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Béliet –  En terre bénite !

[1]Il s’est passé dernièrement à Beliet, canton de Belin, un fait qui a produit dans cette localité une vive émotion, en ajoutant une douleur nouvelle à l’affliction d’une honorable famille. Par ordre du curé, le corps d’un protestant a été enterré dans un coin du cimetière réservé aux suicidés et aux enfants morts sans baptême. Toutes les démarches faites par le pasteur protestant appelé pour les obsèques ont été impuissantes contre les préjugés et le parti pris des autorités locales.

Voici la lettre écrite à ce sujet par le pasteur au préfet de la Gironde

« Monsieur le préfet,

Le 23 août, je fus appelé, comme pasteur, à présider à un ensevelissement dans la commune de Beliet, canton de Belin. Avant la cérémonie, j’appris que M. le curé avait donné l’ordre de creuser la fosse dans la partie du cimetière réservée aux suicidés et aux enfans morts sans baptême.

Après en avoir informé la famille du défunt, j’allai trouver M. le maire et lui demandai pour mon coreligionnaire une sépulture honorable. J’invoquai en vain la loi. M. le maire me répondit qu’il l’ignorait, que de tout temps M. le curé avait eu la police du cimetière, qu’il ne saurait prendre sur lui de faire droit à mes réclamations. Il se montra très bien disposé ; il eût été tout heureux d’agir ainsi que je le désirais ; ce n’est que l’ignorance de la loi qui m’a valu un refus de sa part.

Quant à M. le curé, s’appuyant sur les lois de l’Église, et avec un parfait dédain pour la loi civile, il me refusa catégoriquement, pour cause d’hérésie et par peur du scandale, de permettre que l’on creusât une nouvelle fosse en terre bénite. Je n’ai pas à discuter la question d’hérésie, j’affirme seulement que la crainte du scandale n’était qu’une fort mauvaise raison, invoquée dans l’intérêt d’une cause plus mauvaise encore. La population de Beliet, accourue pour témoigner de sa sympathie pour la famille en deuil, déclarait, au contraire, qu’elle voulait que le jeune Charbonneau reposât parmi ses morts.

Comme je l’avais promis aux autorités, je songeais à en appeler à vous, monsieur le préfet, par dépêche télégraphique. Malheureusement, pour divers motifs, la cérémonie ne pouvait être retardée ; je dus la faire dans ces conditions regrettables. Toutefois, il est inadmissible que le droit des protestants puisse être ainsi foulé aux pieds à Béliet, et, au nom des parents du défunt, j’ai l’honneur, monsieur le préfet, de vous prier d’autoriser une exhumation et d’ordonner une autre sépulture en un lieu honorable. »

Cette demande ne pouvait qu’être accueillie, et le préfet vient d’autoriser l’exhumation. Il serait à désirer que cet exemple profitât à certains curés de campagne et pût prévenir des faits analogues, qui se produisent parfois parmi les populations rurales, au grand scandale de tous.

Journal des débats politiques et littéraires du 12 septembre 1872

https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k458394r/f3.item.r=b%C3%A9liet.zoom# [2]

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