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1413 – Mecia de Viladestes Carte marine de l’océan Atlantique Nord-Est…. – Arcexom

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Carte marine de l’océan Atlantique Nord-Est, de la mer Méditerranée, de la mer Noire, de la mer Rouge, d’une partie de la mer Caspienne, du golfe Persique et de la mer Baltique] / Mecia de Viladestes me fecit in anno MCCCCXIII

https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b55007074s.r=Carte%20marine%20de%20l%27oc%C3%A9an%20Atlantique%20Nord-Est%2C%20de%20la%20mer%20M%C3%A9diterran%C3%A9e%2C%20de%20la%20mer%20Noire%20et%20de%20la%20mer%20Rouge?rk=21459;2 [2]

Cette carte est très proche des deux cartes occidentales de l’Atlas catalan. Elle témoigne de l’attrait exercé par l’or africain. Son auteur représente, dans la fourche du Nil, le prêtre Jean, personnage mythique qui laisse espérer une alliance dans des régions réputées hostiles.

Chassés par l’intolérance religieuse des princes de Grenade au XIe et XIIe siècles, de nombreux juifs s’installent en Castille et en Aragon. Ils maîtrisent l’arabe comme seconde langue, traduisent les écrits modernes des géographes arabes et cherchent à s’informer aux sources de la géométrie grecque. Ceux que l’on appelle « les traducteurs de Tolède » développent la médecine, l’astronomie et la géométrie. Ils retrouvent les calculs d’Eratosthène qui indiquent que la circonférence terrestre dépasse largement les calculs retenus par Aristote. Peut-on s’écarter des côtes, trouver des îles dans l’Océan sans courir le risque de tomber dans l’abîme ? Pourra-t-on, un jour, traverser la Mer Océane et gagner l’est par l’ouest ?

Cette vision d’une sphère terrestre assez large pour que des bateaux puissent en faire le tour défie la croyance établie par l’Église. Au XIVe siècle, la question reste dans l’ombre car les cartographes juifs de Majorque ne peuvent s’opposer directement aux docteurs de l’Église. Quelques années après l’Atlas catalan, une autre carte produite à Majorque vient confirmer l’éclatante supériorité des artisans cartographes des îles Baléares. Celle-ci nous livre son auteur et sa date. Elle fut établie en 1413 par Mecia de Viladestes, dont on sait qu’il se convertit au christianisme[1] [3] et qu’il voyagea en Sicile, possession du roi d’Aragon (Viladestes est un élève de Cresques dans l’école judéo-catalane majorquine, et c’est probablement de son atelier, transféré en Italie après l’exode de Sicile, que sort un peu plus tard, en 1435, le fondateur de l’école d’Ancône, Grazioso Benincasa). Cette œuvre nous montre que les cartographes catalans actualisent sans cesse leurs informations. L’innovation porte ici sur la réalité du Sahara et de ses pistes : les Majorquins appliquent au désert les mêmes réseaux de rhumb que ceux dont ils couvrent les espaces maritimes. Il est devenu courant en effet de compléter dans le désert le repérage d’après les étoiles par l’usage de la boussole, précieuse dans les tourbillons de sable (ne nomme-t-on pas les chameaux, les vaisseaux du désert ?). Comme l’explique Charles de la Roncière, Mecia de Viladestes, mieux documenté que ses confrères, connait le nom des oasis du Touat par où descend une route directe mais très rude à travers le Tanezrouft, le « pays de la soif ». Mais surtout il signale la route transsaharienne de l’est par Touggourt (Tacort), Ksar el Kebir (Catif el Carbit), le Hoggar (Ugar), In-Ziza (Anzica) et Tombouctou ; on ne parle pas encore de l’arbre du Ténéré ! Par cette piste séculaire, que l’on emprunte encore au début du XXe siècle, les caravanes s’enfoncent vers le Soudan, le pays des Noirs et de l’or, distant de soixante-dix journées à dos de chameau. Elles convoient le sel, indispensable aux peuples du désert, et le troquent contre l’or, à raison d’une mesure de sel pour une mesure de métal précieux. Ces échanges, déjà décrits par un voyageur au XIIIe siècle, se font en général au bord du fleuve Niger. Les Maghrébins, après s’être annoncés au son du tambour, déposent sur la rive, par petits tas marqués du nom de chaque propriétaire, le sel et la bimbeloterie qu’ils ont apportés. Puis les caravaniers s’éloignent une demi-journée, pendant laquelle les Africains traversent le fleuve, examinent la marchandise, disposent son équivalent en or puis s’éclipsent. La tradition de ce commerce muet perdura en Afrique, notamment chez les peuples de la côte de la Sénégambie, qui adoptèrent le même rituel vis-à-vis de leurs congénères : ils disposent leurs marchandises dans un endroit déterminé, esclaves ou denrées, et creusent des trous correspondant à la quantité d’or demandée en échange. Les régions productrices d’or sont ainsi soigneusement tenues cachées des commerçants des caravanes. Viladestes les connaît grâce à des sources arabes auxquelles il emprunte le nom du fleuve Ued Anil (le Nil), amalgame du Nil, du Niger et du Sénégal. Cependant, pour la première fois, le fleuve est ici franchi. Plus au sud, nous voyons apparaître un autre fleuve, le flumen Engelica (la Gambie). C’est pour atteindre cet or du Soudan que les Catalans, puis les Portugais, cherchent une route maritime par l’Atlantique. Quand ils l’auront trouvée et que les caravelles auront remplacé les caravanes, les cartes perdront la mémoire de ces arides pistes sahariennes ; entre le XVe et le XIXe siècle, plus aucun Occidental n’y eut accès. Tombouctou devra être redécouverte en 1828 par René Caillié. Nous constatons, un peu au sud de l’embouchure du fleuve de l’or, la présence des îles inconnues des autres cartes, les îles de Gabes. Selon un historien portugais, A. Cortesao, il pourrait s’agir de la première représentation des îles du Cap-Vert qui ne seront reconnues officiellement qu’en 1455. Cette interprétation donnerait aux Catalans quarante ans d’avance sur les Portugais.

Changeons d’horizon et remontons vers le nord. La particularité des Catalans est de montrer aussi les régions septentrionales. Ce sont même eux qui en donnent les premières images puisque, malgré le commerce de la Hanse, il n’y a pas de cartes marines produites dans les mers nordiques à cette époque. Cependant, empêchés à partir du début du XIVe siècle de pénétrer eux-mêmes dans la mer Baltique, les marins méditerranéens n’ont plus l’occasion d’améliorer leurs tracés ; de nombreux cartographes cessent alors de représenter l’Europe du Nord. Ce n’est pas le cas de Viladestes qui nous fait partager une scène inédite, dans les parages de l’Islande. Une barque avec deux marins s’éloigne d’un navire pour aller harponner une baleine imposante. La présence d’un évêque dans l’équipage est-elle une réminiscence de la légende de saint Brandan (ou Brendan) ? Le récit du voyage de ce moine irlandais du VIe siècle, la Navigatio Brendani est particulièrement populaire au Moyen Âge. Parti dans l’Atlantique nord avec d’autres moines, il aurait atteint le Groenland et, selon la légende, il aurait pris le dos d’une baleine pour une île.

Après Mecia de Viladestes, il semble bien que les liens se relâchèrent entre les Majorquins et leurs informateurs d’Afrique. Le temps des voyages atlantiques était manifestement arrivé. Après avoir connu l’expansion et la prospérité, la Catalogne entame une période de décadence et sa vie maritime s’amenuise. Fernand Braudel explique ce déclin par la pauvreté en hommes des provinces maritimes qui se trouvent comme épuisées après des moments d’intense activité. Nous verrons les Portugais « redécouvrir » et tirer profit de terres déjà reconnues éphémèrement par des Catalans.

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Nous pouvons y lire Arcexom

http://expositions.bnf.fr/ciel/grand/t2-04a.htm [5]

http://expositions.bnf.fr/marine/arret/01-5-3.htm [6]

Le Maître des boussoles, Pascale Rey

http://www.pascalerey.com/Cartographes.php [7]

[1] [8] – Après une série de révoltes populaires contre les quartiers juifs qui ont éclaté dans toute la péninsule et aux îles Baléares en 1391, de nombreux juifs se convertissent au christianisme.

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