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Camp militaire du Courneau

Entre les marais de Pasteys et de Bat Coude, la Grande Montagne s’avance en promontoire au dessus de la lande. Cette avancée est signalée au XVIIIe siècle comme le “cap du courneau”. Les lieux-dits Cournau ou Cournalè, Cournalère, correspondent à un quartier, un carrefour. En fait, le premier sens, c’est le “coin de bois défriché et mis en valeur”, d’où le sens de “hameau”. Dans le Bulletin de la Société Historique d’Arcachon n° 42, on trouve le texte d’une conférence prononcée le 21 novembre 1984 à La Teste par Jacques Ragot “Sénégalais, Russes et Américains au Courneau”. On y lit page 22 : Un “cournau” en gascon est un carrefour. Ce nom il y a bien longtemps fut donné d’abord à la pièce de la forêt usagère, située entre Lous Pasteys au nord et Bat Coude au sud, parce qu’elle se trouvait à la hauteur du carrefour des chemins de sable qui conduisaient, l’un à Cazaux, l’autre à Sanguinet, coupant à travers ce qui est aujourd’hui le camp militaire. La lande située à l’est de la pièce de pins du Courneau prit ensuite ce même nom auquel, oublieux de leur langue maternelle, les gens du pays ajoutèrent une lettre “e” pour faire français et prononcèrent “courno” alors que la prononciation gasconne est “cournaou”.

Le Courneau est le nom d’une parcelle de la Grande Montagne de La Teste située sur le côté est de la forêt usagère… Sa plus haute dune, le Grand Courneau, (60 mètres environ) domine la plaine de Cazaux, appelée à cet endroit, plaine du Courneau. Au début du XIXe siècle, une grande sauvagerie régnait encore en ces lieux : ils étaient fréquentés seulement par les résiniers qui gemmaient les pins pour le compte de leur propriétaire « ayant -pins », et quelques troupeaux de vaches sauvages pacageant en toute liberté dans la forêt… La quiétude du Courneau est troublée quelque temps par les travaux entrepris dans la plaine (sous Louis-Philippe) par la Compagnie des landes de Bordeaux pour la réalisation du Canal La Hume-Cazaux.

Girondin, médecin et passionné d’histoire, Serge Simon a décidé de raconter celle-ci « sans juger » mais avec le souci de remettre les faits dans leur contexte et de restituer la controverse de l’époque quand les tirailleurs sénégalais servaient de cobayes. Près de 1 000 morts en un an, loin du front : c’est le triste bilan du camp du Courneau qui a accueilli jusqu’à 27 000 tirailleurs sénégalais en 1916 et 1917.

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Ces soldats africains ont été victimes d’une expérimentation sauvage de l’Institut Pasteur. Un sinistre épisode.

Au départ est une route dite des Sénégalais. Une de ces voies de la côte girondine qui traversent les terrains militaires et permettent aux habitués d’éviter embouteillages et contrôles routiers. Cette route, jamais Serge Simon – médecin de formation, ancien rugbyman et auteur d’un documentaire juste et salutaire sur ce lieu, ne s’était demandé pourquoi on l’appelait ainsi. 

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Jusqu’au jour où il rencontre un collectionneur de cartes postales, Jean-Pierre Caule, devenu historien local. Il lui apprend alors que, durant la Première Guerre mondiale, la route était bordée par des baraquements occupés par des « tirailleurs sénégalais ». Ce lieu s’appelait le camp du Courneau. Il prendra plus tard les tristes noms de « camp des nègres » ou « camp de la misère ».

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Ayant recruté, de gré ou de force, quelques milliers d’hommes dans différentes colonies d’Afrique noire pour participer aux combats qui ensanglantent l’Europe, les autorités militaires françaises réalisent rapidement que ces hommes ne supporteront pas longtemps l’hiver sur le front, à l’est du pays. Elles réfléchissent donc à la création de « camps d’hivernage », pour lesquels deux lieux sont choisis : Fréjus (Var) et La Teste. À l’ombre de la dune du Pilat, le terrain militaire a l’avantage d’être desservi en eau potable et par une voie ferrée. Et ne dit-on pas que le climat du bassin d’Arcachon est particulièrement bénéfique ?

L’expérience vécue par les quelque 27 000 hommes qui s’y sont succédé sera toute autre… Dès leur arrivée, au début de l’année 1916, les tirailleurs découvrent ce que les militaires ont feint d’ignorer : l’humidité extrême qui sévit ici.

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[5]Les 600 baraquements sont rapidement infestés par cette humidité et les tirailleurs sont victimes du pneumocoque, qui provoque des morts au rythme d’un puis deux par jour.

 

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Au début, les malades qui décèdent sont enterrés dans les cimetières de La Teste et d’Arcachon. Mais face à l’augmentation du nombre de décès, l’autorité militaire demande, la mise à disposition d’un lieu dédié. Le Conseil municipal de La Teste émet un avis favorable : le premier soldat, mort dans l’infirmerie du camp, est enterré 25 mai 1916 sur une parcelle du Natus de Bas. Le 2 juin 1916, le lieutenant-colonel du Génie Roussel confirme par courrier, au Maire de La Teste, la réquisition de ce terrain en forêt usagère, d’une superficie de 2200 mètres carrés, figurant sous le N°116 section F du plan cadastral de la commune, actuellement parcelle 90, pour servir de cimetière aux soldats du Courneau. On utilisera donc ce terrain pour y enterrer les nombreux soldats décédés dans le camp avant et après l’ouverture de l’hôpital[1] [7]. Une situation dont le sous-secrétaire d’État à la Santé, Justin Godard, est informé dès septembre 1916, par un rapport du docteur Blanchard : « Bientôt viendront les pluies d’automne, qui tombent en abondance ici, écrit-il. Les conditions seront alors déplorables : les affections respiratoires deviendront infiniment fréquentes et on verra s’abattre sur les troupes noires une effroyable mortalité ». La triste réalité, c’est que 80% mourront de pneumonie. Une bactérie qui infeste le Sénégal et l’Afrique de l’ouest et dont ils sont porteurs en arrivant en France. Quand on a rassemblé ces soldats, ce fut une véritable pandémie. Comme si on avait jeté une allumette sur une botte de foin. Les médecins sont désarmés pour les soigner. Il aurait fallu les éloigner les uns des autres, mettre des crachoirs, ne pas se servir avec les doigts dans la soupe. Les antibiotiques n’existent pas !

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Deux solutions s’offrent alors au sous-secrétaire d’État : évacuer le camp pour éviter la catastrophe ou tester dans ce camp un vaccin expérimental contre cette maladie, au risque de laisser mourir quelques soldats. C’est ce que lui propose le docteur Kérandel, médecin du camp, détaché par l’Institut Pasteur, qui voit l’intérêt d’une expérimentation rapide et « grandeur nature ». Une solution pour laquelle l’Institut pèsera de tout son poids et à laquelle Justin Godard se plie donc. Et le docteur Kérandel s’active. « Il va produire des vaccins en quatre semaines, sans avoir recours à l’expérimentation, raconte le médecin et historien Christian Bonah. En revanche, on inoculera le pneumocoque à 82 tirailleurs du camp, puis à 1 200. » Ce vaccin est dérivé d’une mouture utilisée par un anglais, Almroth Wright, avec succès sur des mineurs en Afrique du Sud, diminuant la mortalité de 50%. Notre sous-secrétaire d’État oublie un peu vite la méthode de Forlanini préconisée par le bordelais Eugène Leuret, l’équivalent à l’époque de l’hydroxychloroquine de notre Professeur Raoult… Et, s’il n’a aucun effet néfaste sur les malades, le « vaccin » du docteur Kérandel les laissera mourir un à un : l’armée, la Grande Muette, en confinant les troupes « indigènes », a favorisé la maladie. Une situation qui scandalise le seul député sénégalais, Blaise Diagne ; le 9 décembre 1916, il alerte l’Assemblée nationale. Sans effet ! Justin Godard, comme quelques mois auparavant, est favorable à la fermeture du camp. Mais, une fois encore, l’Institut Pasteur intervient en faveur du maintien des baraquements. La célèbre institution, qui a « 6.000 doses de vaccins sur les bras », veut absolument poursuivre l’« expérimentation ». L’hiver arrive alors ; la neige, pourtant si rare dans ces contrées, recouvre les maigres toits du camp, rendant encore plus insupportables les conditions de survie. Et l’« expérimentation » continue jusqu’à l’été 1917 et près de 1 000 morts de plus…

 

 

Un effort salutaire, tant ce sinistre épisode était méconnu des Girondins. Un effort qui, conjugué au travail des historiens, permettra bientôt qu’une stèle rende un hommage nominatif à chacun des morts. « Un millier de morts méconnus, c’était aussi un millier de familles qui ne savaient rien des conditions dans lesquelles leurs aïeuls sont morts », dit Serge Simon. L’histoire des tirailleurs du camp de Courneau n’est pas connue du grand public. Le réalisateur Serge Simon s’est donné pour mission de réparer cette injustice avec son film : « Une Pensée du Courneau ». Ce documentaire projeté à l’Institut culturel français de Dakar, revient sur l’histoire de tous ces soldats africains morts, non pas au front les armes à la main, mais dans leur camp à cause de maladies respiratoires. Des images d’archives de Tirailleurs Sénégalais souriants à l’objectif, jouant à saute-mouton ou marchant d’un pas énergique en rang serré meublent ce film documentaire ou « Les Oubliés du camp des nègres ». Ces images sont sans texte et peuvent bien faire croire que ces soldats ont été joyeux et fiers de défendre leur Nation. Mais l’on se rend vite compte avec un peu plus d’attention, que le réalisateur restitue à la postérité, une tragédie qui découle de mauvaises conditions de vie. La mort de plus de 1 300 soldats africains suite à une affection pulmonaire, y est en réalité contée. L’objectif de Serge Simon en réalisant ce documentaire, est de révéler au grand jour un épisode jamais raconté, celle de la tragédie du camp des nègres. Le film s’ouvre sur les images du cimetière d’Arcachon et de La Teste où sont ensevelis les restes de soldats africains morts dans ce camp. Sur une stèle, il est marqué 940 Tirailleurs sénégalais. Ce nombre est bien minime par rapport à la réalité, selon Serge Simon. L’endroit où était implanté ce camp a été la cause de tous ces malheurs. L’Armée française, afin de soustraire les soldats africains du grand froid dont ils se plaignaient beaucoup pendant les deux premières années de la première Guerre mondiale, avait fait installer un camp dans le marais du Courneau. C’était au début de l’année 1916.  Bien avant que l’hiver n’arrive, les autorités de ce camp ont alors commencé à se rendre compte que le site ne convenait pas aux soldats puisqu’au fur et à mesure que les mois passaient, les morts se multipliaient. Le réalisateur n’hésite d’ailleurs pas à entrecouper les scènes pour donner l’estimation exacte du nombre de morts. Et, son récit de révéler qu’il a fallu plusieurs centaines de morts avant que l’Administration ne se décide à demander un rapport. Deux médecins, Blanchard et Kérandel, s’en chargent. Ils sont tous les deux d’accord sur la gravité de la situation. Mais si l’un préconise la fermeture du camp, l’autre demande du temps pour mettre en place un vaccin contre la pneumonie. La requête de ce dernier est acceptée. Mais devant le peu de résultats obtenus, le chef de l’Administration militaire Justin Godard relève Kérandel de ses fonctions, mais l’Institut Pasteur, où le médecin fait ses expérimentations, s’y oppose et obtient gain de cause. L’intervention du député Blaise Diagne n’y fait rien. Les recherches pour trouver un vaccin contre la pneumonie continuent malgré le nombre de morts qui continue à croître. C’est finalement en juillet 1917 que le camp est finalement évacué. Puis, les autorités ont montré de l’index les conditions de casernement déplorables pour justifier la tragédie.

Aujourd’hui, chaque 11 novembre un mémorial est organisé par les anciens combattants restés dans cette région. D’après le réalisateur, le nom et la nationalité de tous les soldats morts dans ce camp peuvent être retrouvés grâce à leur fiche militaire. Il espère que des historiens, après avoir vu son film, vont creuser cette question du camp des nègres. Surtout que d’après Serge Simon, « la France avec ses anciennes colonies, c’est quelque chose d’assez sensible, tabou, c’est compliqué. Cela veut dire qu’il y a encore à explorer, à défricher. Il y a plein d’histoires qui ne sont pas connues ». Si ce réalisateur s’intéresse particulièrement aux Tirailleurs, c’est parce qu’ils sont d’après lui, « le reflet de cette complexité et d’une ambiguïté de l’image du Tirailleur sénégalais, soldat valeureux. Mais à la fois, on les a traités comme de grands enfants, des sauvages, des indigènes ». Le débat qui a suivi la projection de ce film a conforté Serge Simon dans l’idée que ce sont des sujets complexes et douloureux aussi bien pour les Français que pour les descendants des Tirailleurs. Il affirme ne pas s’inscrire dans une logique de dénonciation,  tout en admettant que « les Tirailleurs ont été traités de manière indigne ; et que la société française de l’époque était d’un racisme fondamental ».

Durant la Première Guerre mondiale, la route La Teste / Cazaux, est bordée par des baraquements occupés par des « tirailleurs sénégalais ». Ce lieu s’appelle le camp du Courneau qui prendra plus tard les tristes noms de « camp des nègres » ou « camp de la misère ».

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« Dans ce camp rempli d’une renommée éternelle

La tombe est une tente où chaque soldat dort

Tandis que la gloire comme une sentinelle

Monte la garde de ce bivouac de la mort[2] [11] ».

Entre 1914 et 1918, loin du front, s’écrit sur les bords du Bassin d’Arcachon une page de l’histoire de France. Ainsi de la création de l’école de tir aérien de Cazaux, future B.A.120, aux implantations américaines du Cap Ferret, de Gujan-Mestras ou de Croix d’Hins, de nombreuses unités posent le pied en Pays de Buch.

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Des milliers de tirailleurs sénégalais viennent « hiverner » dans un camp gigantesque occupé par la suite par les Russes éloignés du front aux moments des troubles de 1917 dans leur pays. Russes remplacés eux-mêmes par des Américains qui côtoient en terre arcachonnaise les militaires forestiers canadiens venus chercher le bois nécessaire aux tranchées. À côté de cette présence, 23 hôpitaux et dépôts de convalescents militaires, installés dans pratiquement toutes les communes, voient arriver, en fonction des combats, des centaines de blessés soignés par les médecins et la population locale. Population qui participe à l’effort de guerre par la contribution de ses usines reconverties, par ses initiatives bénévoles pour améliorer la vie de ses enfants au front, ou par sa marine réquisitionnée pour la surveillance des côtes atlantiques, méditerranéennes ou de la mer Egée.

Par suite de la perte d’une quantité importante de soldats durant la première année guerre, le Gouvernement français, sous l’impulsion du Général Mangin, décide l’utilisation massive des « Tirailleurs sénégalais » sur le sol français ; l’Afrique peut fournir plusieurs dizaines de millier d’hommes venant du Sénégal, du Soudan ou du Dahomey. Les levées en Afrique Noire sont considérables. À propos de ces primitifs, enlevés à leurs villages de la brousse, on a parlé de « chair à canons ». Le mot est excessif. Il n’en demeure pas moins que les troupes noires paieront un lourd tribut en morts, soit au combat, soit par suite de maladies. Rien qu’au camp de Courneau, elles laissèrent 956 des leurs.

L’incorporation se fait sur le sol africain non sans maux et révoltes. Au mois de novembre 1915, ces soldats sont basés dans des camps situés près des grands ports africains subsahariens, pour une formation de 4 à 6 mois. Bordeaux, en relation privilégiée avec l’Afrique est complémentaire des ports méditerranéens de Sète et de Marseille. Une commission est chargée de choisir un site capable d’abriter un camp de 16 000 hommes. Le site du Courneau est retenu par sa salubrité au détriment de Souge et Croix d’Hins.

Avant le canal Cazaux-La Hume, la piste de sable La Teste-Cazaux est tellement détrempée en hiver, au lieu-dit Le Courneau, que la circulation y est impossible. Les inondations cessent après le creusement du canal mais le sol n’en reste pas moins humide du fait de l’écoulement souterrain sud-nord des eaux du lac dont le niveau est à 20 mètres au-dessus de celui du bassin et du fait de l’écoulement ouest-est des eaux des dunes : des marais stagnent au pied de celles-ci malgré l’existence de la craste de Nezer. Dans la lande du Courneau, les brouillards au ras du sol sont fréquents. Les gelées sont tardives. C’est cet endroit que choisit, en 1916, le commandement militaire pour faire séjourner des soldats africains. En finalité ce camp n’abritera de 16 000 hommes et aura trois fonctions :

– recevoir les troupes arrivées d’Afrique et compléter leur formation militaire,

 – permettre l’hivernage des soldats pendant la saison froide,

 – restructurer les bataillons après leur passage au front.

Les travaux de défrichage du site commencent début mars 1916, les bataillons doivent arriver vers le 25 avril. Lorsque les soldats africains débarquent, le camp est loin d’être fini, il ne le sera pas début novembre ainsi que l’indique le commandant du camp le colonel Eugène Fonssagrives.

Le lieu est situé pratiquement à l’altitude du lac de Cazaux, dans une zone inondable par suite de la proximité de la nappe phréatique. Après des travaux d’assèchement, un camp de 400 baraques en bois s’élève, pouvant loger 16 000 hommes. À côté est construit un hôpital de campagne de 440 lits.

Ce camp situé comporte de nombreux avantages :

– une voie ferrée est en liaison directe entre Bordeaux et La Teste,

– une voie ferrée secondaire relie La Teste au Courneau,

– une conduite d’amenée d’eau reliant le lac de Cazaux à Arcachon peut fournir l’eau potable nécessaire à la troupe, le canal de Cazaux à la Hume convient parfaitement aux chevaux et mulets, ainsi qu’au lavage du linge.

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Le camp du Courneau est organisé en deux parties :

La partie du camp abritant le Commandement, les Subsistances, les Services d’État-major se trouvent à l’ouest de la route ; la partie Ouest reçoit le camp des Tirailleurs et comporte deux camps – Nord et Sud – formés chacun de huit ensembles de baraquements, chaque ensemble pouvant recevoir un bataillon de 1000 hommes au Nord, et 1200 hommes au Sud.

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Les baraques qui composent ces camps sont des baraques Adrian reposant directement sur le sol. La structure en bois est recouverte de carton bitumé très sensible au choc, le plafond percé régulièrement laissera pénétrer l’eau de ruissellement.

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Entre les files des baraquements, des latrines sur socles en briquettes, recevant des réceptacles vidés tous les jours et des lavabos alimentés par une pompe à main ; il se dit que les installations sanitaires ne sont pas en nombre suffisant, que les latrines sont délaissées au “bénéfice” de la nature,

 

que les lessives comme les ablutions se font directement dans le canal… En tous cas, pour une raison ou pour une autre, l’arrivée des Tirailleurs ne manque pas de susciter quelques remarques inquiètes de la part des habitants de la commune !

L’hôpital à l’extrême nord du camp pourra recevoir 960 lits, il n’ouvrira ses portes que le 26 août 1916. Entre temps les malades seront envoyés soit à Saint-Elme à Arcachon, soit à l’école des filles de La Teste transformée en Ambulance.

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Les baraques qui constituent l’hôpital sont des baraques type « Lapeyrère » sur plancher et isolées du sol par des plots de 60 cm de hauteurs. Elles sont doublées extérieurement et intérieurement par un bardage en bois.

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À l’ouest de la voie ferrée, dans la zone des « communaux », des mercantis ouvriront commerces avec l’autorisation du Lieutenant-colonel Billecocq, premier commandant du camp et sous certaines conditions : le prix des articles sera affiché, il ne sera pas vendu de boissons alcoolisées.

Le 1er juillet 1916 un sergent major du 64e BTS écrit : « À la première compagnie du 64e BTS, les races ne sont pas les mêmes. Nous avons des Wolofs, des Baoulés, des Sarakolés, des Sossos, tandis qu’à mon ancienne Cie j’avais des Bambaras, ces derniers sont plus fidèles et plus francs que les Wolofs mais tous marchent bien quand même… ». Le 10 mars 1917, un autre courrier montre le caractère aigri du rédacteur : « Me voilà définitivement replongé au milieu des noirs et en plus dans un camp éloigné de 8 km de La Teste petit village qui ne doit son importance qu’au camp qui le fait vivre. Aucune distraction. Tout le cadre ici réclame le front comme faveur. »

 

Le camp fait l’objet de visites fréquence du Service de Santé Militaire dirigé par Justin Godard. Début août 1916, le Major Inspecteur Général Grall vient au Courneau et note la grande insalubrité du camp et demande entre autre que le sol des baraquements Adrian soit surélevé de 10 cm, que des fossés d’écoulement des eaux pluviales soient creusés entre les baraques. Il demande également de prévoir une isolation thermique de ces baraques à l’aide de panneaux de paille. Fin août début septembre, le Major Inspecteur Général Blanchard visite le site. Il est chargé de deux missions :

Sur le premier point, il convient que la population ne risque rien, par contre il dénonce l’état d’insalubrité du camp et recommande l’évacuation des lieux vers des endroits plus cléments tels les camps du Var ou ceux de l’Afrique du Nord.

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Le 1er novembre, le colonel Fonssagrives envoie un rapport détaillé de la situation du camp au Général Famin, Commandant de Troupes africaines, et fait état de nombreuses lacunes. Les travaux du camp débutés début mars ne sont pas terminés. Blaise Diagne, premier député sénégalais fait une intervention début décembre. Il ne fait que rapporter les propos de Fonssagrives et demande que des mesures soient prises afin de ne pas laisser les troupes africaines dans un lieu aussi malsain. Le député Lachaud, membre de la commission des Armées est envoyé sur place et rédige un rapport des plus critiques qu’il expose le 31 mai 1917. Il demande des améliorations importantes, création de cantines, de passages couverts permettant l’accès aux lavabos qui devront être également couverts et aux latrines. Il demande des sanctions exemplaires pour les personnes responsables du choix du lieu. Le Major Inspecteur Général Vaillard se rend sur le site et rédige un rapport compromettant le 15 mai 1917. Les travaux d’amélioration du site sont chiffrés et proposés à la Chambre et au Sénat qui, les jugeant trop élevés, décident l’évacuation du camp. Les troupes coloniales quittent le camp en juillet et gagnent les camps du Var.

Dès leur arrivée de nombreux soldats atteints de maladies pulmonaires, entre autre de pneumonie, sont traités à La Teste et Arcachon et y décèdent rapidement. Le Major médecin Kérandel, affecté au camp au mois d’août 1916, conscient de cette grande mortalité, propose à Justin Godard d’étudier un vaccin. Le Ministre donne son assentiment. Kérandel, en possession d’une souche de pneumocoques prélevés au Courneau, rejoint l’Institut Pasteur, étudie un vaccin et procède à l’inoculation empirique sur cinq sujets africains, sains, de Fréjus. Satisfait de ses résultats, il pratique la vaccination de 85 autres sénégalais avec un vaccin préparé à partir d’une souche de pneumocoques prélevés cette fois-ci à Fréjus. Godard, mis au courant, s’offusque d’une telle pratique et en fait part à Kérandel qui continue pourtant la vaccination sur 1100 tirailleurs en décembre toujours à Fréjus. Le Ministre interdit alors à Kérandel de continuer ses « expériences ». La Chambre mise au courant fait pression sur Godard qui convoque la Commission Supérieure Consultative d’Hygiène et d’Épidémiologie Militaire composée de neuf membres, à parts égales, issus de Médecins militaires, de membres de l’Institut Pasteur et de Médecins de la Faculté de Paris. Cette commission après un exposé de Kérandel autorise celui-ci à continuer ses vaccinations en prenant en compte que le terme « expérience » ne sera plus mentionné. Kérandel retourne au Courneau accompagné du Docteur Borrel et du Médecin principal Lafforque. Hélas, cette mission ayant pris du retard, seulement 50 tirailleurs sont vaccinés par suite du départ sur le front des bataillons qui participent à l’offensive de Nivelle. Par suite du manque de résultats de cette vaccination, 40 à 50 % de réussite pour une durée d’immunisation de 3 à 4 mois le projet est abandonné. Nous pouvons dire que cette maladie n’est pas occasionnée par la présence des soldats au Courneau. Lors de leur préparation dans les camps subsahariens, ou dans les camps nord africains, la maladie est présente. Toutefois en pourcentage, on meurt deux fois plus au Courneau que dans les camps du Midi.

Les médecins ou chirurgiens du Courneau ont été MM. Lévy-Valency, Abbadie, Bayro ; les médecins-chefs : MM. Puyo, Rachède, Morel, Parsat, Depons, Lemaitre, Lasnier, David-Chaussé, Riquet, Supervielle, Templier, Vernant, Choay, Manxion, Chapier, Ferrand, Perret ; les pharmaciens : MM. Martin, Bordes, Duboscq, Pichon, Vandeuil, Gineste, Paulais, Latreille ; les officiers gestionnaires ou administrateurs : MM. Roque, de Borda, Jamoy ; les officiers de gestion ou d’administration : MM. Robin, Martin, Belliard, Officiers.

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Un jardin potager militaire fut joint à l’hôpital pour la distraction des malades et mérita une récompense au concours des Jardins Potagers Militaires de la 18e Région.

En juillet 1917, pour laisser la place aux Russes, les Sénégalais évacuent Le Courneau, à l’exception d’une compagnie de 250 hommes. Celle-ci se révèle indispensable au colonel Fonssagrives, commandant français du camp, pour affirmer son autorité sur les nouveaux occupants.

Les Russes

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En février 1916, pour matérialiser la fraternité d’armes Franco-Russe, le gouvernement du Tsar envoie en France quatre brigades d’infanterie. Une partie des troupes s’embarque à Arkhangelsk, l’autre parvient à Marseille par les mers de Chine et des Indes et le canal de Suez. Les 2ème et 4ème brigades sont affectées à l’armée française d’Orient, commandée par le général Sarrail. Les 1ère et 3ème brigades restent sur le sol français et sont engagées en Champagne, à l’est de Reims. Elles gagneront chacune une citation à l’ordre de l’armée française.

En mars 1917, c’est en Russie le début des premiers mouvements révolutionnaires qui aboutiront à la révolution d’octobre, l’armistice de Brest-Litovsk, le 15 décembre 1917, et une paix séparée, le 3 mars 1918.

Au printemps de 1917, le moral était très bas dans l’armée française. Il ne faut pas s’étonner s’il l’est encore davantage dans les troupes russes servant sur le Front Français, travaillées par les nouvelles en provenance de leur Pays. En avril 1917, c’est en France l’échec, après trois ans de luttes, de l’offensive du général Nivelle, sur laquelle avaient été fondés trop d’espoirs. Dans l’armée française, les mutineries sont un drame à peine soupçonnée, à l’époque, par l’opinion, mais dont l’ampleur met la France au bord de l’abîme. Désigné pour remplacer le général Nivelle, par son seul prestige, le général Pétain rétablit l’ordre dans l’armée et relève le moral du soldat, méritant de la Nation une reconnaissance qui aurait dû éviter au maréchal la condamnation de 1945.

Lohvitsky, Dieterichs, Marouchewsky, Léontiev et Taranovsky, généraux russes commandant sur le front de Champagne ou sur le front d’Orient n’ont pas le rayonnement du général Pétain. Au reste, qu’auraient-ils pu faire ? La révolution russe couvait depuis trop longtemps et, il faut bien le reconnaître, est justifiée. Sur leur territoire national, les soldats russes désertent en masse, abandonnant leurs positions aux Allemands. Sur le front de Champagne, les deux brigades russes refusent de continuer la lutte aux côtés des Français et sont repliées sur le camp de Neufchâteau. De là, elles sont envoyées au camp de La Courtine où l’effervescence devient telle que le commandement français doit entreprendre de véritables opérations de guerre pour en venir à bout. Les insurgés matés, on fait un tri. Les Bolchevicks irréductibles restent au camp de La Courtine, les éléments plus calmes sont dirigés sur Le Courneau. Ce sont 7 000 hommes en débandade qu’héberge le camp du Courneau à partir de mi-août 1917 jusqu’aux premiers jours de janvier 1918.

Pendant son séjour au Courneau, cette troupe désœuvrée n’obéit qu’à ses soviets, passant son temps à discuter politique et à boire. La discipline parmi les Russes y devient plus que relâchée, bien des officiers préférant aventures galantes ou virées alcoolisées à Arcachon ou à Bordeaux, les hommes restant livrés à eux-mêmes. La vente d’alcool – sous toutes ses formes – dans les cantines du camp fut totalement interdite. C’est quand la 3ème brigade russe se trouvait au Courneau qu’éclata la Révolution d’Octobre. Des affrontements opposèrent dans le camp même, en vain, “blancs” et “rouges. Dans son livre « Arcachon et ses environs pendant la guerre », édité en 1924, l’historien arcachonnais André Rebsomen écrit « Faut-il évoquer les souvenirs des Russes circulant dans les rues d’Arcachon et de La Teste, ayant sous le bras quelque bouteille de liqueur ou d’eau de vie et buvant çà et là dans la rue, sur une route, sous un arbre ? Devons-nous rappeler les chariots russes conduits par un soldat plus ou moins ivre et circulant sur la route, au grand galop, passant d’un bord à l’autre, dans un terrible roulis, à la grande frayeur des autres véhicules, des inoffensifs piétons ou des paisibles cyclistes ». Ajoutons qu’il y a encore à La Teste, des personnes se rappelant avoir découvert, en ouvrant leurs volets, le matin, un russe ivre mort, dormant étendu sur le pas de leur porte ou dans leur jardin. Inutile de dire que le soir chacun se barricadait chez soi.

Pour en finir, comme il n’est pas possible de les rapatrier avant la fin des hostilités, on donne aux Russes du Courneau, le choix entre la Légion étrangère, des unités de travailleurs, et une légion russe qui serait engagée sur le front français. La Légion étrangère eut peu de volontaires, un petit nombre choisit la légion russe, la masse opte pour les unités de travailleurs. En gare de La Teste, les Russes prennent le train par détachements successifs pour la destination de leur choix. Par mesure de précaution, les abords de la gare sont cernés par des tirailleurs sénégalais, le coupe-coupe à la main, et la cavalerie maintenue à proximité. Il n’y eut pas d’incident. Les unités de travailleurs sont employées dans l’Est et le Centre de la France. La légion russe est affectée à la Division Marocaine. À partir du 7 mars 1918, elle combat vaillamment et participe à l’occupation de l’Allemagne après l’Armistice. Elle reçut la fourragère aux couleurs de la Croix de Guerre, ayant été citée deux fois à l’ordre de l’Armée.

Les deux brigades russes laissent au cimetière du Courneau une douzaine de morts dont, au moins, un Russe blanc et un Bolchevique, des vestiges (aujourd’hui disparus) de décorum funéraire l’attestaient : une tombe “chrétienne” et une autre ornée de la faucille et du marteau…

Les Américains

Le 13 juin 1917, le général Pershing débarque à Boulogne avec un détachement précurseur. Les gros arrivages de troupes commencent le 26 juin, à Saint-Nazaire, et les premiers soldats américains tombent sur le front français en novembre 1917. Simultanément, les Américains étendent avec méthode leur infrastructure sur l’ensemble du territoire. Autour du Bassin d’Arcachon, ils ont une base d’hydravions au Cap-Ferret, une station de dirigeables à Gujan-Mestras, un camp d’artillerie au Courneau. De juillet à décembre 1918, lorsque la désinfection des casernements laissés par les Russes est terminée, les brigades d’artillerie se succèdent à un rythme rapide. Le camp s’appelle désormais « Camp Hunt ». Le mois de septembre est le mois de pointe avec 15 000 hommes. Les hommes de ces troupes, quand ils obtiennent des permissions de sorties du camp, peuvent visiter le voisinage. Ils n’hésitent pas à aborder les habitants (et …tantes) du coin qu’ils rencontrent. Propres, bien habillés, plutôt polis, parfois plus fortunés, ils sont bien mieux perçus que les occupants précédents. Quelques mariages avec des jeunes filles des alentours en résultent ! Parmi eux se trouve le jeune Jerry Pearce, directement venu de Santa Fe, dans le Nouveau Mexique. Et tout de suite, c’est le coup de foudre avec une jeune bordelaise qu’il épouse derechef et, la guerre finie, l’emmène à Albuquerque où leur naît une petite fille, Milfred. Seulement voilà, les étés brûlants et les hivers neigeux, tuent l’amour de notre Bordelaise. Six ans après, la voilà de retour en France, avec la petite Milfred. Milfred qui n’est autre que  la mère de Roland Bitaubé. On peut être sûr que Jerry, toute sa vie, eut la nostalgie du Courneau.

Malgré toutes leurs mesures d’hygiène, les américains, enregistrent 87 décès (parmi lesquels ceux d’aviateurs basés à Cazaux et morts lors d’exercices). Les américains restent jusqu’en mars 1919 ; les baraques du camp sont vendues aux enchères en juillet 1920.

Le cimetière du Courneau

Le 8 juillet 1916, le Conseil Municipal de La Teste donne son accord pour l’expropriation par l’État d’un terrain d’un hectare à Natus-de-Haut, dans la forêt usagère, pour l’inhumation des Sénégalais. 956 tirailleurs sont enterrés à la Nécropole du Natus, environ 250 à Arcachon, nous ne connaissons pas le nombre de morts parmi les soldats envoyés à Mont-de-Marsan et à Bayonne par manque de place à l’hôpital du Courneau, la majorité d’entre eux étant morts de pneumonie.

Le 11 février 1918, un hectare à Natus-de-Haut et 33 ares à Natus-de-Bas sont expropriés pour devenir le cimetière des Américains. 87 soldats américains sont enterrés au cimetière du Courneau. 66 corps sont rapatriés aux États-Unis et 21 transférés au cimetière des États-Unis, à Suresnes, vraisemblablement après 1924, date de la parution du livre d’André Rebsomen. Celui-ci, en effet, y décrit l’ordonnance des tombes, le calme et la poésie de ce champ de repos en pleine forêt. À Natus-de-Bas et Natus-de-Haut, il n’y a plus actuellement de traces du cimetière américain,

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seulement un mémorial. Le terrain a été revendu par les Domaines en 1927.

Les Sénégalais et les Russes, eux, sont toujours à Natus-de-Haut, sous un tertre planté de grands pins, au sud de la piste forestière reliant la route La Teste-Cazaux à la route Pyla-sur-Mer-Biscarosse. Il n’y a pas de tombes individuelles.

Pour les autochtones, le site reste longtemps celui du « cimetière des Sénégalais » ou plus simplement du « cimetière des Noirs ». On y accède via une piste forestière (dite la Piste 214), partant de la route La Teste-Cazaux au niveau de cabane de résiniers « Saint-Hubert » et menant à la cabane de « Hourn Peyran »  près de la dune du Pilat en passant par les cabanes de « Hourn Laurès » et de « Soussine ». Cette piste ne connait que le passage des attelages de mules remorquant quelques troncs de pins vers les scieries de La Teste, celui des résiniers ou – à la saison – celui des chasseurs. Quand, au début des années soixante, on se met à prospecter des gisements de pétrole dans la forêt, et notamment à « Soussine », la piste est élargie pour que les engins et autres véhicules des « pétroliers » puissent circuler. Par endroits, sur le tronçon le moins fréquenté, entre « Soussine » et « Hourn Peyran », on se contente de recouvrir de bitume l’ancien revêtement ce qui eut pour effet de « sonoriser » la route qu’à cet endroit certains appelèrent la « piste chantante » …

Jusqu’en 1967, l’automobiliste de passage qui ne se serait pas arrêté pour lire la plaque fixée sur une petite pyramide indiquant « Ici reposent 900 sénégalais et 12 soldats russes », ne se serait jamais douté qu’il passait auprès d’un cimetière militaire. Au cours de l’été 1967, un Mémorial aux proportions architecturales remplace ce monument trop modeste. Il est inauguré le 1er novembre 1967.

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Œuvre de l’architecte arcachonnais Henri Pfihl, il est élevé sur initiative du Souvenir Français de La Teste, grâce aux subventions du Ministre des Anciens Combattants, du Président de la République de la Côte d’Ivoire, des Sociétés d’Anciens Combattants, des Municipalités du bord du Bassin d’Arcachon, du Comité Central du Souvenir Français. Les tirailleurs sénégalais qui sont morts au Courneau ont maintenant un monument en proportion de leurs mérites et de leur nombre. Il est convenable que les morts russes ne soient pas oubliés. Il est regrettable par contre qu’au bord de la route, à la lisière de l’emplacement de l’ancien cimetière américain, une stèle ne rappelle pas que les dépouilles mortelles de 87 joyeux garçons des États-Unis, venus aider la France en 1917, reposèrent quelque temps entre les racines des grands pins de la forêt usagère de La Teste de Buch.

Patrick Boyer et Jean-Michel Mormone se sont attelés à une tâche ardue et ont retrouvé les noms, bataillons et dates de décès pour chacun tirailleur. À ce jour, l’appartenance géographique précise et le décompte national ont été réalisés pour plus de 98 % d’entre eux. Seuls 21 comportent encore une petite imprécision entre deux pays. Les deux historiens locaux espèrent lever le doute avec le concours de l’Amicale des travailleurs sénégalais de Bordeaux et de celle des maliens. Les différents pays et instances ont été contactés pour la finalisation de ce projet. En détails, les deux historiens ont recensé 69 soldats originaires du Bénin, 94 du Burkina Faso, 211 de Côte d’Ivoire, trois du Cameroun, quatre de France, 118 de Guinée, cinq de Madagascar, 306 du Mali, 11 de Mauritanie, 24 du Niger, un du Nigeria, 11 de Russie, 78 du Sénégal, auxquels s’ajoutent les 21 soldats qui n’ont pas encore été identifiés. Un total de 956 corps qui reposent au Natus. Cette liste, affichée à l’entrée de la nécropole, sera une façon de sortir de l’anonymat ces soldats morts pour la France. (Voir http://lesamisducourneau.fr/index.php/stele-virtuelle/)

Jusqu’en 1948, le lieu est mal entretenu, un ostréiculteur se rappelle y avoir fauché de la fougère pour garnir le fond des paniers d’huitres avant leur expédition, une autre personne dit avoir vu de nombreuses croix, mais ne peut se remémorer si le tertre existait ou non. Il se rappelle aussi que les pins n’étaient pas gemmés dans les années 50.

Kader Arif est le premier ministre français à honorer les tirailleurs sénégalais un 23 août, date choisie par l’ancien président sénégalais Abdoulaye Wade en 2004 pour commémorer le sacrifice des africains lors des guerres de son ex-colonie, et particulièrement en souvenir du 23 août 1944, date de la libération de Toulon par le 6ème régiment des tirailleurs sénégalais. Le ministre délégué aux Anciens combattants a choisi la nécropole nationale du Natus pour accomplir ce geste symbolique.

Vestiges :

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Une photographie aérienne prise au milieu du siècle dernier en montre les stigmates

Située à l’ouest de la route de La Teste / Cazaux à peu près en face de l’endroit où la voie ferrée actuelle pénètre dans le terrain militaire, une baraque est le seul vestige du « Camp du Courneau qui subsiste encore aujourd’hui.

Ce camp a servi jusqu’à la seconde guerre mondiale ; occupé par les Allemands, il a abrité certains bureaux de la Luftwaffe, un transformateur électrique (dont il subsiste des vestiges) et des pylônes de transmission. Au printemps 1944 un régiment d’artillerie va occuper ce secteur avec l’implantation de quatre grosses pièces d’artillerie au cœur de la forêt usagère (au sud du cimetière des Sénégalais) ; de cette position il subsiste les quatre plateformes de tir et les impressionnantes soutes à munitions. (Philippe Jacques).

Le 2 avril 1947, un accident dans un baraquement de déminage de bombes allemandes, au Pont des Américains du Courneau (Canal de Cazaux à la Hume), a tué huit travailleurs de la société Métalfer de Jonzac, dont Martin Héraud qui était embauché depuis deux mois. Inhumés au cimetière militaire de Cazaux, en Gironde, un procès-verbal d’enquête est réalisé par le greffier de la Justice de la paix de La Teste daté du 27 août 1947 et explique les faits de cette terrible explosion. Quelques articles de journaux, une petite compensation financière et l’accident tombe dans l’oubli. Une copie de ce procès-verbal sera cachée chez la veuve Héraud, prévenue par télégramme du décès de son mari. Elle gardera pendant toute sa vie ce terrible secret. Elle élèvera seule ses quatre enfants à Lachaise (Charente), dont Raymond, âgé de 6 ans au moment des faits. Il y a 18 ans, après le décès de sa mère, Raymond fait la découverte, dans une malle du grenier, du procès-verbal, avec surprise et stupeur. Il garde lui aussi le secret pendant plusieurs années puis s’est fait la promesse de faire toute la lumière sur ce drame et enfin d’en faire part à ses enfants. Pendant ses recherches, il fait la connaissance de Frédéric Donnesse, archiviste de La Teste qui l’a énormément épaulé, puis, le 5 juin 2019, obtient de l’Office national des anciens combattants et victimes de guerre, l’ONAC, le titre de « Mort pour la France » pour son père Martin Héraud. Né à La Chapelle-Montbrandeix, Martin Héraud n’a jamais retrouvé sa terre natale, mais la commune a apposé une plaque aux monuments aux morts pour honorer sa mémoire. Le 11 novembre 2019, pour la commémoration nationale, Raymond Héraud, sa famille et Frédéric Donnesse sont venus déposer une gerbe au pied de la plaque avec beaucoup d’émotion. Raymond voudrait partager ses recherches et son histoire avec les autres familles éprouvées de ces travailleurs nettoyeurs de l’après-guerre. Celles d’André-Alphonse Aymé, Oreste Brutti, Pierre-Marie Duclos, Charles-Antoine Kobert, Hervé Gabriel Le Goff, Lucien Pelletier et Claude Pierre Clément Rondepierre[3] [24].

Éric Joly publie, en octobre 2013, « Un nègre en hiver » qui retrace l’histoire tragique des tirailleurs sénégalais cantonnés au Courneau durant la Grande Guerre. À noter que ce livre complète bien le film documentaire « Une pensée du Courneau » réalisé par Serge Simon.

Source : Patrick Boyer, Jean-Pierre Caule et Jean-Michel Mormone 

http://gma33.unblog.fr/2015/03/02/reunion-mensuelle-du-27-fevrier-2014/comment-page-1/ [25]

Les compléments d’informations sont issus du recueil de Jacques Ragot « Cazaux avant les Bangs » et Wikipédia.

René Lehimas via

https://www.bassindarcachon.com/histoire_locale.aspx?id=170 [26]

Pour consulter quelques vidéos, cliquez sur les liens ci-dessous :

https://www.youtube.com/watch?v=5InL3GGNBhk [27]

https://www.youtube.com/watch?v=kOLj39C9Flk [28]

https://www.youtube.com/watch?v=doLHSM2KD3g [29]

http://www.marierecalde.fr/journee-du-tirailleur-senegalais-23-aout-2013/ [30]

https://vimeo.com/111554448 [31]

[1] [32] – Une nouvelle réquisition sera confirmée par arrêté préfectoral le 3 janvier 1918, pour y enterrer éventuellement les soldats américains.

[2] [33] – Traduction de l’inscription qui figurait sur un écriteau à l’entrée du cimetière américain du Courneau.

[3] [34] – « Son fils a tout fait pour honorer sa mémoire », Le Populaire du Centre, 25 novembre 2019.

Images liées: