1] [8] – Voir l’excellent article de Pierre Labat

 https://shaapb.fr/wp-content/uploads/files/SHAA_083.pdf [9]

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