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1900 – Aéroport Intercontinental « Bassin d’Arcachon – le Teich »

Au début du XXe siècle, l’architecte Cyprien Alfred-Duprat se passionnait pour les transports modernes et imaginait la ville de demain. Un nouveau livre est consacré à cet architecte bordelais aux projets étonnants.

En 1924, tandis que Le Corbusier achevait son « lotissement » au Cap-Ferret qui préfigure la cité Frugès à Pessac et la Radieuse à Marseille, un autre architecte mettait à Bordeaux la dernière touche au premier projet de Parc des sports de Lescure, l’ancêtre du stade Chaban-Delmas. Le projet est privé. Il compte un vélodrome, un terrain de foot, une piste pour la course, un cinéma, des courts de tennis dont deux couverts, un ring de boxe, un salon de massage, des bowlings, une soixantaine de cabines de douche… Le tout gratuit, ouvert à tous et financé par les matchs payants le dimanche. La faillite des mécènes et le krach boursier de 1929 achèveront cette « utopie ».

Cet architecte, mêlant Art nouveau et déco, se nomme Cyprien Alfred Duprat (1876-1933). Claude Mandraut (1) a écrit aux Éditions de l’Entre-deux-Mers la première monographie le concernant. La journaliste économique a découvert son travail en achetant à Bordeaux Caudéran une maison signée de son nom. « J’ai voulu en savoir un peu plus. » En tirant sur l’écheveau, elle s’intéresse à son œuvre, qu’elle qualifie de « complexe, déconcertante » et enquête sur « cet être singulier, en état d’agitation permanente, un feu d’artifice à lui tout seul ».

Avec son père Bertrand, également de la profession, il collabore au projet de construction du groupe scolaire Saint-Bruno, du restaurant Le Chapon fin. Avec son fils Jean, il signe les plans des cliniques chirurgicales de l’hôpital Saint-André en 1934 et du premier aéroport de Mérignac en 1937. Charles de Gaulle y décollera pour Londres 1e17 juin1940. L’ouvrage sera ensuite bombardé par les Alliés. L’homme avait aussi en projet un aérodrome au Teich, un port aérien et hydro-aérien imaginé à Bacalan puis à Bègles-Tartifume. Dans les années 30, autour de Bordeaux, la terre disponible ne manquait pas.

L’homme s’inspire des progrès des transports au début du XXe siècle. Il est passionné d’aviation, amateur de courses de voitures avec son ami, mécène et mondain Maurice Versein. C’est un membre de la première heure de l’Automobile Club du Sud-Ouest. Maurice Versein, copropriétaire de Motobloc, lui permet de faire l’extension de l’usine automobile à Bordeaux Bastide. « Il avait une vision d’urbaniste, précise Claude Mandraut. Ce qui était original pour l’époque. » Dans son ouvrage « Bordeaux… un jour », présenté en 1930 au maire fraîchement réélu Adrien Marquet, il propose un plan urbain pour Bordeaux sur 100 ans. Nombre de ses projets modélisés n’ont pas vu le jour. À l’époque, il était un précurseur, « aujourd’hui, il est largement dépassé » dixit Claude Mandraut : c’est un garage central place Gambetta, un autre souterrain place des Quinconces, un grand boulevard circulaire, un fléchage pour les avions sur le toit des Dames de France dont, en 1927, il a co-conçu l’annexe rue Porte-Dijeaux…

La vitesse et le tout bagnole sont un doux rêve. Dans un projet, les voitures peuvent accéder au Grand Théâtre par deux rampes d’accès. Il souhaite même construire des trottoirs aériens au-dessus du cours de l’Intendance, projet qui sera retoqué en 1928.

Le toit-terrasse, cher à Le Corbusier, Cyprien Alfred-Duprat en a l’idée pour un projet de terrasses-jardins sur le toit de hangars-docks entre les Chartrons et le pont de pierre et sur un édifice commerçant de la place des Grands-Hommes. Voilà qui préfigure le travail de Michel Corajoud sur les quais dans les années 2000 et la mode des toits végétalisés, des terrasses panoramiques aujourd’hui. Son plan urbain, jugé peu réaliste, n’avait pas été retenu. C’est celui de Jacques Boistel d’Welles (1883-1970 / architecte en chef de la ville de Bordeaux) qui sera retenu. De la « patte » de Cyprien Alfred-Duprat ne reste aujourd’hui que peu de traces, quelques maisons et aménagements et la « dinguerie » de la Maison cantonale de la Bastide, alors 7e et nouveau canton de Bordeaux, conçue en 1927 « dans l’esprit des maisons communes de l’époque médiévale ».

Cyprien Alfred-Duprat s’est intéressé à la photographie et aux courses en ballon dirigeable. Avec le photographe Femand Panajou, Émile Dombret, patron des usines Motobloc, et l’aviateur Jacques Balsan, il peaufine sa technique pour se photographier en montgolfière.

Séverine Guillemet s.guillemet@sudouestfr [1], Sud Ouest Dimanche du 19-02-2023

[2]Cyprien Alfred-Duprat, conseiller municipal de Caudéran, administrateur de la Caisse d’épargne de Bordeaux, et Mme née Massart, habitent 22, avenue du Bocage à Bordeaux-Caudéran ; ils ont un fils, Jean.

Issu d’une famille de cordonniers, né à Arcachon le 21 avril 1876, Cyprien Alfred-Duprat a pour maître son père Alfred, architecte distingué du Casino de Foncillon à Royan, et qui a laissé à Bordeaux les meilleurs souvenirs dont sa propre maison, 22 rue du Bocage.

Peintre amateur, influencé par Alphonse Mucha, et architecte, Cyprien Alfred-Duprat occupe une large place dans l’Exposition maritime internationale de Bordeaux où, en outre, il est promoteur et président du Salon d’Art humoristique. Alfred-Duprat expose ses aquarelles au Salon des Artistes français.

[3]En 1906, Maurice Martin fait paraître « La Côte d’Argent » ; les modalités choisies pour le parcours de sa caravane – mules tirant des « bros » dans des chemins sablonneux -, les fréquents arrêts, tout concourt à « goûter au charme rustique et apaisant de la vie de plein air » comme le fait remarquer Jean-Jacques Fénié. Lors de la publication du texte que Maurice Martin écrit à l’issue de cette « aventure », sous-titrée « d’Arcachon à Biarritz à travers les grandes Landes »le livre s’orne d’un dessin signé Alfred-Duprat lequel fait passer un moyen de locomotion moderne – l’automobile – entre les échasses d’un berger, signifiant pour l’occasion l’irrésistible avancée du progrès technique. Pourtant, « La Côte d’Argent » s’ouvre sur cette dédicace : « Aux mânes des Anciens Pâtres landais » !

Après son baccalauréat ès lettres, Cyprien Alfred-Duprat aborde la carrière d’architecte, collaborateur de son père pendant près de dix ans : Groupe scolaire de Saint-Bruno, série d’hôtels privés (avenue du Bocage), château et chais à Jarnac, restauration du château de la Gaubertie (XIIIe siècle) à Bergerac, diverses villas et constructions industrielles dans la région, ou encore le surprenant décor de grottes, rochers et rocailles du restaurant bordelais le Chapon Fin en 1901 ; en collaboration avec Pierre Ferret, l’architecte de la villa « Vague d’argent » à Pyla-sur-Mer, il dresse les plans, du gigantesque théâtre (25 000 places) élevé sur la place des Quinconces, à l’occasion de la Fête des Vendanges. On lui doit aussi les projets de jardin zoologique pour Bordeaux en 1905, de station balnéaire au Cap Ferret, d’autodrome dans la lande de Pierroton, de grande voirie pour Marseille qui lui vaut une médaille de la Municipalité de cette ville, etc. Il prévoit un flot incessant de véhicules en ville et souhaite dès lors adapter la ville, en imaginant de nouvelles voies de circulation et la création de parkings. Ses idées s’accompagnent de nouveaux équipements modernes, qui restent pour la plupart à l’état de projet. Il aime la nature, la verdure, l’eau.

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Il éventre les vieux quartiers insalubres et multiplie les jardins et espaces verts.

Cyprien Alfred-Duprat, architecte touche-à-tout et créateur hors normes projette la construction d’un gratte-ciel sur les quais de Bordeaux et livre tout son génie dans un livre visionnaire aux multiples résonnances : « Bordeaux… un jour ! » Tous les sujets abordés par Cyprien Alfred-Duprat restent aujourd’hui d’une étincelante actualité.     

D’un esprit vif et curieux, il se passionne pour l’automobile (les véhicules à moteur apparaissent à Bordeaux vers 1895), pour l’aéronautique (ballons dirigeables, avions). Sportsman convaincu, Cyprien Alfred-Duprat est promoteur à Bordeaux, en 1900, du mouvement aéronautique qui prend un si grand développement dans notre région dont il est le doyen des pilotes. Il a à son actif une cinquantaine d’ascensions et forme de nombreux aéronautes.

La France, « plaque tournante de l’Europe »… comment méconnaître l’évidente véracité de cette formule ? Qu’elles arrivent par la voie du Nord ou la voie du Sud, les lignes aériennes de l’Amérique convergent nécessairement vers la France. Un point précis de notre territoire verra donc accourir, d’outre-océan, les paquebots aériens. Nous devons être prêts à les accueillir. D’aucuns ont cru voir dans le Sud-Ouest, où semblent abonder les premiers plans d’eau que rencontrera l’hydravion transatlantique venant des Açores, une région propice à l’établissement de la gare Europe-Amérique. Divers projets ont été envisagés, utilisant les lacs qui bordent l’Océan, l’autre, l’embouchure pacifique de la Gironde, le troisième, un plan d’eau artificiel à créer au nord de Bordeaux, dans l’actuelle région de Grattequina.

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[6]Celle qui nous intéresse particulièrement est la base du Teich qui présente les avantages suivants : située dans une anse tranquille, à 8 kilomètres d’Arcachon, au centre des plages qui bordent le Bassin, elle est reliée à Bordeaux par 40 kilomètres de route rapide et à Arcachon par la route-corniche prévue par Alfred-Duprat – projet que reprendra Louis Bézian en 1931, voulant s’évader de cet « âge de la bicyclette et de la charrette à mules » où certains en sont peut-être restés avec trop de nonchalance et de poésie romantique[1] [7] -, évitant les trois passages à niveau de la route actuelle, et, partant, les dépenses nécessitées par leur suppression. Cette route permet de récupérer et de valoriser de vastes terrains insalubres, qui se trouvent remblayés par le dragage des sables d’affouillement du plan d’eau (auquel nous ajouterons, en 2021, les boues du port de La Teste).

En outre, la voie projetée constitue une liaison commerciale et touristique entre les divers ports de la côte. Plus pittoresque que la voie en service, plus commode et plus rapide pour les usagers, elle ajoute à la satisfaction du touriste. Mais son importance devient capitale pour la marine de commerce, parce qu’elle permet la création d’un port de pêche, qui, au point de vue stratégique, peut offrir un abri aux unités légères de nos escadres.

De même que les sables dragués sont utilisés pour la constitution de la route en corniche, ils servent à établir l’aire de aérodrome, dont la création correspond au plan d’infrastructure — aérodrome situé à mi-chemin de Cazaux et de Mérignac — tout comme le plan d’eau du Teich peut constituer un plan de secours pour la base d’Hourtin. Cet aérodrome est d’ailleurs un élément de développement pour les stations balnéaires environnant le « Bassin ».

La base aéronautique du Teich présente un très grand intérêt, car il est possible aux appareils en difficulté sur l’Océan de regagner le port ou d’y être ramené en remorque. Le Bassin n’est pas agité par les courants violents, ni par le mascaret, et le brouillard y est moins fréquent et moins dense que sur la Garonne. Tels sont les avantages techniques de la base. Dans l’ordre pratique, le plan d’eau existe ; il suffit de l’approfondir, mais le gros matériel nécessaire au dragage peut être amené à pied d’œuvre, tout monté.

La dépense engagée est inférieure à celle qui est prévue pour la réalisation des autres projets, et, dans tous les cas, elle est largement compensée par la revalorisation de 600 hectares de terrain, jusqu’ici incultes et insalubres.

Tout indiqué par sa position géographique, à l’abri du promontoire arcachonnais, dans une baie verdoyante, l’aéroport intercontinental comprend une hydrobase et un aérodrome réunis par une gare commune, desservis par une route autostrade et la voie ferrée. L’ensemble forme ainsi un tout, tant au point de vue de la construction, qu’au point de vue de l’exploitation.

Le plan d’eau, l’un des plus vastes dont dispose notre pays permet l’amerrissage et le départ des hydravions les plus lourds, les plus volumineux et les plus rapides, ceci quelle que soit la direction du vent. D’un établissement facile et sans inconvénient pour les ostréiculteurs, qui ne peuvent cultiver les huîtres à cet endroit, l’Eyre y déversant son eau douce. Par contre, cette eau douce convient parfaitement aux coques … métalliques des aérobus. Le plan d’eau est balisé par des bouées lumineuses reliées par un filet qui empêche les incursions de barques ou d’épaves dangereuses.

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Pour l’aérodrome, la solution adoptée, en forme de triangle, présente, sur ses limites extérieures, le Bassin, la route et l’Eyre. La croisée de pistes en direction de tous les vents, sa plateforme est établie au-dessus du niveau des plus fortes marées (merci d’y avoir pensé, même pour une base d’hydravions !) Le remblai provenant du dragage des fonds sablonneux, perméables, frais et fertiles se prête parfaitement à la germination des graines de gazon sur lequel se posent mollement les avions. Des slips et des grues servent à mettre ou à retirer de l’eau les appareils.

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L’Aérogare, édifiée en dehors des différentes pistes de décollage, s’étend entre l’autostrade et l’aérodrome. Elle constitue un vaste édifice de trois étages comportant l’organisation la plus perfectionnée de météorologie et les différents services administratifs ; un somptueux hôtel assorti d’un restaurant réalisent le confort le plus moderne et des terrasses, orientées idéalement vers le nord-est, sont à la disposition des voyageurs et du public. De vastes hangars placés sur les quais, également disposés sans porter de gêne à la navigation aérienne, contiennent des ateliers, des garages et tout ce qu’exige la technique des transports, de l’aéronautique terrestre et navale. La voie ferrée permet le transport rapide des voyageurs et du matériel. La route enfin vient compléter ce projet. Elle place 1’aérobase à la porte de la capitale du Sud-Ouest. Topographiquement, elle guide les pilotes, tout comme le Bassin est un repère pour les transatlantiques aériens. C’est en somme, et sous ce dernier rapport, un prolongement imprévu par eux, de l’œuvre de Chambrelent et de Brémontier, et un fleuron de plus à la couronne de la Côte d’Argent.

Aéroport intercontinental. Bassin d’Arcachon. Le Teich, 1900

https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k96147718/f17.item.r=leyre [10]

Annuaire du tout Sud-Ouest illustré : comprenant les grandes familles et les notabilités de Bordeaux et des départements de la Gironde, de la Charente-Inférieure, de la Charente, de la Dordogne, du Lot-et-Garonne, des Landes et des Basses-Pyrénées, Édouard Feret, 1909

https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k9641717c/f185.item.r=projet%20Alfred-Duprat# [11]

[1] [12] – Projet devant réunir par une route corniche, Bordeaux à Hendaye par Arcachon, Hossegor, Bayonne et Biarritz. « L’Indépendant des Basses-Pyrénées» du 23 septembre 1931. Lire l’article paru dans la « Gazette de Bayonne, de Biarritz et du Pays basque », du 16 septembre 1931

https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k43427472/f2.item.r=route-corniche%20arcachon.zoom [13]

 

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