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Excursion à Arès

Il nous reste à visiter le fond du bassin en allant à pied de Claouey à Arès. Pour cela nous prenons à huit heures du matin une pinasse à moteur qui nous conduit, une heure après, au petit port de Claouey où, pour, descendre nous sommes obligés d’emprunter un petit canot et les épaules d’un marin.

De là, il s’agit de marche ! droit au nord en longeant la plage, on nous dit que ce n’est pas possible et qu’il faut prendre la route ; nous verrons bien ; j’ai horreur des routes poussiéreuses empestées par les automobiles.

Le bassin à droite, la forêt à gauche ; c’est charmant ; côte très irrégulière, très découpée, avec des anses, des criques, des promontoires, des bouquets d’arbres avançant au bord de l’eau comme pour s’y mirer ; un sable fin, plaines de gourbets, des fossés, de la boue, des haies, il y a de tout ; il faut passer, on passe, non, quelquefois, sans de sérieuses difficultés.

Nous arrivons d’abord au lieudit Jeanne-de-Boy où se cachent dans la verdure quelques habitations rustiques, puis au fond d’un petit golfe, au Hourquet, hameau composé de quelques chalets ; ensuite on contourne un petit cap ; enfin on pénètre dans un autre golfe au fond duquel nous traversons la ligne d’un decauville amenant des poteaux de mines qu’un bac transporte à Arès. Nous parvenons ainsi à l’extrême pointe du bassin en un endroit portant le nom de Baste Vieille.

Maintenant nous marchons en direction de l’est, à travers une plaine de gourbets coupée de ruisseaux vaseux ; il faut prendre garde ne pas s’y enliser. La marée étant basse, le bassin parait très éloigné ; là-bas, au bord de l’eau, des femmes cherchent des coquillages ; par un singulier effet d’optique, leur silhouette se profile gigantesque sur le ciel bleu. Des abris pour la chasse aux canards se dressent çà et là, de forme bizarre. Un potager entouré de palissades nous barre la route. Faudra-t-il revenir sur nos pas ? Heureusement que le propriétaire, en train de le cultiver, nous autorise à passer. Enfin nous arrivons au canal de Lège, descendant de l’étang de Lacanau : un pont de bois l’enjambe ; nous sommes sauvés.

Au-delà, le pays change complètement d’aspect : c’est une campagne ombragée, riante, verte, fertile, coupée de canaux et de réservoirs à poissons. Nous suivons une digue entre deux cours d’eau et bientôt nous arrivons au superbe parc de Madame Wallerstein offrant à nos yeux charmés une magnifique forêt de chênes.

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Longeant un de ses côtés, situé à notre droite, nous arrivons à l’église d’Arès coiffée d’un clocher en pain de sucre. Nous entrons dans le sanctuaire pour remercier Dieu de nous avoir permis de surmonter les difficultés de la route.

Inutile de vous dire que nous| avons un appétit formidable : nous trouvons à l’hôtel Menvielle, sous une galerie vitrée, un excellent déjeuner auquel nous faisons honneur.

Pour digérer nous visitons la ville dont les rues sont larges et propres. On n’y rencontre pas des ordures à chaque pas comme à Arcachon !

En longeant un autre côté du parc, nous arrivons au port, éloigné de quelques centaines de mètres. Des barques gisent dans la vase ; le bassin apparaît dans le lointain ; une demi-douzaine de vieillards, assis sur un banc, se chauffent au soleil ; nous nous mêlons à leur conversation ; ils disent qu’autrefois tout allait mieux qu’aujourd’hui et que la vie était moins chère.

Le dernier train part à 16 heures. La gare est loin. Courons, Ouf ! nous y sommes. Arrêt à Facture, changement de train. Arrêt à Lamothe, changement de train. Arrivée à Arcachon à 20 heures 32 minutes. Salut, noble reine de la Côte d’Argent. Malgré tes défauts, ta crasse, tes rues défoncées, tu es tout de même la plus belle. Je l’aime davantage après une journée d’absence, je t’aime d’un amour aveugle, fermant les yeux et me bouchant le nez pour ne perdre aucune de mes illusions.

Albert Chiché, ancien député de Bordeaux

 

L’Avenir d’Arcachon du 11 juillet 1926

https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k5421957q/f1.image.r=ar%C3%A8s?rk=128756;0 [2]

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