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1492 – Édit de Grenade (décret de l’Alhambra) pour expulser les communautés juives

 

Rappelons-nous que la péninsule a été envahie par les Arabes au début du VIIIe siècle, sous la domination desquels les Juifs[1] [1] connaissent une ère de prospérité culturelle inégalée jusqu’alors.

 

En 1478, création du Tribunal du Saint-Office de l’Inquisition, dont la mission est de poursuivre les marranes, ces convertis qui continuent à pratiquer le judaïsme en secret.

La création de l’Inquisition espagnole se rattache à la réaction contre les minorités ethnico-religieuses, musulmanes et juives, incorporées par la Reconquista à l’Espagne chrétienne où elles jouissent d’abord d’une large tolérance. Cette réaction, accentuée par le malaise économique qui marque les derniers siècles du Moyen Âge, se traduit par la montée des rancunes populaires contre les Maures et surtout contre les Juifs, manieurs d’argent. La pression des autorités religieuses et les massacres de Juifs amènent de nombreuses conversions dont la sincérité paraît plus que douteuse. C’est pour surveiller ces « nouveaux chrétiens » ou « conversos » d’origine juive, et pour punir les relaps, que les Rois Catholiques obtiennent, du pape Sixte IV, l’autorisation de désigner des « inquisiteurs » dont la juridiction, d’abord limitée au royaume de Castille, est étendue ensuite aux territoires de la couronne d’Aragon.

Souvenons-nous qu’une première Inquisition a été créée en 1233 à l’initiative du Pape Grégoire IX pour combattre une secte d’hérétiques français, les « Albigeois ». Cette première Inquisition était relativement débonnaire et ne condamnait pas, en règle générale, les gens à mort. Tel n’est pas le cas de la juridiction inquisitoriale espagnole ne touchant que les « convertis » ; Juifs et Maures conservent, après 1478, la possibilité de pratiquer leur religion.

Cette situation est modifiée dans le quart de siècle suivant par la politique d’unification religieuse pratiquée par les Rois Catholiques.

[2]

La reddition de Grenade par Francisco Pradilla

Le samedi 31 mars 1492, soit trois mois après la prise de Grenade aux musulmans, la reine Isabelle de Castille et son mari Ferdinand d’Aragon signent un édit[2] [3] par lequel ils laissent aux juifs d’Espagne jusqu’au 31 juillet pour se convertir ou quitter le pays. « Nous avons décidé d’ordonner à tous les Juifs, hommes et femmes, de quitter nos royaumes et de ne jamais y retourner ». Motivé par la volonté de christianiser totalement les « Espagnes médiévales » en prélude à leur unification, il entraîne, quatre mois plus tard, l’expulsion des Juifs d’Espagne qui doivent choisir entre le baptême et l’exil ; en 1501, la même mesure sera appliquée aux Maures du royaume de Grenade, reconquis vingt ans auparavant et, en 1502, elle est étendue aux mudéjars[3] [4] de Castille, puis à ceux d’Aragon et de Catalogne.

Dès la proclamation du décret, Isaac Abravanel, qui est le trésorier des souverains et à ce titre finance leurs campagnes militaires, et aussi le grand rabbin Abraham Senior essaient de persuader Ferdinand et Isabelle de revenir sur leur décision, sans succès car Torquemada leur fait valoir que « ce serait se conduire comme Judas qui avait vendu le Christ pour trente deniers ». Fin avril 1492, le décret est solennellement proclamé à sons de trompe et les Juifs doivent donc liquider leurs affaires avant la fin juillet. « À l’exception de ceux qui accepteront d’être baptisés, tous les autres devront quitter nos territoires à la date du 31 juillet 1492 et ne plus rentrer sous peine de mort et de confiscation de leurs biens ». Désormais, la population de l’Espagne ne comprend plus – du moins en principe – que des chrétiens, mais la foi des « nouveaux chrétiens » reste suspecte, et l’Inquisition est amenée à exercer une surveillance rigoureuse sur les Morisques (Maures convertis) et davantage encore sur les Marranes[4] [5] suspects de « judaïser » en secret ; au cours du XVIe siècle, les persécutions toucheront aussi les protestants, et les personnes accusées de blasphème ou de bigamie. Plus d’une centaine de milliers de juifs et de marranes (faux convertis) choisissent l’exil[5] [6].

[7]

Les Juifs, s’exilent – « Déportation de l’Espagne » ou gueroush Sefarad, en hébreu : גירוש ספרד –  principalement vers le Portugal, mais surtout au Maghreb voisin, et rapidement, à Constantinople, Thessalonique, mais aussi dans les dominia arabes de l’empire ottoman, ou dans le sud de l’Europe comme la Provence, la Sicile, les Balkans et la péninsule italienne, y compris dans les États du pape où leur sécurité est assurée ! Avec eux disparait l’école cartographique de Majorque dont les membres essaiment dans tout le bassin occidental de la Méditerranée : à Marseille, Messine, Venise, Florence, Malte, etc. ; ils continuent là à exercer leur art, mais ne l’enrichirent plus de nouvelles découvertes.

Outre l’Espagne, le décret est appliqué dans les possessions espagnoles : l’Inquisition sera active dans les colonies espagnoles et le décret sera appliqué en Italie (Italie du Sud, Sardaigne) en 1501, ces territoires étant tombés sous la domination espagnole.

Le décret de l’Alhambra est suivi en 1496 de l’édit d’expulsion des Juifs du Portugal pris par le roi Dom Manuel 1er qui souhaite épouser l’héritière du trône d’Espagne. Quelques marranes du Portugal s’installent dans le Bordelais (parmi eux les ancêtres de Michel de Montaigne[6] [8]), d’autres en Hollande (parmi eux les ancêtres du philosophe Spinoza) ; à Bordeaux, les Juifs séfarades ont longtemps bénéficié d’un statut particulier à tel point qu’en 1789, les premiers députés juifs de l’Assemblée Constituante sont de Bordeaux.

En février 1793, le conseil du comte de Lille, qui se disait alors régent du royaume, discuta un projet de convention offert par les Juifs. Il s’agissait de leur céder la baie d’Arcachon et toutes les landes de ce territoire entre Bordeaux et Bayonne, pour être tenues par eux en propriété, sous la suzeraineté de la couronne. Ils devaient cultiver ces landes, y bâtir une ou plusieurs villes ; le tout régi et administré d’après leurs lois religieuses, leurs usages civils et leur jurisprudence particulière, sauf les cas de contestation avec un chrétien, dans lesquels des commissaires royaux résidant dans ces villes auraient intervenu et prononcé. Les Juifs offraient 25 millions. L’histoire s’arrête là : les évêques de Bordeaux et d’Arras se sont opposés au projet qui n’a donc pas eu de suite. 

L’Inquisition prend fin en Espagne officiellement sous Napoléon Ier en 1808, puis rétablie en 1814, l’Inquisition espagnole est abolie définitivement par la reine Marie-Christine en 1834, et la « limpieza de sangre » le 13 mai 1865 ; lorsque le décret de l’Alhambra ordonnant en 1492 l’expulsion des juifs est officiellement abrogé le 5 juin 1869 par un article de la Constitution espagnole, il est lettre morte depuis longtemps, et des dizaines de milliers de descendants des expulsés, persécutés dans le reste de l’Europe pendant la Seconde Guerre mondiale, ont pu se réfugier en Espagne et y être accueillis en tant qu’anciens Espagnols.  

Derrière ces affinités culturelles philoséfarades se cachent des intérêts bien sentis comme cela transparaît dans un rapport diplomatique sur la situation des Séfarades rédigé par l’écrivain et diplomate Agustin de Foxá : « Cinq cent mille Juifs dans les Balkans et dans le bassin méditerranéen conservent, au milieu de peuples étrangers à notre culture, le vieux castillan contemporain de Cervantes, la cuisine espagnole, nos cantiques, mélodies, proverbes et contes, voire nos coutumes, notre moralité dans la famille, et nos modes de vie. […]  […] Dispersés à travers l’Europe orientale et la Méditerranée, ils constitueront en revanche toujours une force, qui par sa richesse, sa situation sociale, sa perspicacité dans les affaires, et son habilité dans le commerce, pourra servir l’Espagne, surtout si les directions que prend la guerre font que le vent finisse par tourner en Europe. D’un autre côté, à cause de leur extraordinaire solidarité raciale, leur influence s’étend à d’autres communautés d’Amérique, capables d’influer, par le moyen de la presse et de la finance, sur l’opinion publique américaine

https://es.wikipedia.org/wiki/La_rendici%C3%B3n_de_Granada#/media/Archivo:La_Rendici%C3%B3n_de_Granada_-_Pradilla.jpg [9]

https://fr.wikipedia.org/wiki/Le_r%C3%A9gime_franquiste_et_la_question_juive

http://expositions.bnf.fr/marine/arret/01-5-3.htm [10]

http://aujourdhui.over-blog.fr/2018/03/31-mars-1492-decret-de-l-alhambra-expulsion-des-juifs-d-espagne.html [11]

https://www.universalis.fr/encyclopedie/inquisition/3-l-inquisition-espagnole/ [12]

https://www.sudouest.fr/2011/01/03/comment-un-etat-juif-a-failli-naitre-sur-le-bassin-280584-1731.php

 

[1] [13] – La communauté séfarade, la plus évoluée des sociétés judéo-islamiques occidentales, était elle-même déjà constituée d’éléments judéo-francs ayant fui l’occident roman à partir du XIIe siècle (à l’origine des nombreuses familles de Serfati « Gaulois »).

[2] [14] – Il existe deux versions de l’édit de Grenade :

– un « castillan » où apparaissent les signatures des deux rois catholiques, reçues dans différentes versions faisant référence à différentes villes.

– un soi-disant “aragonais” avec seulement l’autographe du roi Ferdinand ; cette version n’a été retrouvée qu’en 1991.

[3] [15] – Le mot mudéjar vient de l’arabe [16] مدجّن (mudaʒʒan, « domestique », « domestiqué »), qui donne, par altération en espagnol [17], mudéjar. C’est le nom donné aux musulmans d’Espagne devenus sujets des royaumes chrétiens après le XIe siècle, pendant la période de tolérance.

[4] [18] – Les Juifs séfarades qui sont restés dans la péninsule ibérique et qui se sont convertis à la suite de la persécution par l’inquisition espagnole, tous deux par choix “libre”, s’appelaient Marranos. Terme qui vient des “marranos” (cochons) espagnols, probablement dérivé du “maḥram” arabe (qui est interdit).

[5] [19] – Ils restent connus sous le nom de « sépharades », mot qui désigne l’Espagne en judéo-espagnol, une langue dérivée de l’hébreu et parfois appelée ladino.

[6] [20] – Sa mère s’appelait Antoinette de Louppes, descendante de juifs du Portugal ou de Tolède nommés Lopez.

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